Le Devoir samedi 18 mars 2006
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Vu du grand bureau qu'il occupe sur les bords de la Seine, on pourrait avoir l'impression que Clément Duhaime est simplement passé de la rive droite à la rive gauche. L'ancien délégué général du Québec à Paris vient en effet d'emménager dans les bureaux de l'ancienne Agence internationale de la Francophonie. Mais pas pour longtemps, puisque l'organisation déménagera bientôt dans de nouveaux locaux à deux pas de l'UNESCO.
Paris - C'est peut-être là, dans un futur bureau, que le numéro deux de la Francophonie réalisera un de ses rêves les plus chers. En effet, l'organisation internationale regroupant les membres de la Francophonie profitera de ce déménagement afin de se doter d'une véritable Maison de la Francophonie qui pourra aussi accueillir de nombreuses activités culturelles. La Francophonie aura en quelque sorte son centre culturel à Paris. On sait que l'ancien délégué avait tout fait pour que le Québec se donne un centre culturel dans la capitale française, jusqu'à ce que l'actuel gouvernement québécois reporte aux calendes grecques le projet pourtant très avancé. Mais rien n'empêchera la Maison de la Francophonie d'accueillir... des activités québécoises, glisse Clément Duhaime avec un petit sourire narquois.
Cela faisait plusieurs années qu'un Québécois n'avait pas occupé de si hautes fonctions dans la Francophonie, depuis le départ de Jean-Louis Roy de l'Agence internationale de la Francophonie en 1998 et de Jean-Marc Léger dans les années 1970 (on parlait alors de l'Agence de coopération culturelle et technique). Clément Duhaime est en réalité le premier à occuper ces fonctions depuis que l'Agence, responsable de l'aide aux pays en développement, a été fusionnée à l'Organisation internationale de la Francophonie, présidée par l'ancien président sénégalais Abdou Diouf.
«En 2006, dit Clément Duhaime, on réalise d'une certaine façon le rêve de Léopold Senghor. Dorénavant, la Francophonie sera représentée par un seul organisme rénové qui tiendra sur ses deux piliers: la politique et la coopération.» Duhaime n'hésite d'ailleurs pas à comparer sa nomination à la restructuration que s'apprête à faire Kofi Annan à l'ONU, où le secrétaire général pourrait se donner un véritable bras droit, tout comme l'est Clément Duhaime pour Abdou Diouf.
Faible budget
Mais là s'arrêtent les comparaisons puisque, malgré ses 53 États et gouvernements membres, la Francophonie est régulièrement ramenée à la petitesse de ses moyens. Avec son maigre budget, elle suffit à peine à la tâche, rappelle Clément Duhaime. C'est pourquoi l'une des premières missions du nouvel administrateur a consisté à réclamer des pays membres une augmentation de leur contribution.
Cette demande est particulièrement pressante pour le Canada, dit Duhaime, puisque, contrairement à la France, celui-ci n'a pas augmenté sa contribution depuis l'époque du gouvernement de Brian Mulroney, dans les années 1980. Si l'on excepte les contributions statutaires qui ne bougent pas, la part de la France dans les contributions dites volontaires dépasse aujourd'hui 60 % du total, alors que celle du Canada ne représente pas 30 %. En ne consacrant qu'un maigre 0,25 % de son PNB à l'aide au développement, précise Clément Duhaime, le Canada est pourtant très loin d'atteindre les objectifs préconisés par l'ONU (0,7 %). Malgré ses discours, le Canada consacre à l'aide au développement une part de son PNB moins grande que la France, la Belgique et la Suisse.
Pour convaincre les membres de sa bonne gestion, Clément Duhaime a d'ailleurs demandé au vérificateur général du Canada, à la Cour des comptes française et à celle du Maroc d'examiner l'ensemble des frais de gestion de l'organisation. «Il s'agit de s'assurer que l'essentiel de nos ressources va à la coopération», dit Clément Duhaime.
