Légitime, la violence?

IDÉES - la polis


L'histoire montre qu'une grande crise peut mener à l'apathie, au découragement, mais aussi à la radicalisation, à l'émeute au totalitarisme. Photo: Reuters


Depuis une bonne trentaine années, la violence apparaît comme un véritable tabou dans les sociétés dites «occidentales». Les intellectuels ont déserté les idéologies plus ou moins ouvertes à l'idée de violence politique. Le terrorisme, le plus souvent associé à l'islamisme radical, et qui en est la forme extrême, est apparu comme la figure du mal absolu.
De même, la révolution, qui constituait l'horizon de bien des projets ou des espoirs politiques d'extrême gauche, a été délaissée massivement, là aussi discréditée par l'islamisme qui l'a porté dans la dernière grande expérience révolutionnaire, en Iran, ou dans le terrible drame algérien des années 90.

En Irlande du Nord, l'IRA a accepté de déposer les armes, en Espagne, l'ETA est en perte de vitesse, et la séquestration, puis la libération d'Ingrid Betancourt par les FARC, en Colombie, ont été l'occasion de comprendre comment le discours émancipateur d'une guérilla pouvait recouvrir des pratiques plus proches de la criminalité économique que de l'action politique. Finalement, seul le Che a survécu à la débâcle des soutiens à la violence politique dans nos sociétés; mais chacun sent bien qu'avec lui, c'est une figure christique, largement mythique, qui est entourée d'une aura, et non pas un acteur concret de la guérilla.
Pourtant, la crise qui s'ouvre depuis quelques mois ne va-t-elle pas susciter un retour des idéologies favorables à la violence? La question mérite d'être posée. D'abord, parce que l'histoire montre qu'une grande crise peut mener à l'apathie, au découragement, mais aussi à la radicalisation, à l'émeute, au totalitarisme. Ensuite, parce que quelques signes récents indiquent un léger déplacement dans le débat public. L'expérience française est peut-être exceptionnelle, mais elle apporte peut-être aussi une indication.
»Gauche de la gauche»
En France, on a vu récemment le leader de la LCR, Olivier Besancenot, acteur le plus important de la «gauche de la gauche» dans ce pays, marquer sa solidarité vis-à-vis un membre d'Action Directe, groupuscule terroriste des années 80, autorisé à sortir de prison sous conditions, et appelé par la justice à y retourner pour avoir tenu en public des propos montrant qu'il ne regrettait pas ses crimes du passé.
Plus récemment, des actes de sabotage de lignes SNCF ont été attribués par le pouvoir à l'ultragauche, et si pour l'instant rien n'est établi par la justice, cet épisode a été l'occasion de découvrir la vitalité de courants se réclamant de projets insurrectionnels, et n'excluant pas, en théorie, le recours à la violence.
L'important ici n'est pas la réalité de la violence: personne ne peut croire que la LCR puisse se préparer à agir de manière violente, et encore moins terroriste, et on ne sait pas encore à coup sûr qui a saboté les lignes de la SNCF. Mais un climat existe, une sensibilité s'exprime, pour faire preuve de compréhension à l'égard de radicalités qui furent violentes hier (Action Directe) ou qui prôneraient le sabotage et, de là, la violence insurrectionnelle aujourd'hui et demain.
Cette sensibilité ne débouche pas nécessairement sur des actes, et même le plus souvent les récuse. Elle exprime une colère sociale, une critique exacerbée de la politique du gouvernement, elle témoigne, aussi, de la faiblesse des mouvements sociaux, qu'il s'agisse des limites du syndicalisme, ou du déclin de l'altermondialisme, tout comme elle se déploie dans un contexte de crise politique de la gauche - qui par exemple ne gouverne en Europe, rappelons-le, qu'en Espagne et au Royaume-Uni. Un espace s'ouvre, aujourd'hui, pour apporter une légitimité intellectuelle ou idéologique à des opinions relativement ouvertes à la violence, en tout cas compréhensives.
Wieviorka, Michel
L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.


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