Alec Castonguay - Né dans les cendres de l'accord du lac Meech, le Bloc québécois est l'héritage le plus concret de cet échec constitutionnel. Critiqué, souvent enterré, le parti est toujours là, 20 ans plus tard. Certains avancent même que son succès nuit à la cause du Québec et de la souveraineté. Le débat continue...
Nommé au Sénat en 1993 par le premier ministre Mulroney, Jean-Claude Rivest, ancien conseiller de Robert Bourassa, a été aux premières loges pour vivre le big-bang politique qu'a été l'élection massive des députés du Bloc québécois à Ottawa, la même année.
Le raz-de-marée bloquiste, avec 54 députés, a alors permis à la formation souverainiste de devenir l'opposition officielle du Canada. Tout un choc! «Le Bloc est sans aucun doute l'héritage le plus visible de Meech, dit Jean-Claude Rivest. Il fait un bon travail et ils ont tout à fait le droit d'être élus. Mais la force du Bloc a également des conséquences moins visibles qu'on a tendance à sous-estimer.»
Le sénateur déplore la perte d'influence des Québécois dans les grands partis fédéralistes qui aspirent à prendre le pouvoir à Ottawa. «La présence du Bloc a soustrait beaucoup de députés du Québec de ces caucus. Il y a moins de Québécois pour tenter d'influencer le pouvoir de l'intérieur. Le "réflexe Québec" est moins présent.»
S'il est vrai que Brian Mulroney a eu «un courage politique extraordinaire en lançant les négociations de Meech», dit Jean-Claude Rivest, il a aussi été appuyé et poussé par son caucus du Québec, très imposant (58 députés) et talentueux. «Il y avait des députés du Québec avec lui pour rallier le reste du parti à sa cause», affirme-t-il, lui qui a été le bras droit de Bourassa lors de ces négociations constitutionnelles.
L'Assemblée nationale du Québec passe des motions unanimes sur différents sujets (commission des valeurs mobilières, registre des armes à feu, poids politique du Québec aux Communes, etc.) qui sont relayées à Ottawa par le Bloc, mais ce n'est pas le même poids, dit-il. «Ça ne se rend pas dans les partis au pouvoir», dit-il.
Une idée que rejette Gilles Duceppe. Lors d'une grande entrevue accordée au Devoir dans ses bureaux de Montréal, le chef du Bloc québécois a soutenu que la forte présence de son parti témoigne non seulement d'un souhait démocratique des Québécois, mais aussi de la faiblesse des autres partis à répondre aux désirs des citoyens de la province. «On voit qu'il y a une rupture importante dans la vie politique du Canada avec la naissance du Bloc. Après six élections, ce n'est pas un hasard si on remporte encore une majorité de sièges au Québec. Les gens ne se reconnaissent plus dans les partis fédéralistes canadiens.»
L'idée qu'un député de l'opposition ne peut rien changer au Parlement est fausse, dit-il. «La nation québécoise n'aurait jamais été reconnue à Ottawa sans notre présence. Le débat sur le déséquilibre fiscal n'aurait pas été fait. Il n'y aurait pas eu de loi antigang parce que les autres partis étaient tous contre au départ. Et il y a d'autres exemples.»
Les réformistes heureux avec le PC
L'ouest du pays, avec le Reform Party, a aussi vécu plusieurs années (10 ans) avec un parti régional très fort, à l'image du Bloc au Québec. Mais en 2003, les militants du Reform, puis de l'Alliance, en ont eu assez et ont fusionné avec le Parti progressiste-conservateur dans l'espoir de prendre le pouvoir. Ils ont toutefois dû faire des compromis sur les revendications de l'Ouest pour que le parti reflète davantage la diversité d'opinion du pays.
Regrette-t-il ces compromis? Pas du tout, affirme Preston Manning. «Notre but était de gagner plus de 152 sièges pour pouvoir agir et pas seulement parler, dit-il au Devoir. L'Ouest peut avoir beaucoup d'influence à l'intérieur d'un parti comme le Parti conservateur. On est mieux représentés au pouvoir, même avec des compromis.»
Gilles Duceppe soutient que la situation du Bloc québécois est différente. «La stratégie du Reform, c'était "West wants in". Nous, c'est "Québec wants out". Partant d'un même inconfort envers Ottawa, l'Ouest s'est dit: "Emparons-nous du pouvoir." Nous, en raison de ce que l'on est, on veut sortir du Canada. On n'a pas le même objectif, donc on n'a pas la même stratégie», dit-il.
