Ottawa -- Les traditionnelles lignes de fracture entre les groupes pro-vie et pro-choix ont refait surface hier, au lendemain de l'adoption en seconde lecture du projet de loi reconnaissant les foetus comme des victimes à part entière lorsqu'une femme enceinte est attaquée. L'organisme s'opposant à l'avortement au Québec s'est réjoui de ce qu'il considère comme la première étape vers la recriminalisation de cet acte médical.
«J'en suis extrêmement heureux», a indiqué hier au Devoir Luc Gagnon, le président de Campagne Québec-vie, un groupe pro-vie comptant «plusieurs milliers» de membres dans la province. «Ce projet de loi est un début de reconnaissance des droits des foetus, qui avant étaient laissés dans les limbes comme si c'étaient des êtres qui n'existent pas.» Il ajoute que «cette existence légale pourra avoir des conséquences légales et déboucher sur le droit à la vie. Il est certain que ça fait partie d'un ensemble juridique, d'un ensemble politique. Un être humain qui a des droits quand il fait l'objet de violences, il a d'autres droits.»
Campagne Québec-vie avait milité au cours des derniers mois en faveur du projet de loi conservateur. «J'en ai parlé dans notre bulletin, raconte M. Gagnon. Nous incitions nos membres à appuyer le projet de loi, à contacter leur député, à faire des efforts pour que ce projet de loi soit adopté.»
M. Gagnon était furieux qu'aucun député du Bloc québécois n'ait apporté son appui au projet de loi. «C'est vraiment une honte pour le Québec, c'est un scandale.» Il était d'autant plus fâché que le député et prêtre Raymond Gravel a voté contre. «Il devra éventuellement encourir des peines canoniques.» Selon lui, cela s'ajoutera au lourd «dossier incriminant» de cet abbé pas très catholique.
Le projet de loi C-484 a été adopté en seconde lecture mercredi soir par la Chambre des communes par un vote serré de 147 à 132. Seulement 11 femmes ont voté pour. Il n'a toujours pas force de loi puisqu'il doit encore être étudié en comité parlementaire. Il s'agissait d'un projet de loi dit «privé», c'est-à-dire piloté par un député. Il vise à faire en sorte, par exemple, que le meurtrier d'une femme enceinte soit accusé non pas d'un, mais de deux meurtres. Les groupes de défense du droit à l'avortement y voient au contraire un cheval de Troie qui placera, d'un point de vue légal, les droits des futures mères et ceux de leur foetus en compétition.
Harper appuie la loi
Le député parrain de la loi, Ken Epp, a récolté des appuis de taille. Le premier ministre Stephen Harper a voté en faveur de sa loi, tout comme 118 des 122 députés conservateurs présents en Chambre (sur 126). Les quatre s'étant opposés à cette loi sont les ministres Josée Verner, Lawrence Cannon et Gordon O'Connor ainsi que la députée Sylvie Boucher.
L'indépendant André Arthur a voté en faveur. Chez les libéraux, 27 députés ont fait de même, soit principalement les membres du caucus informel pro-vie. Le chef Stéphane Dion n'était pas en Chambre pour le vote. Tous les bloquistes présents (45) ont voté contre, y compris Gilles Duceppe. Chez les néo-démocrates, seul Peter Stoffer a voté en faveur du projet de loi. Le chef Jack Layton a d'ailleurs indiqué qu'il exigerait des explications. «C'est évidemment le début d'une recriminalisation de l'avortement et c'est la raison pour laquelle le NPD s'oppose à ce projet.»
Les députés qui appuyaient ce projet de loi ont organisé une petite fête en fin de soirée mercredi pour célébrer leur victoire. Ken Epp confirme qu'elle a bien eu lieu mais qu'il n'a pas pu y participer. M. Epp avait la victoire modeste hier, rappelant que son projet de loi devait encore passer l'étape du comité parlementaire -- où des projets de loi du gouvernement doivent être étudiés en priorité -- puis celle du Sénat.
Inspirée de la droite religieuse américaine
M. Epp voudrait faire taire ses détracteurs qui associent son projet de loi à une tentative hypocrite de recriminaliser l'avortement au Canada. «Une femme enceinte qui marche dans la rue en promenant son petit chien et en tenant un sac à main sait que, si on s'attaque à son chien ou si on lui vole son sac, la loi prévoit des sanctions. Mais si on s'en prend à ce qui lui tient le plus à coeur, son bébé, il n'y a rien.» Seuls cinq meurtres de femmes enceintes ont été recensés au Canada.
Le projet de loi stipule clairement qu'il n'a pas pour but de criminaliser l'avortement, mais les groupes pro-choix n'en ont cure. «Une fois qu'une personne aura été reconnue coupable de meurtre sur un foetus, la Cour suprême pourra utiliser ce verdict comme un précédent pour conclure que le foetus est un être humain», indique Patricia Larue, directrice générale de l'Association pour la liberté de choix. Et, d'ajouter Joyce Arthur, de la Coalition pour le droit à l'avortement, «une fois que les foetus seront reconnus comme des personnes, nous aurons perdu la bataille»!
«Il y a 37 États aux États-Unis qui ont des lois similaires, ajoute Mme Arthur. Plusieurs contiennent une telle clause à propos de l'avortement et, pourtant, cela n'a pas empêché des femmes d'être arrêtées et poursuivies dans ces États.» Elle rappelle le cas de Gerardo Flores, au Texas, qui avait sauté sur le ventre de sa jeune copine à la demande de celle-ci dans le but d'interrompre sa grossesse. Il a écopé d'une peine de prison à vie. La jeune femme n'a pas été poursuivie car l'avortement est encore légal...
Campagne Québec-vie n'est pas le seul groupe pro-vie à avoir associé ce projet de loi à une première étape vers la recriminalisation de l'avortement. Un groupe d'intérêt a notamment été lancé sur le populaire site Facebook en faveur du projet de loi C-484, décrit comme «une importante étape vers la recriminalisation de l'avortement».
Les élues libérales avaient la mine déconfite après le vote mercredi soir. En privé, plusieurs ont exprimé leur mécontentement envers leurs collègues masculins du caucus qui ont, par leur vote, permis de faire passer cette loi. Elles se sont promis de s'atteler à la tâche et de faire des représentations afin que le prochain vote soit négatif.
«Les gens qui ont voté en faveur de cette loi ne savaient peut-être pas que c'est précisément le mécanisme qu'a utilisé la droite religieuse aux États-Unis pour rouvrir le débat sur l'avortement», explique la députée Bonnie Brown.
M. Dion a pris la peine de préciser que le vote de ses 27 députés ne reflètent pas la position du Parti libéral. Il se réjouit que le vote n'avait pour but que d'envoyer le projet de loi en comité. «Si c'était un vote plus déterminant qui affecterait directement la population canadienne, on regarderait cela de plus près.»
La Bloc québécois a interrogé la ministre Josée Verner en Chambre des communes. «À la veille de la Journée internationale des femmes, c'est avec indignation que nous avons vu le projet de loi [...] être adopté», a lancé Nicole Demers. «Puisque la ministre du Patrimoine canadien, de la Condition féminine et des Langues officielles a voté contre, entend-elle venir en comité défendre sa position et est-elle prête à tout faire pour convaincre ses collègues?» Mme Verner a seulement répondu qu'elle n'avait pas «de leçon à recevoir sur comment [elle] souhaite aborder cette question».
Les pro-vie crient victoire
Le projet de loi sur les foetus est vu comme une étape vers la recriminalisation de l'avortement
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé