Maxime Bernier était le plus visible des nombreux maillons faibles du cabinet fédéral. Même avant que ses frasques ne soient connues du grand public, les paris étaient ouverts sur sa longévité aux Affaires étrangères. Sur la colline parlementaire, il y avait plusieurs mois que les faits et gestes du ministre alimentaient les conversations, et on le disait dans la mire du premier ministre pour la faiblesse de sa performance.
À la lumière de ses prestations publiques, personne ne croyait que M. Bernier ferait le poids contre Bob Rae, son critique libéral attitré. Dans la foulée de son arrivée à la Chambre des communes, il y a deux mois, l'ancien premier ministre ontarien avait rapidement trouvé matière à réclamer la démission du ministre pour incompétence. La mutation de Maxime Bernier vers des fonctions plus obscures était presque certainement une simple question de temps.
Dans ses rêves les plus fous, l'opposition n'aurait cependant pas pu espérer que le gouvernement se montre aussi démuni devant une affaire dont il avait des raisons de connaître l'imminence. L'ineptie de la gestion de crise des conservateurs depuis un mois a eu pour effet de braquer les projecteurs sur la faiblesse de l'équipe gouvernementale et sur l'inefficacité de la mentalité d'assiégé qui est devenue sa marque de commerce depuis son arrivée au pouvoir il y a 28 mois.
Dans les faits, l'affaire Bernier est devenue la pire crise de la courte histoire du gouvernement Harper. Si la tendance au dérapage se maintient, elle pourrait laisser des traces durables sur son image et ses perspectives électorales.
À cet égard, la tuile qui s'est abattue sur le gouvernement est différente de celles qui ont précédé. Contrairement à l'affaire Mulroney, il ne s'agit pas ici d'établir quelque vague culpabilité par association entre le régime en place et son plus éminent partisan. Contrairement à l'affaire Cadman et aux démêlés conservateurs avec Élections Canada, le débat ne met pas en cause la vie de parti du gouvernement, mais bien la gestion conservatrice des affaires de l'État.
Par le fait même, c'est le jugement du premier ministre Stephen Harper, personnage principal (et particulièrement dominateur dans son cas) du régime actuel, qui est remis en question. Les carences mises en évidence par la controverse débordent du cadre de l'affaire Bernier.
Si les conseillers du premier ministre parlaient encore la semaine dernière de changements mineurs au cabinet dans la foulée du départ de M. Bernier, ils sont seuls, en dehors des cercles conservateurs, à ne pas vouloir admettre qu'un virage s'impose.
L'idée que le gouvernement est en proie à une certaine dérive fait plutôt consensus parmi les observateurs. Elle a également des échos dans l'opinion publique. Selon un sondage Harris-Decima, le malaise ne se limite pas à l'affaire Bernier ou à la colline parlementaire fédérale.
Réalisé en marge des rebondissements de la semaine dernière, ce sondage indique que la satisfaction à l'égard du gouvernement a dégringolé de 13 points depuis le début de l'année. Il n'y a plus qu'en Alberta qu'une majorité d'électeurs est satisfaite du travail de l'équipe Harper.
Le bulletin du gouvernement est particulièrement médiocre sur le front de l'économie, la question politique en émergence au Canada. La confiance des électeurs à l'égard de la gestion conservatrice de l'économie s'effondre presque aussi rapidement que leur confiance en l'avenir économique.
Élu sur le thème de l'intégrité et de la saine gestion, le gouvernement Harper ne récolte plus que l'approbation de quatre Canadiens sur dix pour sa performance dans ces deux secteurs. Plus grave encore, dans neuf domaines, dont l'environnement et la santé, la cote d'approbation du gouvernement est désormais inférieure à la proportion de l'électorat qui a appuyé les conservateurs aux dernières élections.
En matière de relations fédérales-provinciales et en dépit de la bonne performance de la cote du fédéralisme au Québec, le gouvernement est très loin de la note de passage. Son piètre score tient à un ressac ontarien. Stephen Harper récolte la rançon amère de la vendetta post-budgétaire menée par son ministre des finances, Jim Flaherty, contre les libéraux de Queen's Park plus tôt ce printemps. Seulement 24 % des Ontariens approuvent la gestion des relations fédérales-provinciales du gouvernement conservateur et seulement 37 % sont satisfaits de l'ensemble de son oeuvre.
Devant autant d'indicateurs négatifs, on pourrait être devant le mouvement le plus important des plaques tectoniques fédérales depuis les dernières élections. Chose certaine, tous les partis attendent avec une certaine nervosité la prochaine fournée de sondages qui mesurera l'ampleur du séisme Bernier sur les intentions de vote.
Tout le monde s'attend évidemment à ce que la cote du gouvernement enregistre un recul. Il pourrait amplifier une tendance défavorable aux conservateurs. Ces dernières semaines, une série de sondages sur les intentions de vote ont donné l'avance aux libéraux dans plusieurs régions canadiennes, à commencer par l'Ontario. Les libéraux n'ont jamais eu autant l'air d'un gouvernement de rechange que ces derniers temps et, surtout, les conservateurs n'ont jamais eu autant l'air d'un parti d'opposition égaré au pouvoir que ces derniers jours.
Au Québec par contre, un sondage CROP publié dans les journaux de Gesca la semaine dernière démontrait que l'impopularité libérale ne se dément pas. Même la remontée importante des troupes de Jean Charest n'a pas eu d'effet positif sur celles de Stéphane Dion. De plus en plus, le Québec fait figure d'obstacle principal entre les libéraux fédéraux et le pouvoir.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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