On est capables d’avoir un projet pour un pays québécois canadien […] Tu peux être très québécois et voir une capacité et un désir de développer aussi une appartenance canadienne. On n’est pas obligés d’avoir une vision passéiste où l’identité est unique.
– Jean- Marc Fournier
Ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne
Il n’avait jamais vraiment disparu. Il se contentait d’une existence furtive, d’une présence médiocre au monde et tout entière placée sous le signe de la procuration. L’élection d’une majorité de balayeurs libéraux va propulser à l’avant-scène le Quécan. Le Québécois oblitéré, refoulé dans l’existence autorisée du multiculturalisme et de la vie en sursis du minoritaire toléré dans son propre pays va redevenir une référence forte. Il sera chouchouté encore davantage par Radio-Canada, par les inconditionnels du fédéralisme et les liquidateurs du parti de Philipe Couillard. Il redeviendra la figure de proue du discours de la double légitimité, le parangon du consentement à l’effacement de soi sous les fanfaronnades des impuissants qui se sentent vivre lorsqu’ils se conforment. Ce Québécois dédoublé, c’est le Quécan satisfait de lui-même, imbu de la satisfaction de se savoir utile à la politique des autres. Un Elvis Gratton des identités plurielles, un aspirant à l’Ordre du Canada, de la pâte à savants théoriciens du renoncement inavouable.
Tout à l’ivresse de se laisser définir dans l’espace du bricolage que lui assigne le régime, ce Quécan se fait vantardise de ne pas être autre chose qu’une figure évanescente, un construit autorisé par le canadian nation building. Drapé dans plusieurs identités pour mieux travestir son incapacité à assumer pleinement celle que lui impose son statut de minoritaire impuissant et content de l’être, aspirant à se dire dans deux langues pour n’avoir point à se tenir droit dans celle de ses pères et mères, cette curieuse créature va retrouver le centre de l’actualité provinciale, délivrée enfin du combat contre les repoussants reflets que lui renvoyaient la politique fédérale menée à visière levée par un Stephen Harper qui disait le réel sans vergogne.
Sous Trudeau second nous aurons droit à une politique mieux arrimée aux manœuvres sournoises de l’oblitération culturelle. Grâce à des cohortes d’agents de minorisation qui partout dans les institutions comme dans les médias viendront redire que le Québec n’aura d’intérêts propres que ceux-là que le Canada lui reconnaîtra, tout va vite retomber dans les vieux plis de la rhétorique jovialiste. Le Canada est à prendre tel qu’il est, Harper le répétait sans cesse. Les libéraux vont promettre de l’améliorer et cela fera vibrer les bonnes âmes trop heureuses de se laisser bercer par les rengaines qu’on leur servira pour mieux faire oublier que plus personne au Canada n’a de destin spécifique à proposer au Québec et aux Québécois. Le Quécan sera appelé à faire valoir ses attributs, mais pour mieux endosser les intérêts que le Canada lui prête. Des intérêts de peuple assisté mis en demeure de laisser souiller son fleuve, d’effacer ses terroirs devant les pipelines, de pleurer ses morts le long des convois ferroviaires en se consolant de toucher la péréquation.
Le Canada de Trudeau ne sera pas celui du French Power, mais bien celui du French Bluff, de la politique travestie, livrée dans une mise en scène enrobant les atours du young and wealthy dans le nation building chartiste. Ce sera celui de la nation mâtée, érodée, en progrès vers sa dissolution finale et soulagée de se sentir enfin délivrée d’elle-même. Il n’y a plus de destin pour le Québec dans ce pays, mais il y aura une condition de plus en plus affirmée : celle de la vie par effraction, de l’histoire en mode mineur, de la lancinante rhétorique du compromis, de l’ambition sans cesse détournée dans les chemins qui ne mènent que là où la majorité canadian veut aller.
