Jacques Parizeau disait dans son allocution d’appui au Parti Québécois : « C’est avec des idées claires que l’on fait de la bonne politique ». Il a certainement raison si on entend par là qu’il faut savoir ce que l’on veut et où on s’en va.
Personne n’accusera Parizeau de ne pas avoir les idées claires ni Louis Bernard d’ailleurs, deux hommes qui veulent très clairement l’indépendance du Québec. Si ces deux hommes ont la crédibilité et l’honorabilité qu’ils ont aujourd’hui, ils le doivent cependant à leur implication dans un monde qui n’est pas gouverné par les idées claires.
Dans le monde réel, on ne cesse de parler de ses idées et de protester de leur clarté. Il faut
aimer les idées en autant que l’on dise qu’aucun système ne dure. Il faut aimer les idées en autant que l’on admette que les bonnes idées viennent souvent après, après s’être donné la liberté de vouloir, après avoir choisi au-delà de l’appartenance à un système.
Dans le monde réel, on ne cesse d’accuser ses adversaires d’être des têtes molles ou d’être des têtes trop dures. L’expression « idées claires » revient si souvent qu’on est tenté d’y voir un objet de prédication, un outil de polémique.
Les idées claires, on a certainement raison de les prêcher à l’intention des jeunes à l’école quand on leur demande d’ordonner leurs propos. On a certainement raison de les prêcher quand il s’agit de reconnaître sa destination et d’en cerner l’identité.
Le danger surgit quand les « idées claires » viennent secourir des classifications arbitraires, des idées qui en soi ne s’opposent pas mais que l’on veut dresser dans un système d’opposition. Sur le terrain de la politique, on aime les systèmes de contradiction car ils permettent de se dresser dans l’héroïsme.
Lors du dernier référendum, la population voyait très bien le Québec, république souveraine, ne participant plus à un fédéralisme interprovincial tout en participant à une nouvelle union. Cela fit dire au gouvernement libéral de l’époque que la population du Québec en votant n’avait pas su qu’elle se heurtait à une contradiction essentielle et insoluble.
La prochaine fois, s’il y en avait une, la population devrait avoir les « idées claires ». Et on jugerait en haut lieu de la clarté de ses idées. On saurait juger en évaluant la faculté de la population de se soumettre à leur grille, classant les idées réputées essentiellement contradictoires et insolubles.
Les « idées claires » tout à coup sont un objet intouchable à appréhender de l’extérieur, une pure objectivité. Posées de cette façon, les « idées claires » sont un mythe. Nous avons la liberté de définir les idées.
Ce n’est pas parce qu’on est nationaliste qu’on est pas universaliste. Ce n’est pas parce qu’on est indépendantiste qu’on n'est pas inclusif. Ce qui compte c’est le libre consentement du Québec de se définir, de décider de son statut, et de se rallier aux autres nations sous le mode qui lui convient. Qu’on cesse de toujours faire croire que cela est impossible en vertu d’idées transcendantes qui stipuleraient des opposés aussi nécessaires qu’insurmontables.
Va pour les idées claires en autant que l’on sache que beaucoup d’idées claires sont le pur produit d’un dressage. Quand on a accusé la population d’avoir voté oui sans s’être vu dissociée du reste du continent, les ténors fédéralistes ont blâmé le manque d’idées claires. Ce n’était pas un manque de « clarté ». C’est simplement que la population ne s’est pas rendue à l’arbitraire idéologique de la classe politique.
La population eut assez d’élan vital pour déborder de la petite lagune des contenus officiels. C'est au Québec d'élaborer ses méthodes, ses lois par l'expérience qu'il veut bien avoir. L'opinion publique canadienne, avant même que le processus de décision au Québec soit vraiment entamé, frissonne, évoque des facteurs de déstabilisation géopolitique gravissimes.
En 1982, on a défini le Québec comme province annexée. La Cour suprême a ajouté que cette codification pouvait avoir lieu si elle ralliait la majorité des provinces. Où se situe le libre consentement du Québec comme critère dans ce tableau? On n’a pas jugé opportun de s’en faire une idée claire.
Avoir les « idées claires » c’est poser la volonté de la nation québécoise comme condition première, raison inaliénable qui doit présider à l’élaboration du cadre politique dans lequel elle veut vivre. Le Fédéral avance que, lui, est le représentant de l’unité du multiple, détenteur d’une plus-value universelle, plus nécessaire que la démocratie québécoise, aussi apte à la représenter qu’elle-même grâce à son système d’affiliation partisane. On veut canaliser la volonté québécoise à l’intérieur des partis politiques canadiens.
Aimer les idées claires, oui. Essayer de faire passer le fait que le Québec soit une province pour une règle aussi nécessaire que celles de la géométrie, non. Stephen Harper a dit que les députés fédéralistes étaient des représentants privilégiés du Québec. Tout cela parce qu’ils sont les porte-paroles d’un système qui se veut accompli et qui a décidé de la règle d’inclusion du Québec sans son approbation.
Il était totalement cynique d’entendre Harper dire : Mon Canada inclut le Québec en sortant de la résidence de la gouverneure-générale. Utiliser des phrases comme « ils veulent briser ce pays que j’adore », alléguer que le Canada est un pays pour faire passer le système décidé unilatéralement par les provinces comme un droit de la nature, parler de la suprématie des idées claires pour expliquer que le Québec doit aboutir à des idées fédéralistes, rien de cela ne présente la marque d’un débat démocratique.
Et c’est comme cela que le débat se déroule au Canada quand il est question d’unité nationale. Au Canada, on voudrait que les idées tirent leur clarté des mécanismes fédéraux et de la logique fédéraliste. On voudrait juger de la bonne volonté québécoise par son pouvoir de s'y ajuster.
André Savard
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
15 décembre 2008M. Savard, ce que vous décrivez correspond, à mon avis à la prison dans laquelle tournent en rond les québécois depuis des centaines d'années et plus particulièrement depuis au moins 40 ans.
L'encadrement est le suivant : tu penses comme un fédéraliste, tu sais réfléchir (ça, c'est le bien), tu penses comme un souverainiste, alors ton esprit déraille (ça, c'est le mal). Dans un rapport entre une majorité (fédéraliste canadienne) et une minorité (souverainiste québécoise), il faut que la capacité de penser par soi-même pour se libérer soit forte.
Je suis encore en maudit de la directive de Jean Charest à Pauline Marois, lorsqu'il lui a demandé de ne pas parler de souveraineté dans le présent contexte de difficultés économiques actuelles. Quel message vicié ! Le salut ne peut être que dans la soumission au fédéral et non dans la réalisation de notre souveraineté.
Pour devenir grand dans le monde d'aujourd'hui, il va falloir commencer à penser plus petit. Ainsi, un petit pays deviendra grand. Question de meilleur gestion.....