Le maître du monde

Crise mondiale — crise financière

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy a pris le chemin de Washington pour participer au G20. Le président français n'y allait pas seulement pour faire entendre la voix de la France ni même celle de l'Union européenne, dont il est actuellement le président. Il n'y allait pas pour revendiquer quelques réformes bien ciblées à la suite de la crise financière qui a ébranlé la planète. Il y allait pour «refonder le capitalisme». Tel est en effet le message qu'il s'était évertué à scander haut et fort dans le véritable tourbillon diplomatique qui avait précédé cette rencontre.
Dimanche, le président est rentré au bercail plus que satisfait. Le monde avait changé, claironna-t-il en conférence de presse. La planète venait de vivre rien de moins qu'un moment «historique». «Sarkozy en maître du monde!» titrait d'ailleurs le Journal du Dimanche, un hebdomadaire populaire à grand tirage. Et pour les quelques journalistes encore sceptiques, il a eu cette réponse définitive: «Je ne suis pas sûr qu'on ait fait le tour du monde [...] pour le plaisir!»
Ceux qui ont pris la peine de lire la presse ont évidemment découvert que, si Nicolas Sarkozy a déployé une belle énergie pour la tenue du sommet de Washington, les conclusions de ce dernier étaient beaucoup plus modestes. Au lieu de s'entendre sur une réforme du système financier, les 20 chefs d'État et de gouvernement ont mis l'accent sur un certain nombre de moyens classiques de relancer une économie mondiale qui entre en récession.
Rien de plus normal. Comme le disait un économiste français: quand la maison est en feu, ce n'est pas vraiment le moment de tirer des plans pour rénover la cuisine. Il n'aurait pas été judicieux d'édicter une série de mesures destinées à encadrer les institutions financières au moment même où les entreprises ne parviennent plus à emprunter.
Il était donc sage de reporter tout ce qui concerne une éventuelle réforme des marchés financiers à un prochain sommet, lorsque le nouveau président américain sera entré en fonction. Les vingt se sont donc contentés d'une simple «déclaration de bonnes intentions», comme le disait Gregori Volokhine, de la société Meeschaert. Au printemps prochain, c'est Barack Obama qui sera aux commandes. Nicolas Sarkozy ne sera plus alors président de l'Union européenne.
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Cet épisode met en évidence une caractéristique de ce qu'on pourrait appeler le modus operandi du président français. Celui-ci consiste souvent à tirer dans toutes les directions et à gouverner par médias interposés. La réussite d'une politique se mesurant essentiellement au bruit médiatique qu'elle provoque, peu importe au fond ce qui se passe sur le terrain. Voilà ce qui permettait au président français de crier victoire dimanche dernier.
Nicolas Sarkozy ne fait qu'appliquer à la politique internationale la recette qui lui a si bien servi lorsqu'il a été au ministère de l'Intérieur, pendant plus de quatre ans. Il faut se souvenir de la façon dont il agissait alors. Le ministre se levait aux aurores pour aller arrêter des prostituées dans les boulevards périphériques de Paris. Il participait à des opérations policières musclées pour interpeller de petits criminels de banlieue. Les caméras étaient toujours au rendez-vous. Chacun pouvait donc voir comment les policiers défendaient la veuve et l'orphelin. Le soir même, Nicolas Sarkozy claironnait que la criminalité était en régression. Peu importait au fond si les statistiques démontraient le contraire ou si ces opérations médiatiques provoquaient la colère des jeunes des banlieues défavorisées. À ceux qui osaient poser la question, il répondait la même chose qu'en revenant de Washington: «Vous croyez qu'on a fait tout ça pour rien!»
Sarkozy n'est certainement pas le seul à gouverner ainsi. On peut même croire que la mode se répand. Mais sa façon de faire n'échappe plus à certains observateurs étrangers. L'ancien économiste en chef du FMI Simon Johnson a bien compris le procédé. «Sarkozy prétend avoir attaché un grelot au cou du chat américain, dit-il dans le Herald Tribune. Il dit que les États-Unis ont donné leur accord à toute une série de négociations. Mais il n'a rien négocié de tout cela. Et le voilà qui rentre chez lui en criant victoire.»
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La crise financière n'est pas le seul domaine où Nicolas Sarkozy tire dans toutes les directions sans se préoccuper des balles perdues. Invoquant la crise financière, il a récemment affirmé qu'il devrait assumer pendant toute l'année 2009 la présidence de l'Eurogroupe (rassemblant les pays qui ont l'euro pour monnaie). Cette idée saugrenue, sortie de nulle part et aux allures de 18 brumaire, n'a jamais eu la moindre chance d'aboutir. Elle n'aura servi qu'à susciter la colère du président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, et du président tchèque, qui a accusé la France de «siphonner» sa présidence, qui débutera le 1er janvier prochain.
Pour séduire le président russe Dmitri Medvedev, Sarkozy y est récemment allé d'une tirade contre le bouclier antimissiles américain qui sera déployé en Pologne et en République tchèque. Le président avait probablement oublié qu'il avait appuyé ce même déploiement lors du dernier sommet de l'OTAN, six mois plus tôt. Le vice-premier ministre tchèque le lui a d'ailleurs vertement rappelé, tout en soulignant que l'Union européenne ne lui avait accordé aucun mandat pour aborder cette question avec la Russie.
Nicolas Sarkozy vient donc de faire aux Tchèques le coup qu'il avait fait aux Québécois le mois dernier lorsqu'il s'était ingéré dans les affaires canadiennes en prenant position en faveur du fédéralisme contre la souveraineté du Québec. Dans les deux cas, il s'écartait des positions mûrement réfléchies déjà prises par la diplomatie française à la seule fin de faire quelques gains immédiats ou d'exprimer ses états d'âme. Il ne s'agit pas de réduire la politique étrangère de la France à ces quelques exemples. Mais, dans certaines capitales, on se félicite que la présidence française de l'Union européenne se termine dans cinq petites semaines. La prochaine ne sera qu'en 2020.
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crioux@ledevoir.com


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