Les évènements de ces derniers jours concernant la Grèce, l'Irlande et le Portugal invitent à de nouvelles réflexions quant au blocage de nos sociétés face au mur de l'insolvabilité. De nouvelles idées apparaissent, comme la nationalisation de la dette, et introduisent l'idée de démondialisation.
mer, 13/04/2011 - 17:12 | 17:12
Vers la contestation de l'indépendance des banques centrales?
mar, 12/04/2011 - 14:45 | 14:45
La Banque d'investissement du parti socialiste passée au crible
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Les dernières informations face aux effets dominos d’une possible restructuration de la dette grecque relancent un débat déjà évoqué par Rodolphe Müller et Pierre-Alain Schied. Ces derniers évoquaient l’an dernier un plan de compensation inter Etats des dettes publiques, processus pouvant aussi s’analyser comme programme général de renationalisation de la dette. Le débat resurgit depuis quelques semaines avec d’autres propositions, sous d’autres formes éminemment intéressantes.
Qu’il s’agisse de la récente proposition d’Edouard Balladur, ou de celle tout aussi récente formulée par Jean-Michel Quatrepoint au dernier colloque de la Fondation Respublica, un point de convergence est souligné : la nécessité d’échapper, au moins partiellement, aux foudres des agences de notation. Objectif qui passe par la renationalisation de la dette, plus curieusement par l’élargissement de la clientèle du Trésor, et finalement par ce que l’on n’ose dire : une dose de démondialisation financière.
Edouard Balladur propose la création d’une classique caisse d’amortissement chargée de rembourser la dette publique. Au fond il s’agit de l’équivalent de la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale), ou mieux, de la caisse créée par Poincaré en 1926. Cette dernière devait participer au retour de la confiance, au regard d’un déficit abyssal, en s’appuyant à l’époque sur les bénéfices de la SEITA (Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes). La SEITA ayant disparu, il s’agirait d’alimenter la nouvelle caisse à partir de l’abondante épargne des français, et d’introduire à côté du classique livret A, un plan d’épargne relativement équivalent en terme de rémunération.
Vente directe de bons du Trésor aux ménages : rien de bien nouveau
La proposition de Jean-Michel Quatrepoint écarte, elle, tout recours à une quelconque caisse, et privilégie la vente directe de bons du Trésor aux ménages. Là non plus, rien de bien nouveau, la vente directe, étant plus ou moins la règle, avant la bancarisation de la société à la fin des 30 glorieuses. Désormais, existeraient 2 circuits de distribution et de transformation de la dette : l’actuel, qui procure en quelque sorte une exclusivité à l’industrie financière, avec grossistes (les SVT de l’Agence France Trésor), et les transformateurs revendeurs détaillants (banques, assurances, intermédiaires financiers) ; et le circuit court, ou direct, qui permet aux ménages de ne pas utiliser les usines financières. L’exclusivité de fait, sinon de droit, de l’industrie financière dans la commercialisation de la dette, serait ainsi supprimée. On peut anticiper une forte résistance du secteur financier si un tel projet devait se concrétiser, avec notamment, on peut l’imaginer, le refus de la mise à disposition des guichets des banques pour la vente au détail de bons du Trésor.
Sans entrer dans le détail de la chaîne logistique de distribution du circuit court, on peut penser qu’un réseau considérable de revendeurs au détail existe déjà : guichets de beaucoup de comptables du Trésor, bureaux de postes, voire débitants divers qui déjà vendaient l’antique vignette automobile, et vendent encore des timbres fiscaux. Mais on peut aussi imaginer davantage de modernité, avec notamment, la possibilité pour les ménages, d’acheter de la dette publique en ligne. De la même façon que le commerce électronique a pu redessiner l’architecture de l’industrie du commerce, il pourrait en être de même pour celle de la dette publique.
Casser le rocher de Sisyphe pour rendre le poids de la dette plus supportable
L’importance relative des deux circuits, qui restent à priori encore ce que nous appelons « des modes marchés » de gestion de la dette, dépend des choix des entrepreneurs politiques en termes de taux, de fiscalité, voire de quotas. Et choix qui doivent tenir compte des grands agrégats financiers. Les besoins 2011 du Trésor français sont de 180 milliards d’euros, besoins qu’il couvre par les opérations de l’AFT (Agence France Trésor), elles-mêmes surveillées par les marchés et les agences. L’épargne brute des ménages se montait en 2009 à 209 milliards d’euros. Il est donc clair que le second circuit, circuit court à imaginer, ne peut devenir hégémonique, sauf à négliger les autres utilisations possibles de l’épargne. Toutefois, l’objectif de renationalisation progressive de la dette publique, est envisageable en dérivant plusieurs dizaines de milliards d’euros, du premier circuit vers le second.
