Le blues des « nationaleux »

Tribune libre 2009


Les électeurs de Rivière-du-Loup ont choisi fort à propos (?) pour les représenter aux élections partielles du 22 juin 2009 un candidat qui sera enfin dans l’équipe au pouvoir à l’Assemblée nationale, après avoir végété dans l’opposition officielle durant toutes les années de l’ère Dumont, de 1994 à 2009. À ces 15 ans de purgatoire, devaient-ils rajouter 4 autres années en votant pour le candidat péquiste ? Les régions n’ont-elles pas plutôt besoin de candidats près des centres de décision qui connaissent bien les problématiques régionales et qui puissent défendre adéquatement les dossiers régionaux ? Apparemment, Jean D’Amour le lobbyiste fantôme, répondait à ces critères souhaités par les électeurs de Rivière-du-Loup !
Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire aux fins stratèges du Parti québécois pressés comme toujours d’en découdre avec Ottawa, notre bourreau attitré. Mais qui souhaite actuellement une crise constitutionnelle en sus de la crise financière, doublée d’une crise économique qui se résorbe à peine et que le monde entier subit avec une morne fatalité ? On cherche les candidats ! Dans un pareil contexte, on aurait souhaité une pause dans les prétentions de nos nationaleux, une réévaluation de leur démarche. Mais non, c’était trop espérer ! Avec quelle aisance, quelle désinvolture quelle vaillance ces gens-là disposent du bien-être, de la sécurité et de la bonne volonté de leurs compatriotes en leur concoctant ou une crise, ou un conflit, voire une guerre, n’importe quoi, pourvu que leur égo puisse s’épancher librement en abreuvant les électeurs de leur certitude sur un nouvel Eldorado. Où loge encore ce pays mythique !?!
Déjà que les trois quarts des pays de la planète, tout drapés qu’ils soient de leurs drapeaux nationaux et engoncées dans leurs frontières, pourraient aisément envier la situation sociale et économique de la province de Québec, mais cela ne suffit pas, il faut encore jouer les martyres. Vraiment, si le Parti québécois n’existait pas, il faudrait l’inventer, ne serait-ce que pour nourrir nos fantasmes ! La souveraineté à la carte du «Plan pour un Québec souverain » dans nos champs de compétence – pourquoi pas tant qu’à être la risée du monde entier ! – est déjà une pièce d’anthologie qui aura une longue carrière dans les départements de sciences politiques de nos universités. Cette version inusitée du cheval de Troie devrait nous conduire sûrement, selon ses auteurs, à la pleine souveraineté sans même que le Canada anglais s’en aperçoive. L’un de ces quatre matins, on leur dira candidement : « Coucou, nous sommes maintenant souverains, nous formons un pays, vous n’avez rien vu venir hein, bande d’épais ?!? », alors qu’au seul mot de souveraineté, tout le Canada anglais a le poil hérissé, les deux majeurs pointés vers le ciel avec aux lèvres un clair et retentissant « No Way ! » pour toute volonté de négociation.
Toute cette démagogie devrait s’appliquer avant même que la population québécoise ne soit consultée et n’ait pu formellement se prononcer encore une fois ? Et combien de référendums faudra-t-il encore concocter ? Continuons à fantasmer et à pelleter des nuages ! Bien sûr, il est dans l’ordre des choses que l’enfant se détache du sein de sa mère, que le jeune adulte quitte un jour le foyer familial et qu’un peuple adulte assume pleinement sa destinée. Mais ce n’est pas avec un « mandat de négocier une nouvelle entente », un Lac Meech même bonifié, ou encore un Charlottown redessiné qu’on réalise un pays. Je ne suis pas le premier et ne serai sans doute pas le dernier à dénoncer la duplicité et l’équivoque des dirigeants souverainistes. Sans être devin toutefois, je doute fort qu’on ne voit jamais un nouveau pays entre deux lambeaux de Canada, un Canada de l’est, les Maritimes, et un canada de l’ouest à partir de l’Ontario.
Je doute également que la souveraineté de la Province de Québec ne s’obtienne par négociation préalable à toute affirmation politique claire et nette, pour la bonne et simple raison qu’en démocratie, une province ne saurait imposer ni sa volonté ni son agenda aux neuf autres provinces partenaires, sans oublier Ottawa et les Premières Nations.
