Il s’est présenté avec le sourire proche de l’hébétude, content d’être content d’avoir évité la chicane. Il est satisfait d’avoir constaté que Trudeau a de bonnes intentions. La belle affaire ! Et comme si ce n’était pas assez, il a de nouveau souri pour dire qu’il faut maintenant attendre les actions. Il faut attendre ! Attendre pour continuer, sans doute. Attendre pour continuer d’attendre…
La mise en scène était parfaite, rien de tel qu’un café dans un lieu branché du Vieux-Montréal pour avoir l’air au-dessus des affaires. Le cool et le bon gars pour jaser des affaires de la province. La domination sera bienveillante, la servitude toute douce.
Le système de santé craque de partout, l’équivalent d’une ville entière s’engouffre dans le chemin Roxham, le système d’éducation est en lambeaux, celui de la justice tourne à la caricature ? Un peu de sucre pour le café ? Tout était prévu pour désamorcer le seul discours qui aurait pu permettre d’aborder les choses comme elles sont. Il n’y a pas de crises dans la province. Elle peut toujours compter sur un Canada bienveillant que 112 000 immigrants par année pourraient bien venir célébrer au centre-ville de Montréal. La mise en scène du déni.
François Legault s’est de nouveau écrasé. Fini le poing sur la table pour revendiquer des pouvoirs. Exit l’angoisse existentielle et la crainte de la louisianisation. La résignation pragmatique lui tient lieu d’horizon : il va s’arranger avec ce que le Canada lui laisse. Un mégacentre d’accueil pour les piétons du Roxham au lieu d’en exiger la fermeture. Une entourloupette sur les données en santé pour avaler une autre couleuvre et laisser Ottawa tenir notre système de santé en état de sous-oxygénation permanent. Dors mon public, dors chantaient Ding et Dong.
La province peut ronronner tranquille. Les comptables émettent des chèques, le reste peut attendre.
Ce gouvernement a choisi de tout chloroformer, convaincu qu’il est que l’éternel penchant minoritaire de minimisation des pertes fera tout accepter. Quelques exemples pour mieux somnoler :
• Drainville qui avoue sans gêne qu’il ne touchera pas au système d’éducation de plus en plus inégalitaire et discriminatoire en est déjà devenu le symbole zombie par excellence. « On est ben d’même » et chacun pour soi. À l’inverse des aspirations qui l’ont fait naître, pas d’élan, pas d’aspiration à l’émancipation, que la lutte du chacun pour soi, que la culture du p’tit privilège pour calmer l’anxiété de déclassement qui gagne des couches sociales entières.
• Des maisons des aînés pour se donner des emblèmes pour faire semblant que la province s’occupe du vieillissement. Des bâtiments fétiches coûteux qui ne répondront en rien aux enjeux de l’immense majorité des personnes âgées qui souhaitent vieillir chez elles et que les sommes englouties dans ce projet spectacle pourraient doter de services d’aide à domicile dignes de ce nom.
• Des hôpitaux privés discrètement évoqués, supposément envisagés pour désengorger le système et qui paveront la voie à un dispositif d’évitement pour privilégiés. Un dispositif pour que les médecins payés par l’État puissent encore plus aisément fixer leur niveau de rémunération et leurs conditions de pratique. La santé est déjà le thème dominant de la provincialisation galopante. La crise démographique lui fournira les prétextes et le carburant.
• Rareté de main-d’œuvre, pénurie de travailleurs fournissent déjà au patronat le prétexte rêvé pour réduire encore davantage les exigences de francisation. Ils sont déjà en train de plaider, les Michel Leblanc et autres bonimenteurs de chambre de commerce, qu’il faut ouvrir les frontières d’abord et espérer que les moyens les plus doux fassent par magie ce qu’une vraie loi devrait faire. Ils sont déjà en train de faire semblant de ne pas voir que cela va asphyxier les institutions françaises, que cela va faire imploser l’école publique montréalaise, que cela bilinguise d’ores et déjà le système de santé. Et tout cela pour se convaincre que le manque de plongeurs dans les McDo de province va déstabiliser l’économie et que cela vaut bien qu’on baisse nos aspirations à vivre en français.
