Le Canada, c’est payant pour ceux qui le servent

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Très vrai !





Les premières nominations de Stéphane Dion à des postes diplomatiques déterminants nous rappellent une chose: c’est que le Canada est payant pour qui le sert. On l’a vu: le gouvernement Trudeau a nommé, pour l’essentiel, des hommes associés à la mouvance libérale, et qui se sont commis en sa faveur.


Il ne s’agit évidemment pas de remettre en question la compétence de ceux qui sont promus à ces gros postes. Ils sont probablement qualifiés – à tout le moins, nous n’avons aucune raison de croire le contraire et ils feront très bien leur travail. Et par ailleurs, il est normal qu’un gouvernement nomme des hommes qui sont résolus à appliquer sa politique.


Mais comment ne pas voir aussi là un exemple fascinant des raisons qui poussent un grand nombre de représentants des élites québécoises à embrasser le Canada? Comment ne pas y voir, en d’autres mots, un rappel de la puissance de la petite loterie, analysée il y a de cela un bon moment par le sociologue Stéphane Kelly? Le pacte a historiquement été le suivant: nos élites se rallient au Canada et en seront récompensées. En échange, elles nous feront accepter notre subordination politique.


Servir le Canada ouvre à un grand nombre de possibilités professionnelles. L’État fédéral, qui n’est pas un nain politique, à la différence de l’État québécois, dispose de nombreuses ressources pour fidéliser ceux qui se rallient à lui et qui lui prêtent allégeance. Et la chose va bien au-delà des seuls postes à pourvoir dans la machine fédérale.


Les grandes institutions pourvoyeuses de légitimité et de prospérité sont généralement liées d’une manière ou d’une autre au régime politique canadien. Il ne faudra jamais le contester trop ouvertement – même si ce régime sait se montrer compréhensif à l’endroit de ceux qui le rallient, en pardonnant les péchés de jeunesse souverainistes.


Les fédéralistes, au Québec, n’ont pas seulement le pouvoir politique, mais le pouvoir social et économique. C’est-à-dire qu’ils contrôlent, au-delà de l’État, de grands pans de notre société. Quand les libéraux québécois perdent le pouvoir, ce qui arrive par ailleurs de moins en moins souvent, ils ont un nombre incalculable de lieux où atterrir professionnellement en attendant leur retour aux affaires. Et les fédéralistes préfèrent se tenir ensemble plutôt que pratiquer la guerre civile idéologique à ciel ouvert.


Un homme ambitieux, sauf s’il a une conscience patriotique particulière vive, a tout intérêt, dans sa carrière, à rejoindre les circuits fédéralistes et à multiplier les gages de fidélité au Canada. Devant les souverainistes, il pourra adopter plusieurs postures, comme l’arrogance, le mépris ou la condescendance – de temps en temps, il dira en avoir peur en les présentant comme de terribles révolutionnaires. Il faut dire que les souverainistes ne sont pas si nombreux dans les milieux dominants et que notre ambitieux n’en croisera pas si souvent.


Cela explique peut-être l’arrogance actuelle des libéraux québécois, qui se sentent installés au pouvoir pour une durée illimitée – à Ottawa, ils vont vécu leur retour aux affaires comme un retour à la normale. Ils savent que la société québécoise leur appartient, et s’ils doivent évidemment tolérer une opposition nationale, par ailleurs divisée sans bon sens, ils ne s’en inquiètent pas outre mesure. Ce sont les gardiens satisfaits de l’ordre établi qui s’amusent des velléités souverainistes des uns et des autres.


Inversement, ceux qui s’engagent dans le mouvement souverainiste sont souvent condamnés à une forme ou une autre d’isolement social ou économique. Après leur passage en politique, ils peineront souvent à se retrouver une fonction à la hauteur de leur talent. Certains s’exileront comme on l’a vu, il y a quelques années à peine, avec Jean-Martin Aussant. Les souverainistes, en fait, ne disposent pas du pouvoir social – même s’ils ont disposé, pendant un temps, du pouvoir culturel, pour peu qu’on nuance considérablement cette affirmation.


On me comprendra bien: je ne réduis pas les convictions fédéralistes des uns et des autres à une forme de maquillage idéologique dissimulant des intérêts sonnants. Par exemple, un Pierre Trudeau croyait vraiment que le Canada était un pays moralement supérieur disciplinant nos pires instincts tribaux. Et Robert Bourassa croyait sans aucun doute que le Québec avait un intérêt économique et financier à appartenir à un ensemble politique plus vaste en Amérique du Nord. Il y voyait une forme de sécurité géopolitique.


Mais je dis que la structure du pouvoir au Québec peut contribuer à la formation de telles préférences dans les milieux qui se croient naturellement destinés à exercer le pouvoir. En un mot, au-delà des mérites discutables des différentes options politiques en présence, et on ne devrait pas cesser d’en discuter intellectuellement, évidemment, la force d’attraction de l’option fédéraliste et des partis qui la servent au Québec dépend aussi des nombreux avantages matériels et professionnels qui y sont liés.


Cela peut sembler aller de soi, mais pourtant, on se fait trop souvent croire que les souverainistes et les fédéralistes se battent à armes égales au Québec et que si les premiers s’inclinent devant les seconds, c’est seulement à cause de la moins grande qualité de leur argumentaire. Il y a des limites à nier le réel pour se réfugier dans un fantasme désincarné.


Il se pourrait qu’au-delà des mérites respects du fédéralisme ou de la souveraineté, cette donnée pèse dans notre balance politique et explique pourquoi une frange importante de nos élites semble croire spontanément que le Canada offre un meilleur destin au peuple québécois que celui proposé par les indépendantistes.




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