La tâche des indépendantistes sera exigeante. Il ne sera pas facile de désarmer les pièges de la double légitimité et de la représentation d’une majorité de députés – libéraux, conservateurs et néodémocrates – qui déploieront des moyens considérables à déréaliser le Québec, à l’inscrire dans des définitions canadian de sa situation, de ses défis et de ses aspirations. La difficulté sera d’autant plus grande que le gouvernement du Québec lui-même n’a pas de projet plus pressant que de nous normaliser, de dénationaliser notre demi-État, d’en faire une agence de gestion de la dépendance. Fier d’être assisté, le peuple Quécan de Philippe Couillard est appelé à se tenir bien allongé dans son grabat. C’est une honte, certes, mais nulle part on n’a pu observer que la régression nationale se passe dans l’allégresse.
Il faut reprendre là où la clairvoyance a manqué, là où les stratégies ont failli. Il faut reconnecter les Québécois avec eux-mêmes, les raccorder avec leur passé pour mieux leur donner le goût de faire l’Histoire. C’est une tâche aussi bien culturelle que politique. Il faut réapprendre à se défaire comme à se défendre de la honte de soi dans laquelle le régime tente toujours de nous enfermer. Il faut le faire non pas tant en disant la fierté de ce que nous sommes qu’en refusant d’abord de laisser dénaturer le sens de ce que nous avons accompli et surtout de ce que nous aspirons à devenir. Et pour cela, il faut s’affranchir de la pensée oblique qui charpente trop de discours publics, cette pensée oblique qui domine dans les médias et qui fait confondre pensée critique et autodénigrement, qui incline à consentir au ratatinement plutôt qu’à soutenir la fermeté d’intention.
Bref, il faut réapprendre à nous voir et agir sans se laisser atteindre par les injonctions qui fusent de toutes parts pour nous convaincre de nous laisser distraire de nous-mêmes. Et cela commence par une attitude simple : refuser de se laisser définir comme Québécois francophones. Nous sommes Québécois, tous autant que nous sommes et voulons l’être. Le dédoublement n’a de sens que pour les agents de minorisation, imbibés des catégories de la loi sur les langues officielles du Canada et des référents du multiculturalisme. Se mal nommer empêche non seulement de s’incarner, mais aussi de se resaisir. Se représenter Quécan inhibe l’action, empoisonne la mobilisation.
Sur le plan politique, il faudra réapprendre à penser le réel dans le réel, à partir de l’action bien alignée sur les intérêts. Les indépendantistes doivent comprendre que l’action politique n’est pas tant une affaire de construction d’argumentaires que de combats pour faire valoir, dans tous les domaines, la cohérence des moyens et des fins. Ces combats, ils doivent être portés dans tous les cas où les limitations du régime nous obligent à des compromis qui obscurcissent la conscience claire de nos intérêts nationaux. Il faut reprendre le terrain, reconquérir pouce par pouce l’espace social, politique et culturel que le Canada occupe d’ores et déjà avec son argent comme avec ses pouvoirs et son ordre idéologique. Il faut reprendre la lutte, du local au global, faire primer l’intransigeance sur la mollesse. Cesser de toujours minimiser les pertes. Dans la vie d’un peuple, il arrive que des reculs graves se produisent…
Les indépendantistes sont placés devant la nécessité de ramener la définition du Québec et de ses intérêts au cœur de la représentation de soi. Il leur faut défaire « la conquête du territoire de l’âme » comme disait Pierre Perrault. Et cela ne se fera que dans l’incessant combat contre toutes les manières de se refuser soi-même. Contre toutes les mises en scène du régime qui vient de recruter un nouveau visage pour continuer la même basse besogne. Le Canada n’est pas notre pays. Quand Trudeau prétend le contraire, quand Couillard et ses acolytes prétendent le contraire, quand le cartel médiatique martèle le contraire, c’est pour jeter un écran opaque sur ce que tout dans la réalité vive de notre vie vient démentir : nous sommes un peuple né pour être libre.
Éditorial
Le retour du Quécan
Un peuple né pour être libre
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]
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