Selon le physicien Serge Galam, un phénomène d'«abstention différenciée» pourrait entraîner la victoire de Marine Le Pen sans que les sondages se trompent sur l'estimation des intentions de vote. Ce scénario illustre les forces et faiblesses du front républicain.
Serge Galam n'est pas sondeur, mais physicien et chercheur au CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po. Inventeur de la sociophysique, il a prédit l'élection de Donald Trump et la défaite d'Alain Juppé à la primaire de la droite. Alors que les sondages annoncent une large victoire pour Emmanuel Macron, malgré un léger resserrement, le scientifique estime que Marine Le Pen peut l'emporter.
● Marine Le Pen ne peut pas franchir la barre des 50% d'intention de vote…
Serge Galam ne remet pas en cause les intentions de vote. Comme il l'a expliqué à L'Express, il obtient avec son modèle mathématique «les mêmes conclusions que tous les sondeurs: Marine Le Pen perd l'élection» car «en termes d'intention de vote, elle ne peut pas dépasser la barre des 50%» stoppée par le front républicain.
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Mais Marine Le Pen aurait une alliée de poids, l'abstention, qui pourrait retourner la situation. Serge Galam met en évidence ce qu'il nomme l'«abstention différenciée», qui rend compte d'une forme d'abstention cachée ou honteuse et qui lui fait dire que «la victoire de Marine Le Pen est possible».
● Mais l'«abstention différenciée» pourrait la faire gagner
Serge Galam prend l'hypothèse dans laquelle les intentions de vote sont proches de celles annoncées par les sondages, avec 42% pour Marine Le Pen et 58% pour Emmanuel Macron. Dans ce cas, si 90% des électeurs du FN se déplacent le jour du vote, mais seulement 65% de ceux d'En Marche!, alors Marine Le Pen l'emporte à la fin avec 50,07%. Pour Macron, le seuil de mobilisation pour atteindre les 50% est alors de 65,17%.
L'hypothèse d'une si faible mobilisation des électeurs d'En Marche! peut paraître improbable, mais le physicien démontre que plus les intentions de vote en faveur de Le Pen sont fortes, plus l'abstention différenciée joue en sa faveur. Ainsi, toujours dans l'hypothèse où 90% de l'électorat de Marine Le Pen vote, le seuil de mobilisation nécessaire pour qu'Emmanuel Macron franchisse les 50% n'est plus de 65,17% mais de 70,71% quand les intentions de vote sont de 44% pour Marine Le Pen et non plus de 42%. Pour 2 points d'intentions de vote de plus en sa faveur, le seuil de mobilisation nécessaire pour lui augmente de 5 points.
● Forces et faiblesses du front républicain
Pourquoi les électeurs qui auraient l'intention de voter Emmanuel Macron pourraient finalement ne pas se rendre aux urnes? Serge Galam attire l'attention sur les forces et faiblesses du front républicain. Forces car Marine Le Pen ne parvient pas à franchir le cap des 50% d'intention de vote. Faiblesses car le vote pour Emmanuel Macron est pour beaucoup un vote anti-Le Pen. Avec lui, «des électeurs sincèrement anti-FN» pourraient devoir «avaler une pilule très amère», peut-être trop, se déportant ainsi vers l'abstention. «Le jour du vote, toute excuse pourra être bonne pour ‘oublier' d'aller voter», précise-t-il.
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Il y aurait ainsi une forme d'«abstention inavouée» comme il existait un vote honteux pour le FN. Serge Galam estime que l'absence de position de Jean-Luc Mélenchon et l'apparition du hashtag #Sansmoile7mai sur les réseaux sociaux «donne un socle de solidité important» à son hypothèse. D'autant que Marine Le Pen pourrait en user: elle peut favoriser l'aversion pour Emmanuel Macron pour augmenter encore l'amertume de la pilule.
● L'abstention différenciée laisse les sondeurs dubitatifs
«L'abstention différentielle existe effectivement… mais nous la prenons déjà en compte», explique Yves-Marie Cann, directeur des études politiques d'Elabe. «Nous évaluons la certitude d'aller voter sur une échelle de 1 à 10. On laisse de côté ceux qui n'appartiennent pas aux catégories 9 et 10», précise-t-il. Selon lui, il y aurait sinon des «distorsions de vote» car, par exemple, les personnes les plus âgées ou aisées sont davantage susceptibles d'aller voter.
Certains instituts de sondage, dont Elabe, ont aussi choisi de publier les résultats de leurs études pour le second tour de deux façons différentes, d'une part en publiant les suffrages exprimés pour Macron ou Le Pen, d'autre part en affichant également les votes blancs ou nuls et l'abstention pour mieux évaluer les reports de voix.
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Yves-Marie Cann ne croit pas non plus à l'abstention cachée. «Comme au premier tour pour l'hypothétique vote caché en faveur de François Fillon, je ne crois pas que l'électeur qui voudrait s'abstenir rougira devant son écran d'ordinateur?», lance-t-il, rappelant que les sondages ne se font plus par téléphone, mais sur internet.
Le sondeur reconnaît en revanche l'existence d'une «abstention différenciée», mais avec une lecture différente. Au début de la campagne du premier tour, Marine Le Pen frôlait les 30% car son électorat s'est mobilisé avant les autres. Au fur et à mesure de la campagne, la mobilisation de tous les électorats s'est faite, ce qui explique que Marine Le Pen ait baissé relativement aux autres tout en obtenant à la fin un nombre de voix qu'elle n'avait jamais obtenu auparavant. Yves-Marie Cann de conclure: «C'est aussi pour cette raison que l'on répète sans cesse que les sondages ne prédisent pas les résultats d'une élection car la mobilisation des différents électorats progresse au cours d'une campagne électorale».
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