Le gouvernement de Jean Charest connaît des sommets d'impopularité rarement atteints dans notre histoire politique. Les causes en sont nombreuses: des promesses électorales non tenues, une prospérité économique qui n'est pas au rendez-vous, une improvisation perpétuelle dans la gestion des affaires publiques, une incapacité chronique à opérer les arbitrages que doit nécessairement faire un chef d'État digne de ce nom. De surcroît, le premier ministre fait face, en la personne d'André Boisclair, à un adversaire charismatique et qualifié.
Malgré l'incurie des libéraux, des sondages favorables et les indéniables qualités du nouveau chef péquiste, il est prématuré de prédire une victoire du Parti québécois lors des prochaines élections. Trois obstacles d'envergure rattraperont tôt ou tard notre formation politique. Le premier a trait à l'engagement jusqu'ici irrévocable de tenir un référendum dans le cadre du prochain mandat. Le deuxième est lié à l'abandon du projet de partenariat. Le troisième réside dans la piètre mise à jour de l'argumentaire souverainiste.
Revenir aux conditions gagnantes
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le calendrier du Parti québécois a le mérite d'être clair. Il y aura des élections générales d'ici 12 à 18 mois, qui seront elles-mêmes suivies d'un référendum gagnant au cours de la première moitié du mandat. Autrement dit, d'après le calendrier péquiste, le Québec est à seulement 36 mois de solliciter son adhésion à l'ONU.
Il me semble évident que ce scénario, à la frontière du simplisme, ne tient pas compte du climat social qui prévaut actuellement au Québec. Or, si les Québécois admirent la détermination, ils récusent néanmoins l'aveuglement volontaire. Qu'avons-nous véritablement à gagner en nous imposant à nous-mêmes l'obligation de tenir un référendum, même si nous avions l'assurance morale de le perdre ? Certes, les Québécois ne veulent plus des libéraux, mais ce sentiment de rejet est-il suffisant pour effacer l'impression selon laquelle nous profitons de ce désaveu pour leur imposer un calendrier qui n'est pas encore totalement le leur ?
Il y a une différence de taille entre un référendiste et un souverainiste. Le référendiste fait fi de toutes considérations stratégiques et occulte savamment les conséquences d'un troisième échec référendaire consécutif. Il oublie que cet échec nous ferait perdre la sympathie de la communauté internationale tout en nous privant par la suite de tout rapport de force avec Ottawa. Est-ce véritablement là notre manière de témoigner notre attachement patriotique envers le Québec ?
Nous sommes plus près que jamais de faire du Québec un pays à part entière. Allons-nous mettre en péril tant d'années de labeur pour apaiser une certaine impatience ? Les souverainistes affichent une confiance inébranlable envers le Québec. Ils savent que leur histoire nationale et leur cause s'inscrivent dans la durée.
Permettons à ceux d'entre nous qui ne veulent pas immédiatement enclencher de dynamique référendaire mais qui souhaitent voter pour le Parti québécois de pouvoir le faire avec enthousiasme en revenant à une stratégie axée sur les conditions gagnantes. Donnons aux Québécois l'assurance morale de cheminer à leur rythme.
Mais de quelles conditions parlons-nous ici ? À la différence de l'époque de Lucien Bouchard, celles-ci ne se résument pas à une seule question mathématique. Réinventer les conditions gagnantes ne signifie pas attendre béatement un hypothétique moment magique. Il y aura bien sûr, au lendemain des élections, un moment de grâce sur lequel il serait tentant de capitaliser. Mais cette ouverture est très aléatoire. Elle dépend essentiellement du résultat que nous aurons récolté aux élections générales. Un résultat dépassant les 45 % est nécessaire, mais il n'est pas suffisant.
Aussi, les conditions de réussite dépendent étroitement d'un grand nombre de facteurs, dont la mise en oeuvre d'une pédagogie active et la mobilisation de nos porte-parole. Il est incompréhensible que Jacques Parizeau et Bernard Landry, pour ne nommer qu'eux, ne soient pas encore déjà activement engagés dans l'un ou l'autre des chantiers qui nous attendent.
Du reste, qui seront nos porte-parole en environnement, en agriculture, en commerce international ? Les conditions gagnantes tiennent également compte du renouvellement de nos réseaux internationaux, passablement défraîchis depuis 1995. Le PQ et le Bloc québécois partagent une longue expérience de cohabitation référendaire, mais cela ne suffit plus. Les conditions gagnantes nous imposent aussi de reconstruire une coalition parapluie qui sera fort différente de la précédente. Cependant, au-delà de toute ces considérations, les conditions gagnantes demeurent une question de dynamique !
