Le débat sur l'avortement est ouvert et il ne faut pas en avoir peur. 100 000 avortements par année au Canada, plus de 25 000 au Québec, c'est beaucoup trop. On pourrait les réduire de moitié si seulement les femmes en détresse à cause d'une grossesse inattendue étaient accueillies, informées et accompagnées avec compassion et solidarité dans leur choix.
Mes interventions pour une culture de la vie ont fait l'objet de toutes sortes d'interprétations depuis une dizaine de jours dans la presse francophone et anglophone du Canada. C'est pourquoi je tiens à clarifier le sens de mon engagement dans le débat actuel sur l'avortement. Je souhaite recentrer le débat sur l'essentiel. Les cas très exceptionnels ne doivent pas nous empêcher de voir la triste réalité de l'avortement devenu trop répandu.
Je [souhaite] lancer un appel à la solidarité avec les plus démunis de notre société: l'enfant à naître et la femme qui se trouve contrainte de recourir à l'avortement.
Je précise d'entrée de jeu que mon commentaire pour la défense de l'enfant innocent, même en cas de viol, était motivé par le désir de rappeler la dignité de la femme en toutes circonstances et le respect qui est dû à toute vie humaine naissante. Je constate qu'on a retenu et interprété seulement une partie de mon message. J'attire ici l'attention sur l'autre partie, dans l'espoir que le public prenne conscience du véritable enjeu de ce débat: l'appui à la femme enceinte de la part de l'homme, de la famille, de la société.
Je n'ai dit nulle part que je condamnais la femme qui avait eu recours à l'avortement. J'ai même dit le contraire en parlant directement à l'une d'entre elles sur les ondes d'une émission de télévision. Je n'ai déclaré aucune femme criminelle parce qu'elle avait subi un avortement. Je sais très bien que la responsabilité ultime de cette décision morale relève de la conscience personnelle qui agit en fonction de divers facteurs, dont l'intention de la personne et les circonstances. Dieu seul est juge de la conscience de chacun et chacune parce que lui seul peut mesurer tous les éléments de chaque cas.
Mon propos a toujours été de rappeler la norme morale objective avec la préoccupation de sauver la vie de l'enfant innocent et d'épargner à la mère les conséquences graves d'un avortement délibérément provoqué: c'est précisément le souci de la santé physique, psychologique et spirituelle de la femme en difficulté qui a motivé mes interventions. Je suis très désolé que mes propos, déformés ou cités hors contexte, aient pu causer des souffrances additionnelles aux femmes qui font face à des situations semblables. J'espère que ces mises au point serviront à assainir et à recentrer le débat.
Car débat il y a et il doit y avoir, même si une motion à Québec et une affirmation du premier ministre à Ottawa vont dans le sens contraire et refusent de rouvrir la législation sur l'avortement.
Je déplore cette attitude de plusieurs de nos représentants qui ne semblent pas vouloir regarder en face l'injustice que notre pays cautionne en n'accordant aucune protection juridique à l'enfant dans le sein de sa mère. Notre pays est à cet égard un cas unique dans le monde. Beaucoup l'ignorent et croient vivre dans l'un des pays les plus avancés dans le domaine des droits de la personne. Or, nous n'avons de leçon à donner à personne en ce domaine. Nous devrions même nous ouvrir à ce qui se fait ailleurs afin de mieux voir ce qu'il nous faudrait améliorer pour protéger les enfants encore sans voix qui espèrent voir le jour.
Avec mon collègue, archevêque d'Ottawa, qui entretient lui aussi, comme moi, des rapports plus étroits avec les gouvernants, je m'adresse à la conscience de mes compatriotes, femmes et hommes, pour que nous réclamions un jour ensemble que le vide juridique actuel en matière d'avortement, un état de choses injuste, soit modifié en notre pays.
Cependant, tenant compte de l'impasse politique et juridique dans laquelle nous vivons, je lance un appel pour qu'une campagne de sensibilisation et des programmes d'aide aux femmes en détresse se développent davantage en notre pays. Il manque beaucoup d'information, d'accompagnement et d'aide financière, pour que les femmes enceintes soient mises en situation de faire un choix éclairé. Il importe beaucoup qu'à tous les niveaux, gouvernemental, médical et social, des programmes d'aide plus efficaces pour les femmes en situation de grossesse difficile soient mis en oeuvre afin que le plus grand nombre possible parmi elles puissent éviter l'avortement.
Le débat actuel nous place d'une façon inattendue devant un choix de société qui peut dépasser les clivages habituels et rallier le plus grand nombre. La présence des jeunes dans ce débat révèle une nouvelle sensibilité qui n'est plus celle d'il y a vingt ans. L'expérience des familles a aussi beaucoup changé, mais le fait demeure que la venue d'un enfant apporte au foyer beaucoup de bonheur.
Cette valeur s'ajoute à tout un patrimoine de solidarité sociale pour les plus démunis qui fait notre fierté et qui réclame du Québec et de toutes les provinces du Canada un nouveau choix. Il appartient désormais à tous et toutes de réfléchir à ce choix. N'ayons pas peur de ce débat qui configurera l'avenir de notre peuple.
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Marc Ouellet - Archevêque de Québec
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