L'usage du mot «nous» pour désigner les membres de la nation civique québécoise est incontournable: il englobe toutes les personnes de citoyenneté canadienne -- et j'espère bientôt québécoise -- qui habitent notre territoire. Seuls, quelque 75 000 citoyens ont une autre appartenance. Ce sont les Amérindiens et les Inuits qui habitent des portions désignées de notre sol que nous gérons de concert avec eux. Ils ont leurs propres nations, plus vieilles que la nôtre et formellement reconnues par notre Assemblée nationale depuis 1985.
Sous peine de dérives inacceptables, tous les autres citoyens du Québec font partie de notre nation, sont régis par les mêmes lois et ont les mêmes droits. La minorité historique anglophone, environ 10 % de la population, dont les deux tiers sont bilingues, jouit d'un statut linguistique différent. Quant aux Québécois issus de l'immigration, ils n'ont pas, comme tels, de droits particuliers puisque, en accédant à notre espace civique, ils acquièrent les mêmes que tout le monde.
Beaucoup plus que civique
Il est évident que ce «nous» formel aux contours juridiques faciles à définir n'est pas suffisant pour désigner le périmètre de quelque nation que ce soit. Une nation n'est pas que civique. C'est un groupe humain constitué au fil des ans et qui se définit par une foule d'autres facteurs plus complexes, comme la culture, la langue, l'histoire, la solidarité socio-économique, les rêves et les projets communs. Ce sont toutes ces autres dimensions du «nous» que les nouveaux arrivants, avec notre aide fraternelle et vigilante, ont le devoir d'assumer selon des rythmes divers et des degrés variables.
Multiculturel, non
Toutes les mutations qu'on attend d'eux, dont la connaissance de la langue est la plus urgente, ne peuvent pas être réalisées à court terme, mais leur nécessité doit être connue et acceptée des migrants avant même qu'ils n'arrivent ici. [Une telle intégration est évidemment incompatible avec le multiculturalisme qui tend à l'entraver->9362]. Le Canada est le seul pays au monde à avoir commis l'imprudence d'inclure un tel concept dans sa constitution que le Québec n'a d'ailleurs jamais acceptée. Peu de gens d'ici s'acharnent encore à défendre une thèse aussi «perverse et néfaste», selon l'expression de Jean-Claude Corbeil, et tout autant réprouvée par le juriste Julius Grey que par Neil Bissoondath qui la décrit comme «la plus grande barrière à l'intégration parce qu'elle crée des ghettos et impose des stéréotypes».
Multiethnique, évidemment
Évidemment le Québec est multiethnique depuis ses origines et de plus en plus, mais tous ses gouvernements contemporains ont tourné le dos à l'approche multiculturelle dont les immigrants seraient les premières victimes; ils ont tous plutôt préconisé la convergence culturelle. Cela consiste à enrichir par divers apports le tronc original principal planté il y a plus de quatre siècles par les colons qui ont fondé la Nouvelle-France.
Le métissage avec des Amérindiens en fut un des premiers jalons. La conquête britannique nous amena des Anglais, des Écossais, des Irlandais. Puis, surtout après la Seconde Guerre mondiale, des gens d'Europe de l'Ouest et de l'Est ont rejoint notre espace national. Un grand nombre de survivants de la Shoah sont venus s'établir ici malgré le «none is too many» de Mackenzie King.
L'époque contemporaine nous a donné des compatriotes dont les racines sont aux Caraïbes, en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Les cas d'intégration parfaite et exemplaire ne se comptent plus. Mais toutes ces heureuse additions ne doivent en rien atténuer l'importance déterminante des souches initiales et de leur parcours historique. Le contraire, en plus d'être une négation du réel, serait d'une odieuse ingratitude.
Bilingue, non
Pas plus que multiculturel, le Québec n'est bilingue. Il est francophone et, depuis Robert Bourassa le français est formellement sa langue officielle après avoir été, dans les faits et depuis toujours, sa langue nationale commune. Prétendre le contraire ne pourrait que faire du nouvel arrivant une victime, en lui faisant croire qu'il peut, sans conséquence, choisir une autre langue d'usage que celle de son nouveau pays. La réalité, quoique très améliorée par la loi 101, demeure préoccupante: à Montréal, la moitié des immigrants travaillent en anglais, et une majorité d'allophones en font leur langue d'usage. Quarante pour cent de ceux qui ont fréquenté les écoles primaires et secondaires francophones vont au collège en anglais. Ce n'est bon ni pour eux ni pour l'ensemble de la nation. Il faut trouver des moyens de corriger ces inquiétantes anomalies.
Et ailleurs...
Tous les pays d'immigration s'imposent le devoir d'intégrer les nouveaux arrivants et ne cherchent pas à les leurrer, comme le Canada, par un multiculturalisme constitutionnalisé. La France et les États-Unis, entre autres, pratiquent une plus grande vigilance que nous en exigeant des nouveaux arrivants des compétences linguistiques et civiques préalables à l'accès à la citoyenneté. Comment bien exercer, notamment, le droit et le devoir fondamental de voter si on ne sait rien des institutions et qu'on ne peut suivre les débats médiatiques qui jouent un rôle si fondamental dans nos démocraties?
Tout assumer
À terme nos nouveaux compatriotes sont donc conviés à tout assumer. Suivant leur niveau culturel et d'éducation, ils sont invités à connaître aussi bien Champlain et Frontenac que Jeanne-Mance et Marguerite d'Youville. Ils doivent chercher à intégrer peu à peu à leur nouveau bagage historique aussi bien les Patriotes que Jean Lesage et René Lévesque. Ils doivent tenter d'inclure Félix Leclerc, Gaston Miron, Maurice Richard et les autres dans leur québécitude en construction. On sait évidemment qu'ils n'oublieront jamais complètement leur terre d'origine, et c'est tant mieux car ces diverses réminiscences nous enrichissent tous.
Une belle forêt
Les devoirs et les défis de l'intégration sont donc aussi essentiels qu'exaltants, et ils constituent une condition préalable à une vie nationale harmonieuse. Il ne saurait être question de [«jeter nos souches dans le feu de la Saint-Jean»->archives/peuple/bouchardsouches.html], comme l'a dit en 1999 Gérard Bouchard, qui devra maintenant proposer quelque chose de plus conforme à notre destin à l'issue de la commission qu'il préside avec Charles Taylor, lui-même descendant de Madeleine de Verchères!
Tous deux devraient plutôt présenter nos souches comme le terreau initial d'une belle forêt laurentienne, majoritairement peuplée de ses espèces vernaculaires, mais toujours désireuse de les enrichir d'essences exotiques à condition qu'elles s'y acclimatent comme le veut la sagesse de la nature elle-même.
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Bernard Landry, Ancien premier ministre du Québec
Le véritable «nous»
Les devoirs et les défis de l'intégration sont donc aussi essentiels qu'exaltants, et ils constituent une condition préalable à une vie nationale harmonieuse
Le "Nous" - l'expérience québécoise
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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