jeudi 13 janvier 2005
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Depuis plusieurs semaines, presque pas une journée ne passe sans qu'un ou plusieurs experts, médecins, professeurs, chercheurs, urbanistes et autres anciens premiers ministres donnent publiquement leur avis sur le meilleur emplacement pour le CHUM.
Il y en a pourtant un qui s'est réfugié dans le mutisme le plus complet sur le fond de la question depuis des mois. Il se nomme Philippe Couillard, éminent neurochirurgien, accessoirement ministre de la Santé du Québec.
Jusqu'à l'annonce de la nomination d'un nouveau duo d'experts, vendredi dernier, son ministère n'avait diffusé aucun communiqué ayant un quelconque rapport avec le CHUM depuis le 23 juin 2004, quand le gouvernement avait donné le feu vert à sa construction sur le site de l'hôpital Saint-Luc.
Mardi, M. Couillard a brièvement fait allusion à ce dossier à l'occasion d'une conférence de presse convoquée pour annoncer une consultation à propos de la loi sur le tabac, mais c'était seulement pour justifier la décision de ne rien décider.
Quand on y pense, ce silence est aberrant. Le gouvernement doit décider du plus important projet d'immobilisation dans le domaine de la santé de toute l'histoire du Québec, et le ministre responsable est le seul à n'avoir rien à dire à ce sujet!
Tant qu'il s'agissait simplement d'une question de coût, il pouvait toujours être justifié de s'en remettre à un comité externe, encore que Daniel Johnson et Brian Mulroney n'avaient pas d'expertise particulière à faire valoir.
La donne a cependant changé. De l'aveu même du premier ministre Charest, il ne s'agit plus de choisir entre deux sites mais entre deux projets de nature totalement différente. Par définition, on ne demande pas à deux individus, si compétents puissent-ils être, de faire un choix de société.
À titre de ministre de la Santé, M. Couillard a la responsabilité d'identifier clairement, et de défendre au besoin, le projet qu'il croit être du meilleur intérêt des malades et des contribuables québécois. L'espèce de neutralité dans laquelle il se réfugie s'apparente à de la démission.
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Au-delà des bravos de circonstance qui ont accueilli l'arrivée de Guy Saint-Pierre et Armand Couture dans le dossier, les partisans du site Saint-Luc ne s'y sont pas trompés: jamais il n'avait été question de prendre en compte la «synergie» qui résulterait du regroupement du CHUM avec les facultés des sciences de la santé de l'Université de Montréal. Changer les règles du jeu en cours de partie a un nom: cela s'appelle de la tricherie.
Doit-on conclure que les pressions du puissant lobby orchestré par le recteur de l'UdeM, Robert Lacroix, et le financier Paul Desmarais ont réussi à faire plier le gouvernement et que le véritable mandat du nouveau duo est de lui fournir un argumentaire?
Curieusement, on ne lui a pas demandé d'évaluer les besoins d'espace qu'invoque l'université à la défense de son projet de technopole. Pourtant, le ministère de l'Éducation les estime sept fois moins importants. Minimalement, une vérification s'imposerait. Il est vrai que la liste des inconvénients du site d'Outremont recensés à ce jour est déjà très impressionnante, à en croire le document du Conseil exécutif dont Le Devoir faisait état hier.
En juin dernier, M. Couillard ne savait sans doute pas dans quel guêpier il se fourrait en faisant siennes les conclusions du comité Johnson-Mulroney, qui recommandait le site Saint-Luc. S'il avait maintenu la décision du gouvernement péquiste, qui lui avait préféré le 6000 Saint-Denis, le recteur Lacroix s'en serait accommodé.
S'il est demeuré silencieux en public au cours des derniers mois, M. Couillard ne s'en est pas moins employé, en coulisses, à défendre son choix de juin. Si le gouvernement opte malgré tout pour le site d'Outremont, il s'agira d'une sérieuse défaite personnelle pour le ministre de la Santé.
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Remarquez, ce ne serait pas la première couleuvre qu'il avalerait. Il semble même y prendre goût. En bon soldat, il a maintenu dur comme fer que le gouvernement avait tenu son engagement d'investir 2,2 milliards dans le réseau de la santé en 2004-05 alors que la supercherie comptable permettant d'arriver à ce chiffre sautait aux yeux de tout le monde.
Quand il a tenté d'expliquer pourquoi il était préférable que le commissaire à la santé relève de lui plutôt que de l'Assemblée nationale, comme le PLQ l'avait pourtant promis, M. Couillard ne semblait pas croire lui-même un mot de ce qu'il disait.
Malgré tout, sa popularité demeure intacte. Selon le dernier sondage Léger-Marketing, lui et son collègue des Finances, Yves Séguin, sont nettement les ministres les plus populaires. Dans l'hypothèse d'un remaniement, il est le seul que personne n'imagine à d'autres fonctions.
Dans son cas, la seule promotion possible est de succéder éventuellement à Jean Charest. Il y a cependant un prix à payer. Même s'il est sincèrement convaincu qu'il serait préférable d'installer le CHUM au centre-ville, il serait politiquement suicidaire de partir en croisade ouverte. Un aspirant au poste de chef du PLQ ne peut pas se permettre de s'aliéner les redoutables amis du recteur Lacroix, qui semblent en faire une affaire personnelle.
En 1993, Gérald Tremblay, qui convoitait la succession de Robert Bourassa, avait découvert à son grand désarroi qu'il n'y arriverait jamais sans l'appui de l'establishment financier, qui lui préférait Daniel Johnson. M. Couillard n'a certainement pas la naïveté de croire qu'il pourrait s'en passer. Un beau cas de silence valant de l'or.
mdavid@ledevoir.com
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