Le caricaturiste, c'est Dion

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Dans une longue entrevue au Téléjournal de Radio-Canada, Stéphane Dion a réfléchi à voix haute aux causes de la défaite de son parti aux trois élections partielles de lundi dernier.


Il faut saluer la candeur de Stéphane Dion, qui n'a pas hésité à faire son mea culpa. Mais je ne sais pas s'il se rendait compte, qu'en se livrant ainsi, il étalait sur la place publique de terribles lacunes, l'absence chez lui de qualités essentielles pour diriger un grand parti et, à plus forte raison, un pays.


Dans cette entrevue très franche, le chef du Parti libéral du Canada me fait même l'honneur de me citer. Il se dit d'accord avec mon analyse de ses résultats électoraux. «[M. Dion est un homme d'idées, écrivais-je mercredi->9067]. Et il a été jugé lundi sur ses idées.» Le principal intéressé estime que j'ai posé la bonne question, mais que je n'ai pas donné pas la bonne réponse. Ce ne sont pas ses idées qui ont été rejetées, nuance-t-il, mais bien la caricature qu'on en a faite.
Le métier de politicien consiste largement à maîtriser son message. L'acte de communication ne consiste pas seulement à contrôler ce qui sort de sa bouche, mais aussi à contrôler ce qui parviendra aux oreilles de ceux auxquels il s'adresse. Par définition, des idées complexes d'un politicien pourront être mal comprises. Par définition aussi, elles seront caricaturées par ses adversaires. Le talent politique, c'est aussi d'être capable de contrer la caricature.
Il est vrai que Stéphane Dion a plus été caricaturé que d'autres, parfois cruellement. Raison de plus pour s'attaquer à ce problème, qui n'est certainement pas nouveau. Pourquoi n'a-t-il rien fait? Et cela s'explique, à mon avis, par le fait que M. Dion n'a pas accepté le fait que les débats publics ne reposent pas seulement sur les idées. Il y a aussi les perceptions, les symboles et les émotions. Ce sont là trois ingrédients incontournables dont Stéphane Dion ne tient pas compte et qu'il ne semble pas capable de gérer.
Commençons par les perceptions. Stéphane Dion constate avec regret qu'il est perçu comme un politicien qui n'est pas «pro-québécois». Il ne peut pas avoir découvert ça cette semaine! C'est comme ça depuis la loi sur la clarté référendaire. Et cette image a été renforcée au sein de son propre parti, lors de la course au leadership. Ses positions sur la nation et le déséquilibre fiscal expliquent en bonne partie son impopularité auprès des délégués québécois et son succès chez les Ontariens, qui a contribué à sa victoire. Dès qu'il est devenu chef, on s'interrogeait, dans son propre parti, sur sa capacité de reconquérir le Québec. M. Dion savait qu'il avait une côte à remonter. Qu'a-t-il fait? Rien. Voilà un premier signal, celui d'un politicien pour qui les perceptions peuvent être balayées du revers de la main.
Il n'a pas non plus tenu compte du fait que la vie collective est nourrie par des symboles et des élans. Au Québec, que l'on aime cela ou non, l'affirmation nationale s'est exprimée depuis quelques années autour de la nation et du déséquilibre fiscal. C'est ce qui définit ceux qui sont «pro» ou «anti» québécois.
Comment a-t-il pris en compte la charge symbolique de ces enjeux? M. Dion reconnaît l'existence de la nation au sens sociologique du terme, mais il y met tellement de nuances et il a tant dénoncé la résolution de Stephen Harper qu'on se souvient bien plus de ses réticences que de son appui. Il aurait pu faire autrement, sans piler sur ses principes, par exemple en se réjouissant du fait que cette reconnaissance constitue un progrès. Quant au déséquilibre fiscal, il refuse d'en reconnaître l'existence. Il aurait, là aussi, pu agir autrement: en redéfinissant le concept au lieu de le combattre. M. Dion n'a pas voulu moduler son discours. Par orgueil et entêtement, ou parce qu'il est allergique aux symboles du nationalisme québécois? Le résultat est le même.
À cela s'ajoutent les émotions. Le jugement des gens reposera souvent sur ce qu'ils ressentent. Et ce qu'ils ont vu chez M. Dion, année après année, c'est sa façon de se braquer, l'agressivité du ton et le «body language» d'un politicien réticent dans des dossiers qu'ils associent à l'identité québécoise.
Stéphane Dion se plaint du fait qu'il doive se battre contre une caricature de lui-même. Et j'en arrive à deux conclusions. D'abord, que la caricature n'est pas si loin de la réalité. Ensuite, qu'il a très largement contribué à la façonner. Le caricaturiste, c'est lui.


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