Fort de sa victoire circonstancielle, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) se trouve désormais aux prises avec deux dossiers particulièrement sensibles. Il s’agit de l’immigration internationale et de la laïcité. Voyons en quoi.
Au cours de la campagne électorale, sans que l’on sache sur quels critères il allait se baser, François Legault annonçait qu’il allait plafonner le nombre d’immigrants admis en 2019 à 40 000, alors que la planification du gouvernement libéral avait fixé un seuil variant entre 49 000 et 53 000 personnes pour la même année. Démagogie populiste ou analyse sérieuse des besoins et capacités d’intégration du Québec ?
Déposé le 5 décembre, son Plan d’immigration 2019 annonce des coupes dans chaque catégorie d’immigration : immigration économique (entrepreneurs, travailleurs autonomes et investisseurs), regroupement familial, immigration humanitaire.
Déjà, on remarque des incongruités. Puisque la CAQ clame que le Québec a besoin de main-d’oeuvre, pourquoi ne pas avoir sabré chez les investisseurs qui fuient le Québec dès qu’ils le peuvent ? Et pourquoi avoir avoué seulement après la campagne électorale qu’on aurait recours aux travailleurs temporaires ? C’est-à-dire à ce programme fédéral qui facilite la transition de travailleurs immigrants à la résidence permanente, mais pas pour les travailleurs à bas salaire et non qualifiés ? Deux poids, deux mesures.
En annonçant un test des valeurs et de possibles expulsions, ce qui va beaucoup plus loin, François Legault […] s’était pris les pieds dans le tapis. On parle maintenant d’évaluation. Mais rien n’est précisé dans ce domaine. Déjà le 20 septembre, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées ou immigrantes (TCRI) s’engageait à une mobilisation sans précédent et à créer des « zones sanctuaires de protection » pour les personnes touchées. […] On peut espérer que le ministre Jolin-Barrette saura protéger la réputation nationale et internationale du Québec en fermant le dossier des expulsions qui, de toute façon, relèvent du fédéral.
La laïcité : un enjeu historique
La laïcité est un dossier inachevé depuis des décennies et n’a rien à voir en soi et en principe avec l’immigration. Mais le contexte international a fait en sorte que, depuis les années 2000, les gouvernements ont dû faire face à des filières religieuses rigoristes, minoritaires, mais politiquement actives partout sur la planète, un problème à propos duquel aucun État démocratique ne peut se voiler la face.
Appuyé par l’opinion publique, le gouvernement caquiste entend interdire le port des signes religieux aux personnes en position de coercition (juges, policiers, gardiens de prison, etc.) et en position d’autorité (enseignants), tout en maintenant le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale à titre d’objet patrimonial important : une première incohérence flagrante. Car qu’entend-on par patrimoine dans le cas d’un crucifix introduit par le premier ministre Maurice Duplessis dont le nationalisme canadien-français et conservateur a marqué la période de la Grande Noirceur ?
Cet automne, une manifestation a eu lieu dans les rues de Montréal pour dénoncer le « racisme de la CAQ ». Les représentants de Solidarité sans frontières, de l’Association des travailleurs et travailleuses temporaires, des Voix juives indépendantes, etc., ont fustigé l’abaissement des seuils d’immigration, le test des valeurs, l’expulsion en cas d’échec, le projet de laïcité qui interdirait le port des signes religieux. Pour la porte-parole Safa Chebbi (une féministe « décoloniale » à la française, portant haut le symbole politique du hidjab, et membre fondatrice de la Table de concertation contre le racisme systémique), les déclarations de François Legault ont suscité la peur parmi les immigrants. L’argument de la peur n’est pas nouveau. Il a été utilisé lors de la proclamation de la Charte de la langue française, du référendum de 1995 et de la charte des valeurs, entre autres.
Certains persistent à répéter que ce sont les structures et les organisations de l’État qui doivent être laïques et non pas les personnes. Rappelons-le, cette différenciation entre structures de l’État et personnes en poste a été contestée par l’éminent sociologue Guy Rocher […]. Certains intellectuels et militants associatifs, provenant eux-mêmes des minorités ethnoculturelles, n’acceptent pas davantage cette distinction nébuleuse.
Dans les débats qui s’annoncent, on pourra réentendre l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité, le Mouvement laïque québécois ou Pour les droits des femmes au sein desquels militent des Québécois et Québécoises de culture musulmane et laïques. Nombreux en effet sont les citoyens et analystes qui ont constaté le retour du féminisme islamiste et du voile islamiste dans leurs pays d’origine et qui témoignent de l’expansion de l’idéologie wahhabo-salafiste dans la société québécoise. Car la société québécoise n’est pas un isolat à l’abri des courants de pensée internationaux. Elle est interconnectée et à ce titre concernée par ce qui se passe ailleurs.
Ce n’est ni avec la démagogie populiste de gauche ni avec celle de droite que l’on pourra traiter ces dossiers chauds.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un texte paru dans la revue L’Action nationale, novembre-décembre 2018, volume CVIII, nos 9 et 10.