Le coeur du cyclone

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Le prix d'une politique étrangère mal inspirée

Il faudra du temps avant d'éclaircir toutes les zones d'ombre autour de l'attaque contre deux militaires commise hier dans un stationnement de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cet événement. Trop tôt, aussi, pour appuyer sur le bouton de la panique.
Mais au moment d'écrire ces lignes, l'identité de l'agresseur ne faisait plus de doute. On savait aussi que Martin Rouleau diffusait des messages islamistes sur les réseaux sociaux sous le surnom improbable d'Ahmad Rouleau. Et qu'il avait récemment embrassé l'islam radical.
Bref, on en savait assez pour pouvoir dire que son geste ne peut pas être complètement dissocié du contexte global dans lequel il est survenu. Et ce contexte, c'est celui de la montée fulgurante des mouvements islamistes radicaux en Occident. Et de leur popularité croissante chez de jeunes convertis qui viennent tout juste de découvrir le Coran.
Martin Ahmad Rouleau souffrait peut-être d'une santé mentale précaire, il a pu succomber à un soudain accès de furie psychotique. Mais si sa furie a pris la forme qu'elle a prise, c'est parce que l'islam ultra radical est dans l'air du temps. Et qu'une personne qui cherche un sens à son délire n'a qu'à s'asseoir devant son ordinateur et à taper «djihad» dans l'outil de recherche de son choix.
Le fait qu'il ait foncé sur des militaires canadiens n'est probablement pas dû au hasard non plus. Le 21 septembre, un porte-parole du groupe État islamique (EI) a diffusé une interminable vidéo appelant les «fidèles» à sévir contre les citoyens des pays membres de la coalition qui avait entrepris de le bombarder en Irak et en Syrie.
«Si vous pouvez tuer un infidèle américain ou européen - surtout un méchant et dégoûtant Français - ou un Australien ou un Canadien, ou n'importe quel autre infidèle parmi les infidèles qui nous font la guerre, y compris les citoyens des pays qui font partie de la coalition contre l'État islamique, fiez-vous à Allah et tuez-le d'une façon ou d'une autre», disait le messager de l'EI.
Cet appel lancé sur Twitter suggérait même quelques méthodes pour assassiner les mécréants. Y compris... leur rouler dessus.
Ce n'est pas la première fois que des djihadistes s'en prennent à des militaires occidentaux. C'est en tirant sur des soldats que Mohamed Merah avait commencé sa tuerie à Toulouse, au printemps 2012. Un an plus tard, un soldat britannique a connu une fin atroce quand deux hommes lui ont foncé dessus avec leur auto, avant de brandir un couteau et de tenter de le décapiter, au nom de la défense des musulmans.
Bref, nous ne sommes pas en terrain inconnu. Ce qui est nouveau, c'est qu'un acte de cette nature se produise au Canada.
«Le Canada a longtemps été à la périphérie de la problématique du djihadisme», dit Samir Anghar, spécialiste des mouvements radicaux affilié à l'Université du Québec à Chicoutimi. Parce que sa population musulmane est relativement petite: à peine 2%, contre 10% en France. Géographiquement, le Canada est loin du monde arabe. Historiquement aussi: le Canada ne traîne pas un vieux passé colonial dans ses bagages.
Bref, même s'il a déjà été inscrit sur la liste noire d'Al-Qaïda, le Canada a longtemps joui d'une relative immunité face au terrorisme. La guerre civile en Syrie, l'avènement de l'EI et notre engagement militaire contre ce groupe armé sont en train de changer la donne.
On estime que plusieurs dizaines de Canadiens ont déjà rejoint les troupes djihadistes en Syrie. Les recruteurs du djihad commencent d'ailleurs à faire des ravages chez les filles, promises en mariage à des combattants islamistes en Syrie, comme le raconte un reportage troublant publié dans le Toronto Star, samedi.
En d'autres mots, quelle que soit l'histoire personnelle de Martin Rouleau, quel que soit le mécanisme qui l'a poussé à faire ce qu'il a fait, tout porte à croire que c'est le discours de l'islam radical qui lui a fourni et sa cible, et son arme. Ça ne veut pas dire que du jour au lendemain, des fous d'Allah vont descendre dans les rues et tirer sur tout ce qui bouge. Mais ça veut dire que le Canada est en train de perdre sa position périphérique. Et de s'approcher un peu plus du coeur du cyclone.


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