Depuis que Pauline Marois a jeté la bombe de la taxation, l’essentiel des commentaires politiques et économiques a porté sur le fond de la question : les incidences sur la mobilité, la notion de riches, le dividende et le gain de capital. Quelqu’un venu de l’extérieur serait surpris et en conclurait que Mme Marois et son entourage connaissent peu ou pas ces choses.
Commençons par l’entourage. Nicolas Marceau est un économiste chevronné, diplômé d’une grande université canadienne; il possède un dossier de publications en matière de fiscalité tout à fait exceptionnel. Les incidences fiscales des mesures de taxation lui sont très familières. Avec des collègues, il a même reçu un prestigieux prix au Canada pour un article sur l’évasion fiscale et les taux de taxation!
Sur le plan des concepts et des implications de la taxation, il est sûrement le ministre des Finances le mieux préparé de l’histoire du Québec moderne.
Allons du côté de Mme Marois. Comme première ministre et chef de son parti, son agenda est aussi politique; davantage même, compte tenu de sa position à l’Assemblée nationale et des tendances dans son parti. C’est dans l’optique de cet agenda politique que l’analyse et les commentaires devraient porter. Autrement dit, quelle finalité politique peut bien expliquer cette bombe?
On peut vouloir mettre en cause la profondeur de la pensée économique de Mme Marois, mais on peut difficilement remettre en question son intelligence et ses instincts politiques. Elle a mérité ses lettres de noblesse.
On ne peut pas exclure que la première ministre avait une bonne idée de ce qu’elle faisait. J’ai souvent été confronté à des positions économiques dont l’explication relevait en grande partie du calcul politique.
Comment donc peut-on interpréter le dossier? Commençons par la théorie de la pilule; pour bien la faire avaler, on exagère le dosage. Lorsque viendra le temps de l’administrer, le patient sera soulagé et content. Quelqu’un à qui l’on menace de couper le bras en vient à remercier celui qui lui coupe seulement le petit doigt.
Parmi d’éventuels voteurs additionnels, Mme Marois vise une armada de gauchistes et d’antiriches à la pensée magique en matière de taxation. La meilleure façon de les garder en touche est d’aller dans le sens de leurs convictions pour que d’autres fassent la démonstration de l’inutilité ou de l’impossibilité de leur position. La première ministre n’a pas à faire un compromis qui aurait un coût politique insupportable. (…)
En ce domaine, faire ce que l’on dit rentre toujours en conflit avec quoi dire pour avoir éventuellement la crédibilité de faire ce que l’on doit faire.
Dans le cas de la bombe fiscale, la similarité vient du fait que Mme Marois ne fera pas ce qu’elle a annoncé, mais elle aura probablement gagné la marge de manoeuvre nécessaire à l’adoption des décisions difficiles qu’elle aura à prendre.
Et, enfin, l’opposition majoritaire pourra avaler la couleuvre sans avoir à trop se compromettre, ce qui autrement pourrait conduire à des élections précipitées non désirées.
On connaîtra une partie du dénouement de la crisette aujourd’hui. On y verra sûrement des aménagements inspirés de la realpolitik et une leçon dans l’art de gouverner. On annoncera vraisemblablement un compromis entre les considérations économiques et les contraintes politiques. C’est sur cette patinoire que Mme Marois sera jugée.
Léon Courville, professeur associé à HEC Montréal
Taillables et corvéables à merci
Le calcul politique de Mme Marois
La politique n'est jamais que l'art du possible
Machiavélisme 101
Léon Courville4 articles
Professeur associé à HEC Montréal L'auteur a été président de la Banque Nationale jusqu'en 1999. Il est aujourd'hui vigneron, propriétaire du Domaine Les Brome.
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