La victoire oubliée de Québec

Livres - 2008

Saviez-vous qu'il y a eu deux batailles des plaines d'Abraham? À la première, la plus célèbre, celle de 1759, les Anglais ont gagné. À la seconde, celle de 1760, commencée à Sainte-Foy mais achevée sur les hauteurs de Québec, les Anglais ont perdu! Serait-ce pour éviter de forcer le destin que tant de nos historiens parlent de la bataille de Sainte-Foy au lieu de la deuxième bataille des plaines d'Abraham, celle de la revanche rêvée?
On peut croire que l'historien militaire français Gérard Saint-Martin, colonel qui a servi au Commandement des écoles de l'armée de terre à Paris, répondrait oui à cette question insidieuse. Après tout, c'est lui qui ressuscite l'appellation de «seconde bataille des plaines d'Abraham», jadis employée par certains pour désigner la bataille remportée par Lévis sur Murray, là même où, l'année précédente, les troupes de Montcalm avaient affronté celles de Wolfe.
Dans un livre lumineux, La Bataille des plaines d'Abraham, Saint-Martin souligne que Lévis, tirant leçon de la défaite de 1759, avait intégré les milices canadiennes au combat mené par les réguliers français beaucoup plus efficacement que ne l'avait fait Montcalm. L'auteur voit juste. Au lieu de s'en tenir à l'art européen de faire la guerre, savant, rigoureux, symétrique, digne d'un ballet sanglant, Lévis comptait sur la ruse et l'improvisation.
Faisant confiance aux Canadiens, à leur sens de l'initiative, à leur adresse nourrie des pratiques amérindiennes où la guérilla était la règle et où l'embuscade relevait du génie, il rappelait aux Anglais comment on se bat dans la sauvage Amérique, même devant les murs de Québec, ce morceau d'Europe perdu dans la nature. Il espérait reprendre la ville au nom d'une France un peu canadienne, presque un peu métisse.
Résultat de la bataille très rude: environ 260 morts et 830 blessés dans l'armée de Murray en déroute, environ 190 morts et 640 blessés dans celle de Lévis. Victorieux, les Français et les Canadiens s'emparent de l'Hôpital général de Québec pour y faire soigner les blessés des deux camps.
Mais la flotte française, tant attendue pour affermir la victoire de 1760 et investir encore plus les fortifications, n'arrive pas. Ce sont les Anglais qui obtiennent des renforts pour confirmer leur victoire à eux, celle de 1759. Comme l'observe Saint-Martin, le Canada n'était pas, en France, la priorité de Choiseul, secrétaire d'État aux Affaires étrangères, ni celle de Louis XV.
Le manque d'intérêt de Versailles pour le Canada ne saurait laisser dans l'ombre un fait troublant: trop de nos historiens ont minimisé l'importance de la seconde bataille des plaines d'Abraham pour la transformer en un banal combat de banlieue en l'associant à Sainte-Foy plutôt qu'à Québec. La lecture de l'ouvrage de Saint-Martin nous invite à penser que ce détail, en apparence insignifiant, dénote un syndrome récurrent de la psyché québécoise.
Dans notre univers mental, les défaites obscurcissent les victoires. Quant aux demi-victoires, comme celle du camp du OUI au référendum de 1995, elles y deviennent, par la magie noire du temps qui s'écoule, de cuisantes défaites, d'irréparables échecs. La mémoire de la seconde bataille des plaines d'Abraham, corps à corps brutal, tuerie d'Amérique, exprime un thème poignant: celui de la victoire inutile. Il y a gros à parier que les pusillanimes organisateurs des fêtes du quatrième centenaire de Québec le trouveront incompatible avec l'héritage de l'Empire britannique.
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Collaborateur du Devoir
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La batailles des plaines d'Abraham, Gérard Saint-Martin, Economica, Paris, 2007, 284 pages


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