QUÉBEC

Le double langage de Philippe Couillard

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Une seule solution pour sortir de ce labyrinthe: l’indépendance du Québec

Lundi, Philippe Couillard a prononcé un discours que certains ont qualifié d’historique à l’Assemblée législative de l’Ontario. De l’aveu même de son entourage, il était en effet historique, mais non pas tant en raison de son contenu que parce qu’il s’agissait du seul discours à Queen’s Park d’un premier ministre québécois depuis celui de Jean Lesage en 1964. Et comme il n’était pas en Islande, il l’a prononcé dans les deux langues officielles du Canada.

En campagne électorale, Philippe Couillard avait évoqué son « devoir historique » de faire reconnaître dans la Constitution canadienne le caractère distinct du Québec, s’engageant même, s’il remportait la victoire, à faire une tournée pancanadienne pour tenter de convaincre ses homologues des autres provinces ainsi que le premier ministre du Canada. Mais deux jours plus tard, après avoir ouvert la boîte de Pandore, il s’empressait de la refermer. « Lorsqu’eux voudront en parler, on en parlera. D’ici là, je parle juste d’économie et d’emplois », avait-il rectifié.

Or, dans son discours devant les parlementaires ontariens, Philippe Couillard, brisant sa résolution, en a parlé. Il entend même ajouter cet enjeu à la courte liste des demandes du Québec qu’il soumettra aux partis fédéraux en vue des prochaines élections. « Nous rappellerons aussi que le caractère spécifique du Québec doit nécessairement être formellement reconnu. Cette reconnaissance, redisons-le, est le reflet d’une réalité évidente qui participe à la définition même du pays », a-t-il déclaré.

Depuis Chauveau

Le premier ministre a présenté le Québec comme « une société distincte qui a quitté les estrades pour reprendre toute sa place : celle de leader au sein de la fédération canadienne qu’elle a contribué à bâtir ». Il a rappelé son devoir de défendre cette spécificité et de protéger la langue française, au-delà même des frontières du Québec. « Depuis Pierre-Joseph Chauveau, qui fut premier ministre en 1867, c’est le devoir de chaque personne qui lui a succédé de défendre et de promouvoir notre spécificité, notre caractère distinct, de promouvoir et de protéger notre langue au Québec, ailleurs au Canada et partout en Amérique du Nord. »

« Comme premier ministre du Québec, j’assume le rôle primordial de chef d’État de la seule société francophone en Amérique du Nord », a-t-il déclaré. Au risque de se montrer pointilleux, les férus de science politique pourraient lui faire remarquer que, dans notre régime politique, le chef d’État, c’est la reine, représentée par un archaïque bien que décoratif lieutenant-gouverneur.

Si Philippe Couillard emploie des notions meechéennes comme caractère distinct ou spécificité — des notions quelque peu surannées, doit-on en convenir — plutôt que de parler carrément de nation québécoise, c’est qu’il veut éviter toute référence aux conservateurs de Stephen Harper, selon les explications fournies par son entourage. Ce sont les conservateurs qui ont fait adopter une motion reconnaissant que les « Québécois » forment une nation, c’est-à-dire le groupe ethnique et non pas le Québec, une nuance importante que d’aucuns s’évertuent à gommer. Après le discours de Philippe Couillard, des apparatchiks conservateurs se sont d’ailleurs empressés de rappeler sur Twitter ce geste de reconnaissance, signale-t-on.

Molière présent

Dans son discours, Philippe Couillard n’a pas prononcé « distinct society », cet encombrant « distinct » qui, en anglais, a une connotation de supériorité. En fait, environ 60 % de son discours était en français. Tous les passages portant sur la reconnaissance de la spécificité du Québec et l’importance du fait français au Canada furent livrés dans la langue de Molière. Son éloquence à ce sujet n’a certes pu impressionner la majorité des parlementaires ontariens, qui ne comprennent pas le français. Grâce à la magie du bilinguisme, ils ont pu commodément faire la sourde oreille.

En anglais, Philippe Couillard a plutôt parlé d’économie, de la coopération entre les gouvernements québécois et ontariens, du fait que le Canada est une fédération et non pas un État unitaire, citant une déclaration faite par le premier ministre de l’Ontario John Robarts au moment de la visite de Jean Lesage. Il a évidemment abordé la question de la lutte contre les changements climatiques puisque la participation de l’Ontario à la Bourse du carbone, annoncée le mois dernier, est sans doute le plus important développement des relations entre les deux « États fédérés » des dernières années.

Qu’a-t-il en tête?

S’il demande aux partis fédéraux de s’engager à reconnaître formellement le caractère distinct du Québec, Philippe Couillard risque d’obtenir de leur part des réponses évasives. « Dans le reste du Canada, il n’y a aucune espèce de commencement de volonté de réparer l’erreur de 82 », observe l’ex-sénateur Jean-Claude Rivest.

Le constitutionnaliste Benoît Pelletier a remarqué que Philippe Couillard a parlé de reconnaissance « formelle » plutôt que « constitutionnelle ». Qu’a-t-il en tête ? se demande l’ancien ministre libéral.

La réforme du Sénat, qui, de l’avis de Philipe Couillard, pourrait servir de prétexte pour discuter du statut du Québec au sein de la fédération, est un projet plombé. Stephen Harper ne veut même pas prononcer le mot « sénateur » de peur de voir apparaître la bouille de Mike Duffy. Le premier ministre n’a d’ailleurs pas pourvu les quelque vingt sièges vacants à la Chambre haute, fait remarquer Jean-Claude Rivest. Justin Trudeau se contenterait d’une « réformette » administrative tandis que Thomas Mulcair propose son abolition, un changement constitutionnel qui requiert l’unanimité des provinces, une impossibilité.

Quant à la question des autochtones, dont le règlement nécessiterait des négociations de nature constitutionnelle, aucun parti fédéral n’en a fait une priorité.

Le soir de son élection à la tête du Parti libéral, Philippe Couillard avait réitéré son souhait que le Québec signe la Constitution canadienne lorsque le Canada célébrera le 150e anniversaire de sa fondation. Tout indique qu’il aura le loisir de revenir sur le sujet d’ici 2017, et bien au-delà. Et s’il ne le fait qu’en français, il n’importunera personne.


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