«J'ai réalisé il y a longtemps que pour concrétiser nos aspirations comme peuple et pour dialoguer et s'entendre avec le Canada, il faut d'abord passer par la souveraineté», dit Gilles Duceppe.
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Ce texte est extrait d'un recueil d'entretiens menés par Gilles Toupin, ancien journaliste à La Presse, avec Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois.*
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Gilles Toupin: J'écoutais récemment Gilles Vigneault dans une entrevue où il affirmait que l'un de ses plus grands souhaits serait que les Québécois se débarrassent de la peur de la souveraineté. Les Québécois ont peur notamment de devenir pauvres en devenant indépendants.
Gilles Duceppe: Le changement fait toujours peur. Et il faut dire que le peuple québécois y a goûté dans le passé. La Conquête, c'était aussi des fermes brûlées, du pillage, de la violence. Les Patriotes, ce fut encore une fois des granges brûlées et des hommes pendus. Lors de la première conscription, encore une fois, des hommes ont été fusillés. En 1970, ce furent les mesures de guerre. J'imagine que tout cela est un peu inscrit dans notre inconscient collectif. Mais il faut surmonter cette peur parce que, de l'autre côté, il n'y a rien d'emballant qui nous est offert. C'est même plutôt le contraire.
Certains peuvent croire à la limite que même Trudeau avait offert quelque chose d'emballant avec son Canada bilingue et le French power. Nous pouvons dire cela. Il a soulevé l'enthousiasme de beaucoup de monde avant de devenir un des pires ennemis de la nation québécoise. Tout comme Jean Lesage avait soulevé l'enthousiasme de beaucoup de monde. Brian Mulroney, à un moment donné, a proposé quelque chose qui pouvait sembler intéressant pour le Québec, fondé sur l'honneur et l'enthousiasme, disait-il. Nous ne pouvons nier cela. Nous pouvions, certes, être contre les propositions de ces hommes politiques, mais nous ne pouvions nier qu'elles contenaient une part de rêve, une aspiration au mieux-être. Aujourd'hui, le Canada n'a plus rien de cela à nous offrir; il a complètement fermé la porte. Plus personne ne peut proposer une place au Québec dans l'honneur et l'enthousiasme au sein du Canada. Ce n'est plus crédible.
C'est un grand changement. Parce qu'aujourd'hui, il faut bien réaliser que c'est le statu quo qui est devenu épeurant. Le trou noir dont parlait Jean Charest, en 1995, en référence à l'inconnu de la souveraineté, le trou noir c'est l'avenir du Québec s'il demeure dans le Canada.
L'appauvrissement, c'est dans le Canada qu'il nous guette. Si nous devons nous inquiéter comme nation, ce n'est pas de la souveraineté, c'est de l'avenir qui nous guette dans le Canada. Les Québécois doivent regarder la réalité en face et se défaire de leurs illusions.
G.T.: Depuis l'adoption, en 1998, de la Loi sur la clarté référendaire, il me semble que la discussion n'a pas beaucoup avancé sur la question de la tenue d'un référendum. C'est comme si on faisait du sur-place. Même Lucien Bouchard estime qu'il ne verra pas la souveraineté de son vivant. Pourquoi ces hésitations du mouvement souverainiste?
G. D.: Que l'on ne parle plus de la date d'un référendum ou d'une stratégie très précise et que l'on parle davantage du fond des choses, je suis entièrement d'accord avec Pauline Marois et avec le Parti québécois là-dessus. Au Bloc, nous n'avons pas cessé de parler du fond des choses. Notre congrès de 2005 s'intitulait «Imaginer le Québec souverain». Au cours des campagnes électorales, nous parlons du pays du Québec, de la politique étrangère du Québec.
Toutes les actions et tous les gestes posés par le Bloc québécois sont toujours accomplis en ayant en tête la question suivante: «Si nous étions un pays, que ferions-nous?»
Quant à Lucien, il a déclaré qu'il demeurait souverainiste et, dans une entrevue toute récente, qu'il allait peut-être voir la souveraineté de son vivant, s'il mourait vieux?! Il a rajouté que ça ne pouvait plus continuer comme ça, qu'il fallait qu'il y ait quelqu'un qui s'en occupe et que le plus tôt serait le mieux. J'espère qu'il mourra très vieux et que nous réaliserons la souveraineté au plus tôt. Si nous avions dit à Lucien, en 1987, alors qu'il était ministre fédéral, qu'il allait créer trois ans plus tard un parti souverainiste, il ne nous aurait pas crus.