• La crise démographique des régions reste masquée par les quelques retours en province alors que les cégeps (et les autres services publics y passeront à leur tour) sont de moins en moins viables sans l’apport d’étudiants étrangers. Et notre bon gars de se fier aux bonnes intentions d’une machine folle et raciste pour qu’elle accélère le traitement des dossiers des étudiants africains francophones. Il n’y a pas de limite à la crédulité quand on consent à l’impuissance. Et il y a toujours l’indigence intellectuelle et l’indolence soumise que la nécessaire politique de population est hors de portée d’un gouvernement provincial.
• La crise culturelle majeure qui couve dans l’immense déficit de transmission et de socialisation qui affecte la fréquentation des œuvres et qui ne se résoudra pas par les solutions comptables simplistes si chères à ce gouvernement qui pense trop souvent que « tirer de l’argent » sur un problème constitue la principale solution. Les enjeux d’inscription de la transmission culturelle dans les institutions sont d’abord des enjeux de conception, de modèles de diffusion et de valorisation qui renvoient à des positions de construction de la légitimité de la vie culturelle et de la centralité qu’il faut lui accorder partout et en tout temps. Une génération d’apatrides est en déformation dans un système en voie de dénationalisation rapide. Le Québec accepte de vivre à la périphérie de lui-même.
• La crise linguistique que la loi 96 ne jugulera pas parce que le gouvernement refuse obstinément de reconfigurer les institutions d’un complexe dualisé qui inscrit le bilinguisme au cœur des grandes missions de l’État. Surfinancement des universités et cégeps anglophones, surdéveloppement éhonté de McGill et Concordia, tolérance scandaleuse à l’égard du CUSM, pour n’en nommer que quelques exemples qui suffiront amplement à annuler les maigres efforts de francisation dans un univers où tout sera maintenu pour éviter le français qui restera une langue facultative. Les lenteurs bureaucratiques alimenteront les discours et la langue de bois pour dénaturer la francisation et en faire un alibi, une véritable mesure dilatoire.
• Le travail de sape de la Cour suprême qui va continuer d’éroder les choix démocratiques en toutes matières, à commencer par le sabotage de la loi 21 et l’émasculation de la loi 96. Ottawa qui mettra nos impôts à disposition pour financer les opérations et soutenir les manœuvres de « dé-légitimation » de notre combat au nom de l’inclusion et de la diversité. Les campagnes actives de Radio-Canada et du complexe médiatico-culturel canadian qui déploient des sommes faramineuses à la construction du multiculturalisme comme doctrine indépassable.
La liste pourrait et va s’allonger, car ce mandat sera celui du renoncement. La province va s’affaler et vont sévir comme jamais les élites qui vivent des miettes du Canada et celles qui gagnent leur vie à tout mettre en œuvre pour que rien de la situation tragique de notre existence nationale n’arrive à la conscience publique. Le Québec ne s’entend plus venir au monde comme l’a si magnifiquement écrit le défunt poète Michel Garneau. Le bon gars qui fait des sourires paternalistes devant les dégâts de la marginalisation politique du Québec va passer en mode babillage pour couvrir le fracas des gestes d’Ottawa qui vise désormais à ce que la nation ne s’entende pas agoniser.
François Legault n’est que le dernier rejeton d’une longue lignée de bons gars qui ont fait du bonententisme une doctrine du rapetissement consenti. Il s’en doute certainement. Le petit rictus qu’on voit parfois paraître à la commissure de ses lèvres à la fin de ses points de presse les plus erratiques ne trompe pas. La soumission est amère même lorsqu’elle est poursuivie pour satisfaire les ambitions égoïstes. Il peut sans doute chercher à s’en convaincre, mais l’avenir de notre peuple n’a rien à faire des bons gars. Le combat qu’il refuse le sortira de l’Histoire. Il rejoindra les Jean-Jacques Bertrand et autres fossiles de la démission.