Plus les années passent plus nous observons que notre monde tangue, sans jamais apercevoir au fil des mois, ni éclaircies ni améliorations, mais au contraire les guerres et les conflits croissent sans cesse dans tous les coins de notre planète, de nombreuses personnes à cause de leurs conditions dérisoires de vie quittent leur propre pays en masse, sans savoir ce qu’elles trouveront ailleurs, augmentant encore davantage les populations et les difficultés de ces pays d’accueil, au risque de les voir se détériorer, si encore il ne nous est pas rajouté à toutes nos angoisses ce réchauffement climatique imminent dont on nous rebat les oreilles par médias interposés. Il faut donc avoir un caractère à toutes épreuves pour ne pas s’inquiéter du tiers comme du quart et continuer allègrement notre chemin, malgré ce manque absolu d’amélioration de vie en perspective pour les êtres humains.
Dans de telles conditions, nous pouvons penser avec justesse que jamais notre monde n'a été aussi mal, et surtout que c’était mieux avant…
Tournons-nous alors vers le Passé. Si nous revenons à Rome, à l’époque du grand poète latin Titus Lucrétius Caïus, Rome est loin d’être une cité heureuse, elle est alors en plein marasme, des massacres innombrables ont lieu, de la répression à outrance, des révoltes d'esclaves, de nombreuses guerres…Tout cela se rajoutant à une crise profonde des valeurs traditionnelles qui prônaient à cette époque, la loyauté, le courage, la modération, des valeurs longtemps soutenues par les Stoïciens.
Lucrèce va alors écrire son long poème "De Natura Rerum", de la nature des choses, à partir de la traduction des idées philosophiques d'Epicure, pour tenter d'expliquer tous ces phénomènes d’un monde qui semble bien retourner au chaos.
En nous replongeant dans les vers délicieux de ce poète quelques clés peuvent nous être données.
L'influence de cette culture grecque sera alors la revanche des vaincus, d'où le rejet immédiat par les instances romaines, qui ne pourront toutefois pas empêcher la doctrine épicurienne de se répandre partout. Cette culture, Lucrèce l'apporte sous cette forme poétique, elle se répandra curieusement plus particulièrement chez les nobles romains.
Pour Epicure, ce qui entraîne le mal-être et le malheur des Hommes* se résume en deux choses principales :
–On a fait croire aux Hommes que les dieux s'occupent d'eux ce qui les amène à croire en une Providence au-dessus de leurs têtes.
–En ayant la connaissance de l'existence de la mort, ils savent parfaitement la brièveté de la vie, ce qui les fait redouter affreusement l'au-delà.
Que propose Epicure, puis Lucrèce qui en reprend les thèses ?
Pour sortir de ces peurs, il faut la connaissance, celle du monde, apprendre la physique, la science de la nature, c'est la connaissance seule qui permettra à l'Homme de comprendre la réalité du monde et lui rendra la sérénité de l'esprit. C'est ainsi en cultivant la sagesse qu'il atteindra au bonheur... Ce sont donc des appels vibrants à la libération de l'Homme.
Lucrèce affirme que l'invention des divinités, l'invention de la Providence n'ont été faites que dans le but de combler ces peurs dues à la seule ignorance.
Il affirme que notre monde n'est pas divin, les dieux ne s'occupent en rien de l'Homme, le but de l'Homme est d'atteindre "l'ataraxie", c'est à dire la paix, la sagesse la sérénité. L'épicurisme fait aussi une différence entre notre monde et le reste de l'univers dans lequel d'autres mondes existent.
Rien ne retourne au néant, Rien ne naît du néant.
Evidemment la tradition chrétienne a jugé ce poète impie, c'est ainsi que pendant des siècles il a été ignoré, et plus particulièrement des jésuites; il n'a été redécouvert qu'au moment de la Renaissance par les philosophes, tel Montaigne, quant à Diderot il s'en est largement inspiré .
La doctrine de l'atomisme chère à Epicure et avant lui à Démocrite, démontre que tout ce qui existe dans l'univers est composé d'éléments, tels des particules insécables, tout est composé d'atomes et de vide.. Pourtant ces atomes, ces particules qui semblent tomber toujours dans le même sens, peuvent aussi décliner, et c'est cette observation du "clinamen" qui permettra à cette liberté des atomes de rencontrer d'autres atomes, nous démontrant que les atomes peuvent à tout moment modifier leur trajectoire, désignant par là même, la totale liberté de l'Homme.
Alors nous dit Lucrèce, il n’y a rien à craindre de la mort.