Je vous l'ai déjà dit?: il y a dans la vie politique des décennies qui ne valent pas une journée et des heures qui valent plusieurs décennies. La souveraineté peut advenir au moment où l'on s'y attend le moins. Et puis, si le Bloc remporte chacune des élections avec 40 ou 50 députés, cela doit certainement signifier quelque chose.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas demander aux gens de dire qu'ils croient que la souveraineté va se faire alors que Jean Charest est au pouvoir. M. Charest a été amené au Parti libéral pour empêcher la souveraineté. L'espoir va reprendre ses droits quand le Parti québécois va reprendre le pouvoir.
Il faut renoncer à l'illusion canadienne
Gilles Toupin: Il y a une chose qui me frappe à propos de la position du Québec dans le Canada. Pendant la Révolution tranquille, le Québec - M. Parizeau l'explique bien dans son dernier bouquin, La souveraineté du Québec, hier, aujourd'hui et demain - s'est démarqué face à Ottawa sur les plans moraux et financiers en créant, par exemple, une Régie des rentes du Québec distincte du Canada Pension Plan et en se retirant de 29 programmes conjoints avec pleine compensation. Le Québec devenait peu à peu une sorte de gouvernement distinct. Alors moi, aujourd'hui, je trouve cela un peu illogique, même aberrant, de continuer à faire comme si nous étions un pays distinct tout en maintenant les attaches au Canada.
Et je ne comprends pas que cette contradiction-là, qui me paraît tellement évidente, ne semble pas frapper la population du Québec.
Gilles Duceppe: C'est-à-dire que cette contradiction frappe minimalement 40% de la population du Québec, un pourcentage qui a grimpé à 49,6% en 1995 en dépit des dépenses importantes faites par le camp adverse pour contrer le «oui». Nous savons que la majorité des gens d'affaires ne veulent pas de changement. Est-ce que ce phénomène est particulier à la société québécoise? Je ne pense pas. Partout dans le monde et au cours de l'Histoire, l'establishment veut rarement du changement. La Révolution tranquille fut un peu différente à cet égard en raison du discrédit général qui pesait sur l'Union nationale. Mais même là, plusieurs s'opposaient au changement. Même Trudeau était contre la nationalisation de l'électricité. Le milieu des affaires et La Presse se sont aussi et encore une fois opposés aux grands changements de l'Histoire du Québec telles la Charte de la langue française (loi 101), l'assurance-automobile de Lise Payette, la CSST, et j'en passe. Il n'y a rien là de bien surprenant. Par ailleurs, lorsque ces changements se font malgré eux, laissez-moi vous dire qu'ils s'adaptent très vite?!
Encore une fois, on a l'impression que rien ne se passe parce que nous avons le nez collé sur les événements. Mais le Québec a radicalement changé depuis 1960. Et vingt ans après Meech, le Canada a changé?; il est passé à autre chose et beaucoup de Québécoises et de Québécois vont bien finir par le réaliser et renoncer à leur illusion canadienne. Rien n'est réglé pour le Québec comme Lucien l'affirmait lui-même dans cette entrevue dont je vous parlais.
G. T.: Qu'est-ce qui ferait renoncer ces Québécoises et ces Québécois à cette illusion dont vous parlez?
G. D.: D'abord, tout n'est pas à jeter. Cette illusion, qui veut que ce soit possible un jour de changer le fédéralisme canadien pour répondre aux aspirations du Québec, contient une part de rêve et d'espoir. Il y a les aspirations du Québec et cette volonté de s'entendre avec le Canada. Je partage ces aspirations et j'ai démontré mon désir de m'entendre avec le Canada. Mais j'ai réalisé il y a longtemps que pour concrétiser nos aspirations comme peuple et pour dialoguer et s'entendre avec le Canada, il faut d'abord passer par la souveraineté. C'est ce que nous devons faire comprendre aux Québécois qui hésitent encore. Il suffit que les Québécois écoutent les Canadiens et ils se déferont de cette illusion
* Publié par Richard Vézina éditeur, le livre sera en librairie la semaine prochaine.
Les risques du statu quo
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