Tout l'exercice auquel le premier ministre Charest avait convié le gratin économique québécois cette semaine à Lévis reposait sur un énorme sophisme qu'il avait énoncé dans son discours de mercredi soir: «Ici, nous allons nous détacher de l'échéance du prochain budget pour que nos décisions difficiles d'aujourd'hui ne soient pas nos problèmes de demain.»
En réalité, c'est en escamotant ces décisions difficiles et urgentes que les problèmes de demain risquent de devenir insolubles. C'est comme si M. Charest avait dit: la maison est en feu, mais plutôt que de l'éteindre, tâchons de voir de quoi elle pourrait avoir l'air dans vingt ans.
Il a poursuivi sur le même ton en conférence de presse. Pourquoi avoir volontairement esquivé la problématique budgétaire? «On a l'occasion d'en parler tous les jours.» Il aurait fallu ajouter: en privé.
Puisqu'il lui fallait bien démontrer une certaine volonté de s'attaquer au déficit, M. Charest a rappelé que «le gouvernement a fait adopter la loi 40 qui nous force à équilibrer le budget dans cinq ans». En réalité, il a plutôt modifié la loi antidéficit que le gouvernement Bouchard avait fait adopter pour la rendre moins contraignante.
Quant à l'utilité de déplacer des gens aussi occupés pour dégager des consensus sur des questions qui faisaient déjà l'unanimité, le premier ministre a expliqué sans rire que «cela permet l'adhésion».
Jeudi matin, il était un peu pathétique d'entendre Madeleine Poulin, chargée d'animer les échanges, faire l'interminable lecture de la synthèse des propositions des comités de vigie, qui semblaient autant de recettes pour bien réussir la tarte aux pommes: assurer la formation de base de toutes les personnes désireuses d'accéder au marché du travail, remédier à l'analphabétisme, favoriser une meilleure organisation du travail, soutenir les entreprises innovantes, être plus entreprenant... Il suffisait d'y penser!
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Les invités de M. Charest ne voulant pas être impolis, personne n'a osé lui dire ouvertement qu'il y a des limites à rire du monde. Officiellement, la rencontre «pouvait être utile». À micro fermé, c'était simplement «un show de boucane».
Seul le président du conseil de BMO, Nesbitt Burns, Jacques Ménard, a manifesté un peu d'impatience en déclarant qu'un jour ou l'autre, «il faudra se donner un agenda clair et résolu» pour revenir à l'équilibre budgétaire et éliminer la dette.
Il faut dire que M. Ménard a déjà joué dans ce film et il ne tenait sans doute pas à reprendre le rôle du dindon de la farce. À l'issue du Forum des générations, en octobre 2004, on lui avait demandé de présider un énième comité sur le financement du système de santé, dont le rapport a été aussitôt tabletté.
Cette fois-ci, M. Charest a au moins eu la décence de confier à ses ministres le soin de se pencher sur des dossiers comme la formation professionnelle, la recherche et l'innovation, l'économie de Montréal, etc. Bref, de faire ce pour quoi ils sont payés.
Peu importe le domaine d'intervention, une réalité demeure incontournable: sans marge de manoeuvre financière, les meilleures propositions demeureront des voeux pieux, notamment en matière d'éducation, à laquelle tout le monde accorde la priorité.
Dans son discours d'ouverture, M. Charest a souhaité que nos universités deviennent un «pôle d'attraction» pour les cerveaux du monde entier. Précisément, en haussant les frais de scolarité pour le MBA à 30 000 $, malgré les objections de la ministre de l'Éducation, l'Université McGill vient de démontrer ce qu'il en coûte pour faire partie de l'élite mondiale.
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Pour le premier ministre, le plus intéressant dans cette rencontre a semblé être qu'elle soit maintenant chose du passé. Cela lui permet de passer à ce qui semble l'intéresser le plus ces temps-ci: les voyages. Jeudi, il ne cachait pas son plaisir à la pensée de participer au Forum économique de Davos — un vrai, celui-là —, qui sera suivi d'un grand périple en Inde.
En réalité, il se serait bien passé de la séance de bavardage de Lévis. À l'issue d'une réunion du caucus de ses députés à la fin de l'été, il parlait d'un «grand dialogue» sur les finances publiques, mais ses plans avaient manifestement changé depuis. Le seul qui semblait continuer à y tenir était le ministre des Finances, Raymond Bachand.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure M. Charest pensait vraiment de donner un grand coup pour résoudre le problème budgétaire, mais il a clairement opté pour une approche modérée. À moins que le budget de mars réserve une grosse surprise, une augmentation importante des tarifs d'électricité ne semble plus être envisagée dans un proche avenir.
L'avantage financier saute aux yeux, mais le coût politique pourrait être élevé. Selon un sondage Léger Marketing-Journal de Montréal, 87 % des Québécois s'y opposent. Il indique aussi que 68 % appuient la position du gouvernement dans les négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public.
Pourquoi se compliquer la vie en mélangeant les pommes et les oranges? Le rapport de forces pourrait changer si les syndicats prenaient la tête de l'opposition aux hausses de tarifs.
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