Bref, pour construire une stratégie victorieuse, nous avons besoin de temps, un temps incompatible avec le calendrier que se donne le Parti québécois en ce moment.
Renouer avec le partenariat
Le congrès de juin 2005 marque une rupture importante dans l'histoire du Parti québécois par rapport à l'héritage de René Lévesque. Avec le retour de Jacques Parizeau, une entente cordiale, pourrions-nous dire, s'était installée en ce qui concerne la question du partenariat. La suppression du célèbre trait d'union imposait une distance critique entre l'accession à la souveraineté et l'aboutissement de négociations portant sur d'éventuels projets d'association.
Toutefois, l'idée du partenariat demeurait entière. Elle exprimait notre volonté de trouver les accommodements nécessaires pour entre autres faciliter la libre circulation des personnes et des biens, partager la dette et proposer une gestion responsable des intérêts qu'on en commun le Québec et le Canada.
Bref, il y avait là un gage d'ouverture pragmatique dont on se demande encore pourquoi et comment il a bien pu disparaître si facilement de notre plate-forme électorale. Ce choix politique va à contre-courant du simple bon sens. Il annule des décennies de pédagogie souverainiste.
De plus, à l'ère de la continentalisation des marchés et de la mondialisation, la mise aux oubliettes du projet de partenariat envoie un signal ambigu à la communauté internationale en ce qui a trait aux véritables motifs qui animent notre désir d'indépendance. Il n'en faut pas beaucoup pour que nos adversaires se chargent de nous faire dire ce que nous ne voulons pas dire. Pourquoi alors prêter flanc à une telle critique ? Cette erreur doit être impérativement corrigée avant les prochaines élections.
Parfaire notre argumentaire
Nous ne pourrons jamais convaincre plus de Québécois qu'aujourd'hui d'adhérer à notre cause tant et aussi longtemps que de nombreux enjeux quant à l'avenir du Québec resteront sans réponses. Les Québécois ne s'attendent pas à ce qu'on leur dise ce qu'il adviendra dans le moindre détail au lendemain du «grand soir». Ils veulent néanmoins mieux connaître notre plan de match, visualiser les grands paramètres du modèle québécois, redécouvrir la solution alternative que nous proposons et que nous incarnons. Se prétendre à la fois écologiste, pacifiste et altermondialiste et s'en contenter conforte l'idée selon laquelle nous ne pouvons pas dépasser la rhétorique.
De grandes fonctions régaliennes parmi les plus importantes, celle de l'armée par exemple, ne dégagent pas encore de consensus clair. À cet égard, comme pour tant d'autres, le Bloc québécois et le Parti québécois n'ont pas le même discours.
Comment pouvons-nous demander aux Québécois de comprendre mieux que nous-mêmes notre propre plate-forme référendaire ? Nous avons besoin d'une politique monétaire, d'une politique énergétique, d'une politique de création d'emploi, d'une politique de développement industriel, d'une politique d'occupation du territoire, d'une politique de transports, d'une politique de développement durable, d'une politique de coopération internationale... Nous pourrions continuer la liste longtemps.
Alors que nos adversaires fédéralistes travaillent d'arrache-pied au renouvellement de leur sémantique, nous devons faire de même avec notre discours.
Faire preuve de leadership
André Boisclair a été élu par une nouvelle génération de militants qui ne veut plus d'orthodoxie abusive. Cette génération de militants s'attend de lui qu'il ne se cache plus sous les jupons du congrès de juin 2005 et qu'il lève les hypothèques que font peser sur notre option un calendrier irréaliste, l'abandon du partenariat et la désuétude de notre argumentaire.
Nous sommes actuellement portés par des sondages emballants mais trompeurs. La dernière campagne électorale témoigne avec éloquence de la volatilité de l'électorat souverainiste. Notre avance actuelle ne pourra se maintenir qu'à condition d'opter pour une démarche respectueuse des réserves et des appréhensions des Québécois par rapport à la question nationale. Bref, il nous faut plus que jamais garder les pieds sur terre.
Jean-François Simard, Professeur à l'Université du Québec en Outaouais, ancien député et ancien ministre du Parti québécois
Le grand défi du Parti québécois - Garder les pieds sur terre
2006 textes seuls
Jean-François Simard3 articles
docteur en sociologie
_ Professeur chercheur au Département de travail social et des sciences sociales
_ Université du Québec en Outaouais
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé