Le milieu du livre est sur le point de perdre coup sur coup l’Académie des lettres du Québec et le volet national de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Les deux disparitions probables découlent d’un manque de fonds, l’organisme et l’activité ayant perdu trop de leurs subventions.
Ces morts annoncées s’ajoutent à la controverse née de l’association du Prix des collégiens avec le géant du Web Amazon, devenu le commanditaire principal de la récompense. Des instances du milieu comme les finalistes de cette année ont protesté contre ce partenariat avec le site de vente en ligne, jugé déstructurant pour la filière du livre, ici comme ailleurs.
La Journée mondiale du livre et l’Académie disparaîtront donc faute de fonds. Voici le portrait précis d’un côté et de l’autre.
La Journée mondiale, née sous l’égide de l’UNESCO en 1995, se tient le 23 avril de chaque année. Elle multiplie les activités pour encourager la lecture, surtout auprès des jeunes, tout en faisant la promotion du respect des droits d’auteur. La version canadienne a déjà joui d’un budget de 165 000 $. L’an dernier, le Fonds du livre du Canada, lié à Patrimoine canadien, a réduit son soutien de 75 000 à 50 000 $. Cette année, le soutien a complètement disparu.
D’autres conseils, dont celui de Québec et de Montréal, aidaient aussi, mais la disparition du levier fédéral fait s’effondrer la structure financière de l’événement, selon Richard Prieur, directeur général de l’Association des éditeurs de livres (ANEL), un des organismes membres du comité organisateur.
« Il n’y avait pas d’engagement des autres subventionneurs de toute manière, dit-il au Devoir. On a offert aux autres membres du comité organisateur de poursuivre. Il n’y a pas eu de réponses. Donc, c’est mort. La Journée du livre a lieu en avril, mais sa planification devait commencer maintenant. Qu’on se comprenne bien : nous ne lançons pas une espèce d’ultimatum. Nous ne sommes pas en mesure d’organiser la Journée parce qu’on manque de temps et de ressources. »
L’Académie des lettres, née en 1944 à l’initiative d’écrivains et d’intellectuels québécois, se retrouve sans fonds. Le Conseil des arts du Canada ne la soutient plus depuis des années. Le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) a réduit sa subvention de moitié, à 20 000 $, en 2017, en précisant qu’elle ne serait pas renouvelée. La compagnie Power Corporation a fourni 25 000 $ cette année et s’est engagée pour l’an prochain, mais cette aide ne suffit pas.
Les démarches faites auprès du ministère de la Culture n’ont pas porté leurs fruits. Les dirigeants avaient demandé sans succès au premier ministre Couillard que l’État reconnaisse le statut d’Académie nationale en le soutenant par un financement annuel d’environ 115 000 $.
Tous les budgets au Fonds du livre du Canada sont amputés. Pas parce qu’il y a moins d’argent, mais parce qu’il y a de plus en plus de demandes et de projets.
— Richard Prieur
« Nous avons été avertis par le CALQ que nous ne cadrons pas dans les programmes, explique au Devoir Émile Martel, président de l’Académie. Les jurys de pairs [qui décident de l’attribution des subventions] sont très difficiles pour nous. Nous n’avons pas de pairs en ce sens que notre organisme n’est pas comparable à d’autres. Nous ne sommes pas un organisme honorifique. En plus, une série de mots nous tuent. Le mot “académie”, par exemple, qui fait rigoler doucement. »
L’organisme distribue quatre prix littéraires et une médaille, organise des colloques et des rencontres internationales, tient deux salons annuels et publie la revue Les Écrits. Elle compte une cinquantaine de membres, cooptés par les écrivains déjà reçus. Une assemblée générale prévue le 4 décembre décidera du sort de l’Académie septuagénaire.
Mardi, le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec n’ont pas donné de commentaires au Devoir.
Et puis après ?
Le président Martel avoue que son organisme peut paraître aussi archaïque qu’un club de raquettes. Il souligne toutefois qu’il existe des modèles d’Académie des lettres dans des dizaines de pays, notamment dans tout le giron hispanophone.
Le directeur Prieur constate plutôt les adaptations en cours dans son milieu. Il souligne que la Journée mondiale du livre n’est plus organisée au Canada anglais depuis des années. Il ajoute qu’il existe bien d’autres moyens de faire la promotion de l’édition.