Ce qui fait peur c'est l'image que l'Homme en a, celle de se voir mort et d'imaginer après elle des maux inconnus. La mort serait selon cette thèse une simple dissolution de l'âme et de l'esprit tout autant que du corps, cela serait la disparition de la conscience, l'annihilation de tout souvenir, donc la mort n'est pas à craindre puisque de deux choses l'une, ou nous vivons, ou alors il n'y a plus Rien et dans ce deuxième cas nous ne nous en apercevons pas, il n'y a pas de survie, pas d'au-delà, la mort n'est que la séparation des éléments qui nous ont composés.
Avec Lucrèce l'Homme est libéré à la fois de la crainte des dieux et à la fois de la crainte de la mort, il peut atteindre alors à cette ataraxie.
Nous comprenons nettement mieux le rejet de l'Eglise et des autres religions d'ailleurs, devant cette thèse.
Epicure voulait que tout être tende vers le bonheur et arrive à le conserver, il avait observé que pour être heureux, il faut se contenter de l'indispensable et non du superflu, il faut vivre de peu, mépriser le reste, atteindre à la santé du corps par la sérénité de l'âme - ce qui avait déjà énoncé en son temps par Socrate, avec son célèbre " mens sana in corpore sano" un esprit sain dans un corps sain - être aussi maître de soi et de ses passions, passions modérées, raisonnées, savoir dédaigner les plaisirs grossiers et vulgaires et tout particulièrement cultiver l'amitié, c'est donc un grand nombre de points communs avec le platonicisme et le stoïcisme .
Lucrèce reprend point par point ce qu'en dit Epicure, se soumettre à une passion quelle qu'elle soit, c'est s'interdire d'atteindre le calme et la tranquillité de l'esprit, toute passion quelle qu'elle soit, celle de l'amour tout comme celle de l'ambition, détruit tout et empêchera d'atteindre cette ataraxie.
L'Achéron, cet enfer des Anciens, ne décrit que notre propre vie sur terre .
L'autonomie de l'Homme est donc entière lorsqu'il accède à la pensée et à la connaissance des choses.
Mais pourtant une question reste posée : Comment se débarrasser de la croyance sans la remplacer par une autre ?
Lucrèce prouvera que c'est la religion qui dicte à l'Homme ses conduites criminelles et il donnera l'exemple sanglant du sacrifice d'Iphigénie .
Epicure, philosophe grec est né en 341 avant notre ère, à Samos île d'Asie mineure. Il vécut entouré de ses amis se consacra à l'étude de la philosophie en menant une vie simple et frugale, ce qui est à l'opposé du terme épicurien tel que nous l'entendons de nos jours. Epicure avait été lui-même influencé par un autre philosophe Démocrite qui vivait en 460 avant J.C.
L'épicurisme prône à un repli sur soi pour échapper aux perturbations politiques, glorifiant l'individualisme, Epicure affirme que le bonheur est avant tout l'absence de troubles et de douleur.
Lucrèce va traduire Epicure dans le sens de transmettre, de passer le flambeau, alors que lorsqu'il le fait ces thèses sont déjà vieilles de deux siècles...
Il nous incite à prendre du recul avec ce qui nous entoure, à prendre de la hauteur pour comprendre et la compréhension de toutes choses est un premier plaisir.
Il faut rester en retrait, le monde est un danger, tout y est instabilité, méfions-nous !
Le monde est incertitude, donc tout est appelé à disparaître, donc construisons un endroit de rêve pour nous y sentir bien, celui de la sagesse et de la sérénité.
Replacées dans le contexte de notre monde moderne où la vie se déroule à mille à l'heure, où l'information se vit en accélérée, où une information qui en chasse une autre ne nous laisse plus le temps de penser, plus un instant non plus pour créer notre "clinamen", notre jardin de la pensée.
La mort n'est pas si grave, ce qui nous empoisonne, c'est la peur de ce qu'on en a. La politique est décrite comme un lieu d'ambitions viles, de rivalités absurdes, de passions dangereuses, violentes, alors que l'épicurien conçoit une autre société, celle des amis, en marge de la cité.
Les sages veulent bien participer à la vie de la cité, ils ne désirent pas s'en exclure, pourtant ils resteront malgré tout à la marge, car, eux, sont libres comme des atomes, dans ce monde chaotique, et leur existence bien orchestrée, bien rationnelle, est bien sûr à part.
Qu'en est-il pour nous aujourd'hui ? La précarité nous angoisse-t-elle au moment d'un libéralisme décomplexé comme jamais ? Tournons-nous vers les amis d'Epicure libérant la raison.
Les réponses apportés par le "De Rerum Natura" mises en vers tout à fait charmants, sont curieusement toujours d'actualité aujourd'hui, après tant de siècles !
*Homme = racine latine homo sapiens : être humain
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