Une telle opération, revient effectivement à casser le rocher de Sisyphe, et à rendre le poids de la dette plus supportable. Il y a bien élargissement de la clientèle du Trésor, qui voit sa zone de chalandise se renationaliser partiellement. Il y a donc bien début de démondialisation financière.
Il est toutefois clair que des effets pervers peuvent se manifester. S’il n’existe pas à priori de difficultés juridiques, la réussite du lancement du circuit court, est un impératif de crédibilité à ne pas manquer, à peine de turbulences sur le premier circuit. Tout échec de lancement, pouvant être interprété comme déficit de confiance, à effets contagieux sur le premier circuit. Mais l’effet pervers le plus évident est l’éviction. Si le déficit public n’entraine pas l’éviction en raison d’une émission de titres, qui n’absorbe que l’excès de liquidité, et laisse intact le volume de l’épargne préalable, il n’en va pas de même dans la perspective d’une renationalisation de la dette. Car la renationalisation, correspond à l’abandon d’une épargne étrangère, au profit d’une épargne nationale, dont le volume est resté inchangé.
Déplacer la rente des non résidents vers des résidents n’en change pas le poids
A titre d’exemple, si le circuit court porte sur 50 milliards d’euros que l’on dérive du circuit long, soit 180 milliards pour 2011, lui-même en provenance de non résidents à proportion de 70%, cela signifie une ponction nette sur l’épargne nationale de 35 milliards d’euros. Sachant que cette épargne nationale fait l’objet de convoitises extrêmes - partage conflictuel de la collecte du livret A et du livret de développement durable, entre la Caisse des Dépôts et les banques ; chasse à l’épargne incluse dans les bilans, aux fins de respecter les nouveaux ratios de solvabilité, imposés par Bâle III ; etc – le risque est d’aviver la tension sur les taux de l’intérêt.
A ce stade, il est difficile de tirer un bilan coûts/avantages de la brisure du rocher de Sisyphe : d’un côté il peut y avoir desserrement de l’étau des agences de notation, mais celui de l’éviction peut se resserrer. Il est donc impossible de prévoir quelle force l’emportera sur l’autre. Et de ce point de vue, les deux variantes du projet de renationalisation – variante Edouard Balladur, ou variante Jean-Michel Quatrepoint – sont clairement équivalentes. Et assez clairement équivalentes en termes sociaux : que la rente se déplace depuis des non résidents vers des résidents, n’en change pas son poids, lequel est toujours financé par les contribuables, et/ou utilisateurs de biens et services publics. Avec il est vrai, un réel changement au détriment de la finance, qui ne dispose plus de quasi droits d’exclusivité sur la matière première, et se voit concurrencée par un circuit court.
Une autre façon de diminuer la charge du rocher de Sisyphe serait de le « rogner » plutôt que de le « casser ». Il s’agit manifestement, de toutes les tentatives, qui tout en restant dans le cadre de la pensée dominante, flirtent à la frontière des deux modes possibles de gestion de la dette : il s’agit de l’espace de la restructuration. Espace large, allant de la renégociation sur des points de détails, jusqu’au défaut souverain, non pas subi, mais choisi. Limite extrême, marquant la volonté de siffler la fin du jeu du « mode marché » de gestion de la dette.
Nous sommes présentement entrés dans les zones basses du champ de la restructuration, avec en particulier, les récentes négociations et décisions concernant la Grèce. Ainsi le taux moyen sur capital prêté est-il passé de 5,2% à 4,2%, et les remboursements s’étendraient sur 7 ans au lieu de 4. Ces zones basses se révélant rapidement insuffisantes, il faudra probablement aller plus loin, et atteindre les premières zones de répression financière. Ainsi Kenneth Rogroff imagine déjà des mesures plus brutales, telles des taux imposés à des fonds de pension ou des compagnies d’assurances.
Il est probable que dans les prochaines semaines les choses pourraient aller beaucoup plus loin, avec - par exemple - une restructuration sur 30 ans de la dette grecque… et déjà des calculs sur les conséquences sur les banques allemandes, françaises… et leur probable inappétence vis-à-vis des copieux plats d’adjudications offerts par l’AFT, une instance toujours soucieuse de bien vendre de la dette souveraine française…
Le rocher de Sisyphe ne se brise pas ou ne se laisse pas rogner facilement. Il faudra bien un jour prendre des décisions beaucoup radicales, mais nul ne peut prévoir, car selon le proverbe turc repris par Edgar Morin : « les nuits sont enceintes et nul ne connait le jour qui naîtra ».
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werrebrouck
Le mur de l'insolvabilité: peut-on nationaliser la dette publique?
« les nuits sont enceintes et nul ne connait le jour qui naîtra »
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