Le Bloc, une police d'assurance?
Depuis 1993, le Bloc québécois a récolté la majorité des sièges fédéraux au Québec à toutes les élections. À tel point que la présence du Bloc semble être devenue une sorte de police d'assurance à Ottawa pour les Québécois, soutiennent certains observateurs politiques.
Une «soupape de sécurité» qui pourrait nuire à la cause souverainiste que le parti veut pourtant servir, explique la chroniqueuse du Devoir et du Toronto Star Chantal Hébert. Elle développe cette thèse dans son livre French Kiss (éditions de l'Homme), paru en 2007.
«Depuis 1990, le Bloc a, sans le vouloir, davantage légitimé les institutions politiques fédérales que toutes les campagnes de distribution de drapeaux mises en oeuvre par Jean Chrétien. Au lieu de renforcer la croyance qu'il existe un fossé infranchissable entre les valeurs des Québécois et celles des habitants des autres provinces, le Bloc l'a plutôt ébranlée», peut-on lire.
Le Bloc a contribué à tourner les projecteurs vers les dossiers qui se brassent à Ottawa. Et puisque les députés de ce parti n'ont jamais eu l'intention de saper ou de paralyser les institutions fédérales, «le Bloc, un parti dont tout le monde pensait qu'il attiserait les tensions entre le Québec et Ottawa, a souvent réussi, de par sa simple présence, à dédramatiser les débats», poursuit Chantal Hébert. Le Bloc a même forcé la Chambre des communes à travailler davantage en français.
Cette police d'assurance bloquiste, qui défend les intérêts du Québec, rendrait la souveraineté moins attrayante. C'est peut-être pourquoi Lucien Bouchard n'a jamais souhaité que son parti soit permanent...
Les choses ont changé, réplique Gilles Duceppe. «Une fois le référendum passé, en 1995, on fait quoi? On oublie la défense des intérêts du Québec? Ce n'est pas moi, ça.» Et si la police d'assurance était si bonne, le Canada anglais serait heureux de la présence du Bloc, ajoute Duceppe, et ce n'est pas le cas. «On empêche de plus en plus des majorités au Canada. Ils sont pris avec ça. On les empêche d'avancer et ils nous empêchent d'avancer.»
Les virages et défis du Bloc
Depuis sa fondation, le Bloc a pris deux virages majeurs, selon Gilles Duceppe. D'abord en 1999, presque dix ans après sa fondation, lors des chantiers de réflexion du parti. «C'est la transformation du Bloc en véritable parti politique. Avant, c'était un groupe parlementaire dominé par un personnage extraordinaire en Lucien Bouchard. Mais passer de la simple organisation politique à un parti qui a de la profondeur, une réflexion et une vie politique, c'est autre chose.»
Le changement est important, insiste-t-il. Le Bloc n'est plus seulement en «réaction à des défis immédiats». «Notre plateforme de 1993 était très sommaire. On ne faisait que demander des choses. [...] Maintenant, on a une grille de pensées et d'analyses. Chaque fois qu'un sujet arrive, on se demande: "Que ferait un Québec souverain?" Ça prend de la réflexion et une organisation pour être un vrai parti.»
Puis, en 2004, le parti aborde un sujet sensible: l'identité. «On a défini qu'une personne vivant au Québec est un Québécois. Il y avait différentes tendances dans le mouvement souverainiste. Par exemple, Jacques Parizeau disait: "Est Québécois qui veut l'être." En tout respect pour lui, je ne suis pas d'accord. Quand on vit sur un territoire, on est citoyen de cet État. Ce n'est pas une question de volonté.»
Et le plus grand défi du Bloc dans les prochaines années? «Que le mouvement souverainiste passe à l'offensive et qu'on se prépare à gagner un référendum. Avec une attitude qui n'est pas revancharde. On ne fait pas un pays parce qu'on ne veut rien savoir des autres.»
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Télécharger le texte de l'entrevue intégrale avec Gilles Duceppe
Le Bloc, l'héritage le plus visible de Meech
Vingt ans après sa création, la présence du parti souverainiste à Ottawa continue de susciter des débats
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