Le gouvernement Charest: une abomination économique

Chronique d'André Savard

Les journaux du monde entier disent que l’état de l’opinion publique n’est pas tendre envers les politiciens. Dans la plupart des pays, y lit-on, on retrouverait une société de railleurs. Très souvent, le climat qui en découle profiterait paradoxalement au conservatisme. La population désabusée se contente d’un gouvernement par défaut, assurant une cohésion sociale que la majorité désespère d’assurer.
Regardons le cas des U.S.A. des dernières décennies. Vous avez élections après élections le parti Républicain et le parti Démocrate. Le parti Républicain ralliait un noyau dur et une large frange de la population. Le parti Démocrate avait un problème à cet égard. Il reflétait davantage le degré d’évolution de l’ensemble des Américains, ceux-ci n’étant pas créationnistes et ne croyant pas qu’on puisse enseigner qu’Adam et Eve furent créés parmi les dinosaures il y a 6000 ans. Mais voilà, l’électorat du parti Démocrate était beaucoup plus mou, tissu d’abstentionnistes, de déçus, des persifleurs.
Le problème pouvait être circonvenu vaille que vaille chez les Américains car le bipartisme y est fortement institué dans les moeurs. Sinon, un parti dépendant de l’électorat mou est forcément voué à la stagnation, l’électorat mou tendant davantage à l’émiettement au sein de plusieurs partis, plusieurs conventions. Quand John McCain fut élu représentant républicain, il avait moins à s’embarrasser des calculs des démocrates obligés de composer avec l’apathie généralisée.
En nommant Sarah Palin, il espérait faire le plein sur sa droite. Il n’est pas certain d’ailleurs qu’il n’eut pas réussi à gagner sans la crise financière qui a jeté le doute sur les thèses de droite sur l’autocontrôle des marchés.
Le parti Libéral du Québec, partage au plan de la distribution électorale certains points avec le parti Républicain. Il a un électorat acquis et il lui faut surveiller dans les sondages s’il y a égalité chez les francophones pour espérer récolter la part supplémentaire qu’il lui faut. Pour représenter les Québécois, il n’a pas à s’aligner sur un sens de l’Etat ni même à peaufiner une formule constitutionnelle avec laquelle les Québécois seraient à l’aise.
Jean Charest et son parti se présentent comme les représentants de la société plurielle. Il sait que la totalité est canadienne et il tend à faire croire que les compétences partielles, circonscrites aux autres échelons du pouvoir sont garantes d’une économie en santé. Son label d’une embarrassante globalité a le mérite de cacher un Charest aux opinions tranchées et dont le gouvernement mène à l’enfermement du Québec dans une niche particulière.
La Supercherie
La campagne électorale a débuté sous le signe du paranormal, de prophéties et de boules de cristal. Jérôme-Forget prétendit qu’elle avait prévu un double fond à sa sacoche. Jean Charest, pour sa part, annonçait avoir vu la crise poindre bien à l’avance, tout vu, la socialisation des pertes des grandes compagnies financières, la panne du crédit. Visionnaire, ses actions d’apparence improvisée auraient relevé d’un plan de réduction des impôts en prévision de l’amoindrissement des sources de crédit et d’un réinvestissements dans les infrastructures pour ériger l’Etat à titre de fer de lance de l’économie.
Il ne faut pas rêver. C’est une supercherie. On planque rétrospectivement un fil directeur entre des initiatives fragmentaires de la part d’un gouvernement qui jamais ne s’est voulu un cerveau pour la société québécoise. Charest s’est toujours senti au cours de son existence proche de ses racines conservatrices: le gouvernement ne doit pas se prendre pour le cerveau de la société et l’Etat est une valeur d’appoint.
Jean Charest, dans la vraie vie, ne peut allonger trois mots en économie si le discours n’est pas préparé par coeur. Il confond baisse d’impôts et crédits d’impôts. Jamais n’aurait-il été en mesure d’occuper un ministère à vocation économique. L’imprécision et le flou systématique au plan économique sous son règne ont largement prévalu.