En son temps, René Lévesque avait assez de bon sens politique pour le reconnaître – relisez et méditez la question référendaire emberlificotée de mai 1980 –, mais il était quand même trop politicien pour admettre l’absurdité de sa proposition de souveraineté négociée sur laquelle repose la stratégie péquiste depuis les tout débuts, un imbroglio inextricable et stérile. Car en réalité, la souveraineté ne se négocie pas. Elle se proclame conformément à une volonté populaire clairement exprimée. Ce qui se négocie, ce n’est pas la souveraineté, mais les modalités d’application de celle-ci : partage des dettes et des actifs, compensations inhérentes à ce partage et en fin de compte, détermination de la vitesse à laquelle les fédéraux vont faire leurs valises et sortir de la province, après avoir convenu mutuellement de ce qu’ils allaient mettre dans leurs valises !
Évidemment, la réalisation de telles prétentions – on peut parler sans se tromper d’utopie – suppose une mobilisation et une volonté politique de tous les diables qui n’est nullement perceptible, d’abord chez les porteurs de ballon eux-mêmes, ces indépendantistes plus souverainistes que René Lévesque, ces souverainistes plus ou moins associationnistes, ces associationnistes plus ou moins souverainistes, ces autonomistes drapés dans leur quant-à-eux de lucidité, bref ces n’importe-quoi, n’importe-quand, n’importe-comment, qui ont le talent incommensurable d’embrouiller tout le monde avec leurs stratégies velléitaires. Comment la population pourrait-elle s’y retrouver ? Après deux référendums ratés portant à peu près sur n’importe quoi, ce n’est pas demain la veille, semble-t-il, que les conditions gagnantes vont se conjuguer pour réaliser ici la Terre promise. Peut-être deviendront-elles possibles, ces conditions, quelque part en l’an 2049, qui sait, quand nous serons définitivement las d’être les «Tanguy» de la Fédération canadienne et en autant bien sûr que nous existions encore culturellement parlant !
Un demi-siècle s’est écoulé depuis le mot célèbre de Paul Sauvé « Désormais…» et du fameux slogan « Maître chez nous » qui a inauguré la modernisation accélérée des institutions du Québec. Un demi-siècle, c’est 50 ans, rien de moins que deux générations de jeunes québécois, les forces vives de notre peuple, qui se sont esquintées en vain sur la question nationale. Il est maintenant très tard, compte tenu du vieillissement accéléré de la population. J’écris très tard, pour ne pas écrire trop tard, bien que je sois porté à le croire. On ne peut ni arrêter le temps, ni refaire l’histoire. Je ne suis pas certain que les boomers, déjà ou bientôt à la retraite pour la plupart, aient le droit d’imposer aux jeunes générations leurs idéaux et leurs rêves, car ce sont elles, ces jeunes générations de québécois moins nombreuses , qui devront en assumer tous les risques et en payer ultimement la note.
Au lieu d’élaborer des plans chimériques qui ont peu de chance de se concrétiser, en radotant ad nauseam sur l’indépendance, la souveraineté ou le pays, que sais-je ?, ne pourrait-on pas « faire mieux avec ce que l’on a déjà ! » en usant au maximum de nos prérogatives constitutionnelles actuelles et en faisant jouer à fond nos institutions économiques, financières et sociales ? Peu importe notre avenir en Amérique du Nord, pour l’heure le Québec a toujours besoin d’un gouvernement qui gouverne d’abord et avant tout dans l’intérêt de notre peuple, de notre collectivité.
Il nous incombe en tout premier lieu d’assurer la pérennité de notre culture, de la langue française, sur un continent où nous ne représentons que 2 % de la population. C’est le cœur de notre identité, notre raison d’être. À ce titre, quelqu’un pourrait-il nous expliquer pourquoi diable il est si urgent d’enseigner aux jeunes québécois l’anglais dès le primaire, alors même que la langue maternelle française écrite et parlée n’est pas acquise et maîtrisée par ses jeunes locuteurs, pas plus d’ailleurs que par bien des adultes québécois ? C’est probablement encore la faute à Ottawa, un autre complot fédéraliste sans doute, si ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas dans nos écoles revient à pratiquer une forme de suicide culturel ! Car le danger bien réel ici est de faire de la langue maternelle française un handicap à la réussite des jeunes québécois, un boulet culturel devenu inutile en Amérique du Nord. Si cette perception devait prévaloir, le transfert linguistique vers l’anglais se réalisera rapidement dès la présente génération, comme cela s’est produit dans plusieurs provinces anglophones et jadis, en Nouvelle-Angleterre.