Diversité culturelle
L'autre grande préoccupation du nouvel administrateur concerne l'image de la Francophonie. Cette image, en particulier dans les pays développés, n'est pas encore ce qu'elle devrait être, avoue Clément Duhaime, même si la perception de l'organisation s'est nettement améliorée depuis quelques années. Le débat sur la diversité culturelle à l'UNESCO et dans les milieux culturels a largement contribué à montrer une francophonie ouverte sur les autres cultures. «Mais, il faut être sensible aux critiques qui demandent régulièrement à quoi sert la Francophonie.» Où à ceux qui, comme Amin Maalouf, considèrent que les Français s'excluent naturellement de cette idée francophone. L'écrivain libanais expliquait récemment dans un article virulent du quotidien Le Monde que l'idée de culture francophone avait été «pervertie» puisque le mot «francophone» ne sert plus en France qu'à identifier «les étrangers» qui parlent français.
«Dans les pays du Sud, la Francophonie est généralement bien perçue. C'est plutôt dans les pays du Nord que l'image de la Francophonie est à améliorer, dit Clément Duhaime. L'arrivée des pays d'Europe centrale et orientale, qui ne sont encore qu'observateurs pour la plupart, risque de changer cette dynamique.»
Dans les semaines à venir, la priorité de la Francophonie ira à la ratification de la Convention sur la diversité culturelle récemment adoptée à l'UNESCO. L'organisme veut s'assurer que tous ses membres ratifient le traité au plus vite. Pour l'instant, seul le Canada l'a ratifié. Le Sénégal et le Burkina Faso ont donné leur accord de principe au niveau ministériel. La France devrait quant à elle annoncer bientôt le dépôt d'un projet de loi. Bref, on est encore loin des 30 États qui permettront à la convention d'entrer en vigueur.
Le français, une force d'attraction
Clément Duhaime souligne d'ailleurs à quel point l'action de la Francophonie a été déterminante pour l'adoption de cette convention. On a là, dit-il, une démonstration du bien-fondé des résolutions adoptées à Beyrouth en 2002 qui ont transformé la Francophonie en véritable organisation politique. Le nouvel administrateur ne partage pas l'avis de ceux qui estiment que, depuis, l'action de la Francophonie s'est diluée, notamment à cause de l'élargissement de son membership.
«Au contraire, je considère que c'est une chance que la Francophonie regroupe des pays dont le français n'est pas nécessairement la langue maternelle, ni une langue officielle. Si la Francophonie s'est élargie aussi naturellement, c'est que le français a une force d'attraction. Les nouveaux adhérents savent que la Francophonie a pour tâche de défendre la langue française et cela fait du français une langue de rassemblement.»
Afin que s'assurer que la défense de la langue française ne demeure pas lettre morte dans les pays membres, Abdou Diouf vient d'ailleurs de mettre sur pied un groupe de réflexion sur le français dans la vie internationale. On sait par exemple que plusieurs pays membres de la Francophonie choisissent régulièrement l'anglais lorsque vient le temps d'intervenir dans les autres organisations internationales. «À Beyrouth, la Francophonie avait décidé de resserrer ses critères d'adhésion, dit Clément Duhaime. Il est peut-être temps maintenant d'aller plus loin dans les devoirs et les obligations des membres pour l'utilisation du français.»
La Francophonie n'a-t-elle pas formé l'an dernier au français près de 6000 fonctionnaires de l'Union européenne? Récemment, l'organisation a servi de lieu de concertation des pays francophones avant le sommet de l'ONU sur les changements climatiques qui s'est tenu à Montréal. En collaboration avec le Commonwealth, la Francophonie assure aussi la formation des représentants africains qui participent aux négociations de l'OMC.
Une carrière en diplomatie
À Paris depuis 21 ans, Clément Duhaime a depuis longtemps appris à nager dans le petit monde de la diplomatie parisienne. C'est même un des rares diplomates de carrière que compte le Québec. Dès 1984, il quittait le cabinet du ministre de l'Éducation Jacques-Yvan Morin pour retrouver la ville où il avait étudié et s'occuper de la Francophonie à la délégation générale du Québec. Il contribua notamment à l'organisation du tout premier sommet de la Francophonie à Paris en 1986. Il fut par la suite représentant permanent de la Francophonie auprès de l'Union européenne à Bruxelles et conseiller spécial chargé de la politique de coopération et du budget auprès du secrétaire général de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali.
Lorsqu'on est délégué général du Québec à Paris, on doit constamment apprendre à tenir compte des susceptibilités de Québec et d'Ottawa, dit l'ancien délégué. «Je dois maintenant apprendre à faire la même chose avec une soixantaine de gouvernements!»
Correspondant du Devoir à Paris
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