Le renoncement
Charest l’a appris du parti Conservateur : il faut soulager le fardeau fiscal des plus riches car l’argent des riches, quand il se retrouve sur le marché, est plus efficace pour stimuler l’économie. Ce fut la prémisse qui gouverna le gouvernement Reagan alors que le jeune Jean Charest, influençable, faisait ses premières armes en politique canadienne.
Il a gardé cette idée fixe. On dit que la culture du parti Libéral aurait balisé son credo et nuancé ses adhésions naïves. En fait, le parti Libéral se présente comme une communauté d’intérêts. L’expression vient des rangs même de ce parti. C’est un parti qui entend donc servir le Canada, ses appartenances multiples, ses raisons modestes venues de plusieurs corporations d’affaires. Jean Charest n’a eu aucun mal à diriger un parti asservi à des logiques fractales et à des intérêts qui veulent se subordonner l’Etat.
On se souviendra de son réinvestissement de près d’un milliard de dollars en baisse d’impôts, des sommes venues du Fédéral en guise de règlement du déséquilibre fiscal. Ce fut le tollé au Canada où on l’accusa d’avoir usé de faux prétextes pour détourner des sommes. Au Québec, les protestations fusèrent également car tout le monde avait au moins vu un reportage sur la crise du bâtiment. Le Charest d’alors ne voyait dans les infrastructures qu’un motif dans la transdisciplinarité, un objectif à repenser et qu’il voulait diriger dans le respect scrupuleux de la fragmentation des intérêts.
Pour faire contrepoids, Charest joua au nationaliste: “Le fédéral ne me dira pas quoi faire”. Charest a un esprit brouillon mais il sait utiliser les points sensibles d’une société. Comprenant peu le fond des problèmes, il sent en revanche les endroits sensibles, les utilise comme des régions du langage à exploiter. Il les prend sous l’angle voulu et quand il les tient, il frappe, frappe encore.
Une ignorance gigantesque de l’économie
Rien n’est plus étranger à l’esprit de Charest que la macroéconomie. Il a trop à faire avec sa propre publicité, le monde doit savoir qui nous sommes au gouvernement. Les baisses d’impôts constituèrent sa marotte déclarée non pas parce que, comme il voudrait le faire entendre à présent, il savait qu’un afflux soudain de liquidités aide à endiguer une récession. Au contraire, ses discours parlaient du cycle de prospérité issu de l’essor des marchés puis de la nécessité d’en faire goûter les fruits aux principaux artisans de cette richesse.
Toujours dans ses discours, Charest parlait des principaux acteurs économiques, du besoin de faciliter leur travail. On reconnaissait les idées empruntées, les phrases chipées à ce que l’on a appelé la nouvelle droite. Charest parlait de réingénierie, un euphémisme pour la réduction de la taille de l’Etat et de partenariat avec le privé. Il n’y avait là nul élément intellectuel, nulle analyse sur quelques facteurs de crise inhérent au capitalisme mondial. Pour Charest, c’eut été aussi absurde que de chercher des feux de brousse au pôle Nord.
Bien que fort en selle au gouvernement, la réduction de la taille de l’Etat s’avéra plus difficile que prévu pour le gouvernement Charest. Charest décida donc de relancer avec ferveur la consigne: Plutôt que d’effectuer des mises à pied massives, on ne renouvellera pas les postes lors des mises à la retraite. On essaiera de faire assumer au personnel restant des cumuls de fonctions.
Charest a continué à souhaiter un tassement de l’Etat et la reprise de larges pans de ses responsabilités par le biais de la sous-traitance. Le problème, c’était les maudits syndicats. L’Etat comme inspirateur et milieu nourricier de l’économie, le gouvernement Charest n’en a absolument pas fait sa notion maîtresse.
Son gouvernement se contentait de lire les résumés des experts des institutions financières disant qu’une pleine croissance de l’économie finit par connaître des ralentissements. Donc, vous trouviez ça et là l’expression “ralentissement possible” dans quelques discours officiels. À partir de ces deux mots, le gouvernement a extrapolé a posteriori et bâti sa pure fable électorale d’aujourd’hui.
