Le prix de l'indécision

Manifestement, Pauline Marois cherche un moyen de se sortir de ce bourbier.

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue

Un petit groupe bien ciblé de faiseurs d'opinion avait eu droit à une séance d'information privée à propos du projet de loi sur l'identité québécoise, animée par ses principaux inspirateurs, Jean-François Lisée et le sociologue Jacques Beauchemin.
De tout évidence, l'opération n'a pas eu le succès espéré. Non seulement les alliés potentiels n'ont pas voulu se faire les promoteurs de l'instauration d'une citoyenneté québécoise, voilà qu'ils commencent à manifester leur opposition.
[La défection du monde syndical est assurément un coup très dur->10010]. On avait confié au député de Borduas, Pierre Curzi, le mandat de dénoncer le «boulot politique» effectué par la Commission des droits et libertés de la personne. On peut toujours s'interroger sur l'à-propos de l'intervention de sa porte-parole, mais personne ne réussira à faire croire que la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, et le président de la FTQ, Henri Massé, sont à la solde du camp fédéraliste.
Il sera tout aussi difficile de présenter comme un renégat l'ancien président du Conseil du trésor, Joseph Facal, un des plus proches conseillers de Pauline Marois, même s'il a accepté de faire partie du comité auquel le gouvernement Charest vient de confier le mandat de revoir toute la politique de tarification. D'ailleurs, Mme Marois doit se réjouir de la formation de ce comité, dont elle pourrait tirer profit si elle devenait premier ministre, même si un gouvernement péquiste n'aurait sans doute jamais osé en prendre l'initiative.
M. Facal aurait certainement préféré que son opposition à l'instauration d'une citoyenneté québécoise demeure confidentielle, mais à partir du moment où La Presse a rapporté à tort qu'il y était favorable, il a jugé nécessaire de s'en dissocier publiquement. Hier, dans la chronique hebdomadaire qu'il signe dans Le Journal de Montréal, il a indiqué avoir les mêmes objections qu'en 2001.
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À l'époque où il était ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration dans le gouvernement de Bernard Landry, M. Facal avait créé une commission pour analyser la suggestion de la commission Larose, qui préconisait déjà de lier langue et citoyenneté québécoise.
Quoi qu'en disent aujourd'hui le constitutionnaliste Henri Brun et ses élèves souverainistes, dont le député Alexandre Cloutier, tous les avis juridiques étaient négatifs. M. Facal voyait très bien le cul-de-sac politique dans lequel ce débat allait engager le PQ: «Toute initiative visant à faire naître une citoyenneté québécoise légale qui coexisterait avec la citoyenneté canadienne serait inévitablement contaminée par le débat, toujours non résolu, sur l'avenir politique du Québec. Un projet qui se voudrait rassembleur finirait ainsi par servir de chair à canon partisane. La question de la citoyenneté québécoise mérite mieux.»
Bien que favorable à l'idée, Jean-François Lisée avait lui-même adressé une mise en garde au gouvernement Landry. «Il y a cependant plusieurs façons de mal s'y prendre et de susciter beaucoup de méfiance chez les non-francophones. L'une d'entre elles est de lier cette citoyenneté au français de façon trop exclusive», écrivait-il en octobre 2001. Pourtant, c'est exactement ce que le PQ propose aujourd'hui.
Ce à quoi on assiste depuis quelques jours semble justifier ces appréhensions. Le projet de Mme Marois a donné l'occasion au premier ministre Jean Charest de faire d'une pierre deux coups en associant aussi bien le PQ que l'ADQ à un «esprit d'assiégés», qui favorise «un repli sur soi indigne de notre nation profondément démocratique».
Il est difficile de savoir dans quelle mesure ce débat a contribué à la remontée du PLQ enregistrée par le dernier sondage CROP-La Presse. En tout cas, le PQ ne semble pas en avoir profité. Avec 36 % des intentions de vote francophones, il est demeuré au même niveau qu'en septembre, un recul de deux points par rapport à août.
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Manifestement, Pauline Marois cherche un moyen de se sortir de ce bourbier. En 14 minutes de point de presse, mardi, elle a trouvé le temps de citer longuement Robert Bourassa et même de suggérer une façon d'améliorer le français de Saku Koivu.
Elle n'a cependant pas dit un mot de son projet de citoyenneté, sans lequel M. Charest n'aurait pas senti le besoin de prendre la plume et elle de se présenter devant les journalistes à une heure aussi matinale.
À l'entendre, son controversé projet ne contenait rien d'autre que de vertueuses dispositions visant à offrir des cours de français aux immigrants, à franciser les entreprises ou à imposer un examen national de français aux enseignants. Autant de mesures dont personne n'a contesté le bien-fondé.
À défaut d'obtenir la convocation d'une commission parlementaire, Mme Marois a indiqué que ses députés avaient été invités à consulter leurs commettants à propos de son projet de loi. L'élaboration de la plateforme électorale, à laquelle les militants péquistes s'emploieront au cours des prochaines semaines, pourrait permettre de corriger le tir.
Claudette Carbonneau a indiqué une porte de sortie à la chef du PQ en déclarant qu'il ne fallait pas «faire payer à d'autres le prix de notre indécision comme société québécoise» mais qu'une «société normale» aurait tout le loisir de faire de la maîtrise du français une condition de sa citoyenneté.
Autrement dit, plutôt que de donner une désagréable impression de désinvolture avec des droits garantis par les chartes, ce qui ne peut que nuire au projet souverainiste, il serait plus avantageux de profiter du débat sur l'identité québécoise pour démontrer comment la souveraineté en permettrait la préservation et l'épanouissement.
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mdavid@ledevoir.com


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