Le bitcoin, monnaie refuge de l'extrême droite américaine

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L'Alt-right détiendrait plus de 45 millions $ en cryptomonnaie

​Le bitcoin connaît encore un rebond en bourse après avoir dévissé la semaine dernière. Une nouvelle qui profite à l’extrême droite américaine, qui s'est réfugiée dans ce nouvel "or digital".


C’était au mois d’août 2017. A Charlottesville, un rassemblement de néo-nazis réunis sous la bannière “Unite the right” ("Unissons la droite") causait la mort d’une jeune militante antiraciste, Heather Heyer. A la suite du choc général provoqué par ce drame, qui a mis en pleine lumière les nombreux groupes d’activistes d’extrême droite pullulant aux Etats-Unis, plusieurs géants d’Internet ont décidé de les expulser. De Google à Paypal, en passant par Twitter récemment, aucun ne veut continuer à voir sa plateforme liée à “l’alt-right” américaine. Un ménage qui touche au portefeuille.


Pour financer leur mouvement, ces militants extrémistes se sont depuis massivement orientés vers le bitcoin, sorte d’or digital qui leur permet en partie de conserver leur anonymat. L’explosion de la monnaie est très profitable pour l’alt-right aux Etats-Unis, qui voit ses placements augmenter avec le cours en Bourse. Après une sévère baisse la semaine dernière où elle avait perdu 30% de sa valeur, la cryptomonnaie a atteint 15.000 dollars ce mardi 26 décembre, soit 12.639 euros. L’argent de ces placements pourrait à l’avenir être utilisé pour communiquer des messages politiques, entretenir des sites web ou encore organiser des événements.


Une monnaie anonyme, gérée loin des banques centrales


Il faut dire que le fonctionnement anonyme de cette monnaie convient parfaitement à l’extrême droite américaine. Avec le bitcoin, plus besoin de traiter avec les banques. Un registre sécurisé (nommé "blockchain") enregistre toutes les transactions faites avec la monnaie en les cryptant. Au contraire des systèmes bancaires traditionnels, contrôlés par les gouvernements, le blockchain est décentralisé, géré par une multiplicité d’ordinateurs à travers la planète. La cryptomonnaie a ainsi gagné en notoriété pour sa discrétion, notamment pour acheter ou vendre des biens illégaux. A l’international, elle intéresse des pays dont la monnaie locale est incertaine, comme le Venezuela ou encore le Zimbabwe.


Depuis son introduction en 2009, le bitcoin interroge et fascine. Célébrée comme la monnaie qui révolutionnerait notre usage de l’argent, du commerce en ligne à l’Etat-nation. Mais le profil de certains de ses utilisateurs commence à interroger. Dans son livre La politique du Bitcoin : le logiciel comme extrémisme de droite, David Golumbia, professeur à la Virginia Commonwealth University, explique l'interprétation qui lie pensée d’extrême droite et cryptomonnaie. Avec son éloignement des banques centrales, cette dernière attirerait ceux qui croient aux conspirations antisémites plaçant les Juifs à la tête du système financier mondial. Si cette interprétation ne vaut bien sûr pas pour tous les acheteurs de bitcoin, elle a néanmoins trouvé son public en la personne de Richard Spencer. Sur Twitter, en mars dernier, celui qui se targue d'avoir fondé le mouvement de suprémacistes blancs aux Etats-Unis affirmait que "le bitcoin était la monnaie de l'alt-right".


Il est aujourd’hui impossible de savoir exactement combien de membres du mouvement ont investi dans le bitcoin. Mais devant l’augmentation des transactions, des spécialistes de l’extrême droite américaine jugent qu’elle est de plus en plus utilisée par ses militants. Le Southern Poverty Law Center (SPLC), qui étudie les extrémismes aux Etats-Unis, suit à la loupe environ 200 portefeuilles qui, selon l'institut, seraient détenus par des militants de l'alt-right. Afin de les identifier, ils ont une cible en particulier : les pages de dons à des sites extrémistes reliées à des comptes bitcoins.


Le bitcoin pour assurer "un futur pour les enfants blancs"


L’une des plus importantes donations faites à ce jour en bitcoin à un site d’extrême droite a été envoyée à Andrew Anglin. Anglin est responsable du Daily Stormer, un site néo-nazi banni par la plupart des hébergeurs web depuis l’affaire de Charlottesville. En août dernier, exactement 14,88 bitcoins lui ont été envoyés. Selon le Washington Post, le premier nombre - 14 - fait référence à un slogan nazi qui comporte exactement 14 mots et concerne la protection “d’un futur pour les enfants blancs”. Les “88” centimes de la donation seraient liés à “Heil Hitler”, chacun des deux mots commençant par la huitième lettre de l’alphabet. Ces références peuvent paraître alambiquées, mais elles ont en tout cas valu leur pesant d’or pour Andrew Anglin : au moment où il a reçu ces 14,88 bitcoins, le total valait 60.000 dollars. S’il l’avait laissé fructifier, aujourd’hui, il possèderait avec cette somme l’équivalent de 235.000 dollars.


Qui possède ce compte ? Pour l’instant, ni les spécialistes de cybersécurité, ni le SPLC ne sont capables d’affirmer l’identité de son détenteur. Richard Spencer, de son côté, affirme se délester peu à peu de ses bitcoins. Avec le gigantesque coup de balai qui a suivi Charlottesville, l’extrême droite américaine a besoin de fonds pour créer de nouveaux sites Internet et financer d’autres événements. Interrogé par le Washington Post, celui

qui s’arroge le titre de leader de l’alt-right en vient même à regretter de ne pas avoir investi plus tôt dans la cryptomonnaie : “J’aurais vraiment aimé avoir acheté davantage de bitcoins. Je suppose que nous sommes tous dans ce cas.


John Bambenek, spécialiste de la cybersécurité, assure que cette donation de 14,88 bitcoins n’est qu’une goutte d’eau. Selon ses recherches, le compte dont elle provient n’était qu’un intermédiaire. Potentiellement, l’alt-right aux Etats-Unis aurait à sa disposition un joli petit pécule de plus de 45 millions de dollars.