Souvenons-nous de tous les reportages qui avaient lieu bien avant l’effondrement du viaduc sur la crise du bâtiment, la réfection pressante de nos écoles et de plusieurs points névralgiques du réseau routier. Charest continuait de répéter avec une verve digne des Républicains aux Etat-Unis qu’il fallait baisser les taxes et ne pas envahir les champs de taxation laissés par le Fédéral. L’argent public pouvait bien servir à remonter quelques bâtiments décrépits, du moment que cela s’inscrive dans une vision microscopique, vu plus ou moins savamment comme un segment de l’économétrie.
D’où l’illusion dans laquelle on s’entretenait d’être dirigé par des gestionnaires et des comptables alors que les Québécois n’ont pas eu cela. Nous n’avons eu ni cela ni même rien d’autre. Charest, comme intendant de province, espérait aider le secteur privé à prendre la relève car rien n’est mieux que la créativité entrepreneuriale pour accoucher de bâtiments plus solides.
Et soudain, bang! Un viaduc tombe et tout à coup, Charest réagit par un programme massif d’emprunts. Après avoir prôné l’éparpillement de la communauté des intérêts, le petit, l’éclatement du pluriel, les « vrais problèmes » à l’échelle microscopique, Charest avait beaucoup de mal à penser que l’effondrement à grande échelle pouvait exister. Pendant toutes ces années, cela eut constitué une erreur idéologique.
Maquillage verbal et comptabilité
Maintenant Charest est pressé d’aller en élections pour présenter un programme d’endettements, d’emprunts plus que temporaires et de délaissement des champs de taxation, en attendant peut-être que le Fédéral les récupère. Si cela se fait, cela se fera au moins au nom de l’orientation globale, pense-t-il en grand ami du fédéralisme.
Pour dorer la pilule, il nous dit que sa dette est un entre-deux, non pas un déficit pour le présent, un investissement plutôt, une démarche globalisante.
Qui dit emprunts dit dettes mais Charest a deux ou trois stratèges qui ont développé un nouveau concept. Les dettes ne créent pas un déficit mais une région diagonale, intérieure à l’exercice financier quoique le devançant. Un vrai déficit ne pourrait se rapporter qu’aux activités courantes de l’Etat, posées de front.
Le vérificateur a le droit de discuter de tout cela dans des rapports complémentaires. Voyez-y une preuve du goût du premier ministre pour la consultation.
L’ennui, c’est que Charest défend un système qui remet la réflexion « panoramique », la remise en cohérence des efforts, à un autre gouvernement national. Quand il se heurte aux nécessités d’un investissement global, il s’empresse de convoquer l’électorat avant que son écran de fumée ne se dissipe trop.
Les emprunts dévolus aux infrastructures ne seraient pas un objet négatif mais une proposition positive, nous dit-il maintenant pour expliquer ce concept de dette qui transcende le déficit et en annule partiellement la possibilité. Vous trouverez rarement mathématiques plus tordues.
La vie ayant plus d’une facette, le gouvernement Charest arrive très bien à prêcher pour des paramètres comptables lucides, la haine du déficit mais le goût de l’endettement public, le partenariat avec le privé dans des monstruosités vaseuses, prises en délibéré jusqu’à plus informé dans des colloques consultatifs. Comme premier ministre qui dit oui à l’économie, on ne pouvait imaginer pire. La population s’en rendrait complice par le désengagement désinvolte et la désertion.
Jean Charest compte sur le renoncement par rapport au rêve québécois, sur une satisfaction désabusée, et sur la promesse d’écarter les élections pour les quatre prochaines années afin d’être élu majoritairement. Les Québécois feraient une très grave erreur en réélisant Jean Charest. Sous prétexte qu’on en a juste marre de la politique et qu’on n'a pas le goût de poser des gestes historiques, on reconduirait au pouvoir un gouvernement dont la boussole fut erratique.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2008

    On peut facilement conclure qu'il faut sortir l'abomination économique du pouvoir.
    La meilleure façon de le faire est de voter pour le candidat dont le parti qui a plus de chances, selon les sondages locaux, de battre le candidat Libéral abominable. Selon les sondages du niveau "provincial" québécois, ce serait, en grande majorité, le candidat du parti Québécois et dans quelques cas, celui de l'ADQ "les autres partis, trop faibles, ne sont pas dans cette course".