Le libéralisme sectaire

80a905e43995a122753082b036b3320b

« La prétendue supériorité morale du Canada nous est assénée dès que nous osons définir nos droits fondamentaux autrement. Il ne s’agit de rien de plus qu’un vulgaire rapport de forces qui se drape dans la vertu." »

L’auteur est constitutionnaliste


Tout ce qui est exagéré est insignifiant, dit le proverbe. Le libéralisme canadien a atteint ce niveau dans le débat sur la laïcité. Il en est venu à se ridiculiser.


Le premier ministre du Canada nous informe que le Canada est un État laïc. Vraiment? Le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés, le dogme imposé au Québec par son père, proclame la suprématie de Dieu. Son article 27 impose aux tribunaux de favoriser le multiculturalisme en ces termes : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. » Suivant ces instructions, la Cour suprême du Canada a interprété la liberté de religion à la lumière de cette disposition, ce qui équivaut à accorder un droit constitutionnel à l’intégrisme religieux. De plus, la fonction de chef d’État canadien est réservée aux membres d’une famille étrangère qui doivent légalement appartenir à la religion anglicane et qui portent le titre de Défenseur de la Foi. Le ministre de la Défense du Canada a beau porter un turban, il ne sera jamais éligible à cette fonction suprême. A l’Assemblée nationale, on a aboli la prière chrétienne alors qu’à l’Assemblée législative de l’Ontario, on y a ajouté des prières d’autres religions. En réalité, le Canada est un État multiconfessionnel qui ne sait rien de la laïcité.


Le chartisme est un mode de pensée irrationnel et excessif qui ne veut rien savoir des faits. Cette religion des droits individuels qui va à l’encontre du sens commun et de l’équilibre social est conduite par son pape fanatisé, Charles Taylor. Il ne s’agit que de la bonne vieille peur de l’affirmation de la nation québécoise et de la haine de son identité. Ses adhérents ne veulent surtout pas savoir que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est directement contraire à celle des tribunaux canadiens, sans doute parce que la Convention européenne des droits de l’homme, pas plus que la Déclaration universelle des droits de l’homme, ne contient aucune disposition permettant de combiner Dieu avec le multiculturalisme. C’est là qu’on voit que la Charte canadienne est un projet idéologique et un instrument politique conçu pour accentuer la domination d’un nationalisme canadien inavoué en lutte à finir avec le Québec.


La nation canadienne n’existe pas, nous dit encore Justin Trudeau. Le Canada est un État post-national, ajoute-t-il, reprenant ainsi l’un des plus célèbres mensonges de son père. Trudeau ment, disait Lévesque à propos de ce dernier. Victor Hugo appelait l’empereur Napoléon III Napoléon le Petit pace qu’il n’avait pas l’envergure de son oncle. Justin le Petit n’a pas l’intelligence pernicieuse de son géniteur.  Nous n’en finissons plus de récolter les fruits empoisonnés de 1982.


L’aveuglement devant les faits prend d’autres formes. On compare le Québec aux Nazis et à l’épuration ethnique commise par les Serbes.  La palme revient à Me Julius Grey, un chevalier servant du chartisme, qui invoque carrément Orwell. Il affirme que notre liberté est une contrainte pour les autres. Il aurait préféré conserver le crucifix à l’Assemblée nationale. La nation canadienne nous aimait mieux quand notre pensée était asservie par l’alliance du trône et de l’autel. Sa définition de la liberté repose sur notre paralysie collective. Elle préférait quand nous chantions : « Peuple à genoux, attends ta délivrance ». Cette délivrance, selon eux, est venue de la Conquête. Trudeau père, encore lui, n’a-t-il pas écrit que les Canadiens français ont découvert la liberté comme des canards qui accouraient vers l’eau en boîtant? Cette eau selon lui venait d’ailleurs. We were conquered into liberty. La prétendue supériorité morale du Canada nous est assénée dès que nous osons définir nos droits fondamentaux autrement. Il ne s’agit de rien de plus qu’un vulgaire rapport de forces qui se drape dans la vertu.


Enfin, une partie de la communauté universitaire est émue. Ces grands-prêtres de la rectitude veulent devenir nos nouveaux directeurs de conscience. Ils veulent inculquer de bonnes valeurs au mauvais peuple pécheur. Les chartistes veulent nous éduquer. Le peuple québécois les rejettera comme il a rejeté l’Église car il ne se reconnaît pas en eux.


Pour ces bonnes gens, le projet de loi sur la laïcité ne règle aucun problème concret. Au contraire, il cherche imparfaitement à en régler un : les Québécois n’en peuvent plus d’être agressés quotidiennement par l’intégrisme. Une policière ou une enseignante qui porte un foulard ou un autre signe religieux les horripile. C’est contraire à la définition du bien commun qu’ils ont le droit d’avoir. Si leur sensibilité est plus européenne que nord-américaine sur ce point, qu’il en soit ainsi. Si elle est plus française qu’anglo-saxonne, amen.  Dans la langue des chartistes, je leur dis : « Québec, love it or leave it ».


Lors d’une visite à Kahnawake il y a quelques années, un Mohawk m’a dit : « Nous, nous respectons le peuple américain même si nous avons des conflits avec eux. Il est fier et fort. Nous ne pouvons pas respecter les Québécois parce qu’ils ne se respectent pas eux-mêmes. » Se peut-il que nous commencions enfin à comprendre? Si oui, mieux vaut très tard que jamais.