Les fêtes nationales se suivent et ne se ressemblent pas. Mais il y a une chose qui ne change pas. Je suis toujours frappé par la capacité de notre peuple à croire que l’avenir sera radieux de toute éternité. Est-ce par devoir de ne pas déprimer les générations qui montent ? Instinct de survie, dira-t-on. Noblesse de coeur, certes. Fierté dans l’adversité, évidemment.
Pourtant, les mines réjouies et les spectacles à grand déploiement ne trompent personne. Il serait fallacieux de croire que cette Saint-Jean se tenait à un moment où le Québec est assuré de son destin. Nous n’en sommes plus là, chacun le sait ou le ressent intuitivement.
Nous sommes à un moment où, si l’on sait ce qui s’achève, personne ne sait vraiment ce qui commence. Qui sait en effet si la tragique défaite de la souveraineté à l’occasion de deux référendums n’est pas définitive ? Si elle n’a pas « cassé un ressort », comme le disait l’ancien premier ministre Lucien Bouchard. Nous sommes même à un moment où personne ne saurait dire si la noble idée d’indépendance survivra de manière suffisamment organisée pour continuer à représenter un courant politique substantiel dans le paysage politique québécois. Il n’est pas exclu qu’après deux défaites, celle-ci devienne un projet à ce point marginal qu’elle apparaisse comme une simple tocade réservée à quelques vieux briscards.
Ce n’est donc pas un hasard si une partie de nos élites se demande depuis quelque temps s’il ne serait pas nécessaire de redevenir des Canadiens français. Louis Balthazar n’hésite pas à trancher la question. Il a beau le déplorer, l’éminent politologue a cru voir dans le débat sur la laïcité « l’échec d’une nation québécoise. Nous sommes redevenus des Canadiens français », concluait-il dans les pages de ce journal.
L’Ontario de Doug Ford aurait-elle réveillé l’âme canadienne-française qui sommeillait en nous ? L’écrivain Alexandre Soublière (La Maison mère, Boréal) nous exhorte à rentrer au plus vite au bercail. Selon lui, l’identité canadienne-française offre une « appartenance plus forte au territoire et aux traditions de notre peuple et pourrait nous aider à mieux nous projeter dans l’avenir ». Elle aurait l’avantage d’exprimer une rupture plus importante avec la France (!) et un plus grand enracinement dans l’ensemble du continent, dit l’auteur.
Comme si, suivant l’exemple tragique de Kerouac, les Québécois avaient besoin de se noyer encore un peu plus dans l’univers anglo-américain qui les cerne déjà de toutes parts. « On ne survit qu’à condition de justifier sa différence », écrivait le grand Fernand Dumont. Que la rupture des années 1960 ait amené les Québécois à rejeter une partie trop importante de leur héritage, et même à le mépriser, on doit le déplorer.
Faudrait-il pour autant se résigner à devenir une ethnie parmi d’autres en réintégrant les habits étriqués d’un Canada français qui n’offre pas l’ombre d’une perspective politique ? Le Canada français est mort tout au long du siècle dernier, de la pendaison de Riel à la crise scolaire en Ontario, écrivait dans Le Devoir l’historien Yvan Lamonde. Un état de fait ratifié lors des états généraux du Canada français en 1967. Au moins les Canadiens français d’hier pouvaient-ils, comme les Irlandais et les Polonais de cette époque, s’adosser à une Église qui leur permettait de rayonner dans le monde.
Rien de tout cela n’existe plus aujourd’hui.
Le sociologue Gérard Bouchard se veut, lui, plus optimiste, mais en même temps terriblement plus flou. Évoquant une vague « volonté de créativité » et un non moins vague « rayonnement culturel », il veut croire qu’« une fois relancé, le Québec se retrouvera peut-être à nouveau à l’étroit dans le cadre canadien ».
C’est oublier que le Québec est d’ores et déjà à l’étroit dans ce cadre, comme l’a montré le débat sur la laïcité. Un débat qui a aussi révélé l’étonnante résilience des Québécois et une capacité à défendre avec tact et intelligence leur caractère distinct sur un continent où règne la pensée unique en ce domaine.
Il est d’autant plus désolant d’entendre nos élites déplorer le retour de ce qu’ils nomment avec dédain « le nationalisme défensif ». Mais, dans quel monde vivent-elles donc ? Le Québec est sorti rapetissé de plus de 40 ans de combat constitutionnel. Il assiste au recul de sa langue dans sa propre métropole. Nombre de ses joyaux économiques sont aujourd’hui propriété étrangère. Ses élites sont largement colonisées par le multiculturalisme ambiant, la nouvelle idéologie de l’Empire qui s’enseigne jusque dans nos écoles. Et on lèverait le nez sur la moindre velléité de se défendre ! Quoi de plus normal qu’un Québec assailli de toutes parts creuse des tranchées et construise des digues ? Bref, qu’il résiste !
Ne serait-il pas paradoxal de jeter l’éponge à un moment où, dans le monde, on assiste justement à un retour des nations ? On a cru l’Histoire terminée, et pourtant, du Brexit à la Pologne, de la Grèce aux gilets jaunes, on ne compte plus les peuples qui refusent de voir leur identité sans cesse rabotée par la mondialisation technocratique. Le Québec fait bel et bien partie de ce monde-là.