Monique Jérôme-Forget Photo: Martin Chamberland, La Presse
Monique Jérôme-Forget est une femme exceptionnelle que j'ai eu le plaisir de connaître un peu. Intelligente et dynamique, elle livrait la marchandise mieux que quiconque dans les dossiers spécifiques et ponctuels liés à la gestion des affaires courantes de l'État.
Le sobriquet de « dame de fer » qu'on a affublé à Monique Jérôme-Forget n'avait probablement pas une connotation très positive du point de vue de ceux qui l'utilisaient. Le thatchérisme n'a en effet pas particulièrement bonne presse au Québec, comme tous les mouvements qui sont associés à la défense du libre marché et d'une réduction de la taille de l'État. Outre sa personnalité combative et attachante, c'est pourtant ce côté du personnage qui me plaisait.
Mme Jérôme-Forget a défendu, dans les postes clés que sont le Conseil du trésor et les Finances, des positions de modération fiscale à l'endroit de certains de ses collègues très dépensiers. Elle aimait bien d'ailleurs se vanter d'avoir « caché de l'argent au fond de sa sacoche ».
De toute évidence, l'ex-ministre avait à coeur les intérêts économiques à long terme du Québec. Sans elle, nous serions sans doute dans une situation encore moins avantageuse pour affronter la crise économique mondiale.
Il faut toutefois éviter d'exagérer l'ampleur des décisions prises par Mme Jérôme-Forget. Les opposants à ce genre de politique fiscale prudente ont l'habitude de dénoncer tout ralentissement des augmentations de budget comme des manifestations du « démantèlement de l'État ».
Le jour de sa démission, elle a évoqué les trois réalisations dont elle est la plus fière. La première, le règlement de l'équité salariale. Le second, le programme de réfection des infrastructures, fait partie des fonctions normales d'un État qui contrôle ces infrastructures. On en fait grand cas simplement parce qu'elles ont été si longtemps négligées au Québec. Quant à la troisième, la gestion serrée des finances publiques, elle est certes en partie justifiée mais il faut tout de même en voir les limites. Il est vrai que les dépenses sous Madame Jérôme-Forget ont augmenté à un rythme relativement modeste ces dernières années. Cette hausse des dépenses publiques (car il s'agit bien d'une hausse) a été inférieure à celle de la plupart des autres provinces canadiennes.
On ne doit pas toutefois pas oublier que pendant toutes ces années d'« équilibre budgétaire », le fardeau de la dette continuait d'augmenter, les dépenses d'immobilisation n'étant pas comptabilisées dans le budget.
Le dernier geste de Mme Jérôme-Forget aura d'ailleurs été de compromettre cette réalisation en succombant à la même frénésie irrationnelle de dépenses et d'interventionnisme qui s'est emparée de pratiquement tous les gouvernements du monde. Dans cinq ans, lorsqu'on évoquera son héritage, retiendra-t-on sa « gestion serrée » des finances publiques, ou bien le nouvel élan qu'elle aura donné à l'endettement du Québec avant de tirer sa révérence ?
Sur d'autres plans aussi, on doit constater la modestie des réalisations de Mme Jérôme-Forget. Malgré les promesses de réforme qui ont accompagné l'élection des libéraux en 2003, la fameuse « réingénierie » de l'État a accouché d'une souris et n'est même plus évoquée aujourd'hui. Les baisses d'impôt n'ont fait que maintenir le Québec dans la moyenne au lieu d'en faire un endroit attrayant pour les investissements. Et les partenariats public-privé, loin d'être d'une une panacée permettant de marier l'efficacité du privé avec une préoccupation pour l'intérêt général, pourraient bien s'avérer au contraire un compromis coûteux où des règles de marché artificielles ne jouent plus leur rôle.
On aurait espéré que Mme Jérôme-Forget aille plus loin et remettent vraiment en cause les vaches sacrées du « modèle québécois ». Mais une personne, aussi bien intentionnée et énergique soit-elle, est rapidement confrontée aux limites de la réalité politique. Il est fort probable que, dans les circonstances, personne d'autre n'aurait fait bien mieux.
En fait, un futur gouvernement souhaitant réaliser de vrais réformes fondamentales au Québec qui iraient dans le sens de la liberté et de la responsabilisation individuelle aura besoin de beaucoup plus d'hommes et dames de fer pour y arriver, mais, surtout, il aura besoin d'un appui au sein de l'opinion publique. Et c'est là où le bât blesse. Un gouvernement, quel qu'il soit, a naturellement tendance à penser constamment à sa réélection. Ainsi, avant de changer le Québec par l'action politique il faudra réussir à changer son « climat d'opinion ». Autrement, dans dix ans, nous serons encore à chipoter sur des changements somme toute assez marginaux.
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Michel Kelly-Gagnon
L'auteur est président de l'Institut économique de Montréal (www.iedm.org).
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