Il devrait être indiscutable également que toute implantation permanente au Québec suppose une connaissance minimale de la langue française, province majoritairement française dans un pays officiellement bilingue, du moins pour les francophones ! Est-ce que la disparition des Centre d’orientation et de formation des immigrants (COFI) et leur remplacement par des programmes plus ou moins contraignants administrés par des organismes sans but lucratif régionalisés favorisent la coordination des programmes d’accueil et l’intégration des immigrants? Pourquoi ces exceptions à l’intégration selon la taille des entreprises ? Pourquoi subventionner bêtement les institutions anglophones sans exiger de contrepartie ? Quand est-il enfin de l’époque où le Québec se voyait le leader responsable des communautés francophones d’Amérique ? N’y a-t-il pas eu à ce sujet un repliement sur soi, une déresponsabilisation au profit d’un projet politique qui ne fait pas l’unanimité chez les communautés francophones hors Québec et dont elles se sentent exclues de toute façon ?
Il faut encore savoir ce qu’un gouvernement provincial peut faire et va faire pour alléger et assainir la gouvernance de Montréal, réviser vraiment la Loi sur les mines afin de hausser les redevances minières et facturer à qui-de-droit les coûts environnementaux de ce type d’exploitation, ou hausser les tarifs hydro-électriques préférentiels consentis aux alumineries, au moins au niveau du coût de production de cette ressource, sans compter l’exploitation éhontée de nos forêts pour lesquelles Richard Desjardins se bat à peu près seul comme un lion. On peut d’ailleurs se demander en passant, pourquoi tout ce boucan de Desjardins, puisque, comme disait l’autre illuminé, « la forêt repousse toute seule » ? Justement, après avoir tout saccagé, il faut environ 35 ans à la nature pour produire un résineux, pin, sapin, épinette…de taille commercialisable et le double de temps, 70 ans, pour obtenir un feuillu de qualité, érable, chêne, hêtre, frêne…et ce, en autant qu’il n’y ait pas de chablis (tornade ou verglas), de maladie comme la tordeuse des bourgeons de l’épinette ou d’incendie dévastateur. Entre-temps, qu’arrive-t-il aux emplois en forêt, au Produit intérieur brut (PIB) régional et provincial ? Rien ! Les travailleurs forestiers en sont quitte pour se bercent en regardant pousser les arbres et en sirotant une bonne bière !
Qui plus est, avant de demander aux travailleurs québécois, les plus imposés au Canada, pour un panier de services publics à peu près comparable, de mettre davantage la main à leur portefeuille pour renflouer le Trésor de la province, un véritable puits sans fond, on pourrait exiger des entreprises qui opèrent au Québec, les alumineries, les forestières et les minières en premier lieu, de payer leur juste part du fardeau fiscal commun, avant de hausser les impôts, taxes et tarifs des citoyens.
L’Équité fiscale ne doit pas être une simple vue de l’esprit, compte tenu que la rémunération des travailleurs n’a pas suivi le rythme d’expansion économique exceptionnelle des 15 années qui ont précédé la présente crise financière et économique.
Somme toute, nous nous souhaitons un gouvernement de centre gauche qui adhère pleinement aux valeurs social-démocrates en reconduisant notre engagement collectif envers l’école publique, notre système public de santé, des transports en commun efficaces, des engagements internationaux pacifistes….
En fin de compte, René Lévesque avait peut-être raison de louvoyer en bon politicien qu’il était. Le Canada n’est définitivement pas un goulag, et ressemble davantage à quelque chose comme un « pluss meilleur pays du monde ». Qu’importe les frontières dont sera doté le Québec, le fleuve Saint-Laurent coulera toujours d’ouest en est, à partir des eaux des Grands Lacs de la province voisine ou du pays voisin, c’est selon.
Dans les faits, le partenariat-association Québec-Canada est inscrit dans la géographie, dans l’histoire, dans la politique de l’Amérique du Nord, comme une évidence, une nécessité. Le Québec s’inscrit au cœur d’une réalité économique, sociale et politique des plus complexes. Il n’existe aucun raccourci possible pour l’en extirper, aucune idéologie, aucun plan ou programme simpliste… Il est d’ailleurs proprement ironique de constater que les nationaleux d’aujourd’hui ont réalisé avec l’ALENA et autres ententes commerciales ce que le grand patriote Louis-Joseph Papineau (1786-1871) préconisait en son temps : l’annexion du Bas-Canada aux États-Unis ! Ces américains qu’on adule tant dans certains milieux mais qui en sont encore à se demander en 2009 s’ils sont assez civilisés pour offrir une assurance santé à 45 millions de leurs compatriotes qui n’en n’ont aucune !
Yvonnick Roy
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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 septembre 2009

    Monsieur Bousquet,
    Comme vous, je déplore la fragilité et la vulnérabilité de notre culture en Amérique du nord. Il nous faudra encore beucoup de courage et de volonté pour en assurer la pérennité, peu importe la lecture historique que l'on fait.
    Il est vrai que le terme« nationaleux » a une connotation discutable. Veuillez me pardonner cette saute d'humeur qui, soit dit-en-passant, ne visait nullement l'ensemble de nos compatriotes, mais plutôt certains nationnalistes que je peine à comprendre...

  • Sylvain Maréchal Répondre

    17 septembre 2009

    Il serait doux de vous entendre si vous disiez simplement qu'il nous faudrait agir davantage, en tant que nation, sans attendre notre nécessaire indépendance. Vos intentions ne sont malheureusement pas aussi claires. Vous êtes très certainement défavorable au Parti québécois et à sa stratégie, mais encore... A vous lire, on croirait avoir affaire ici à un indépendantiste désabusé, là à un provincialiste pragmatique. En réalité, vous avez tout du fédéraliste chagriné. Ah, le blues des « fédéraleux »...
    Je vous imagine certes empli de bonne volonté mais pressé et cynique; non, on ne « s'esquinte » pas « en vain » sur la question nationale. Un projet de société, social-démocrate ou non, n'est pas un projet national. On n'évacue pas aussi aisément la question nationale : pour reprendre votre expression, « il n'existe aucun raccourci possible ».

  • Gilles Bousquet Répondre

    17 septembre 2009

    M.Yvonnick Roy de Québec, vous avez plusieurs bons points mais, pas tous.
    S’il est vrai que le Canada n’est pas un goulag pour le Québec, le ROC a quand même tout tenté pour angliciser tout le Canada, « minorer » le Québec et le tenir sous la botte anglaise depuis 1759.
    On peut peut-être être favorisé financièrement mais pas au sujet du français qui est mourant, plus ou moins lentement, dans le ROC, à Montréal et sa banlieue.
    Votre texte aurait avantage à remplacer le mot « nationaleux » par « nationaliste» quand on veut être poli et convainquant. Ça ne donne rien d’être vache avec ses compatriotes.