La victoire de Sainte Foy, ce 28 avril 1760...il y a 253 ans!

"...Nos rêves pour ce magnifique pays ne mourront jamais. »

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Durant l’hiver, suivant la bataille des plaines, le chevalier de Lévis ne se laisse pas décourager par ce qui vient de se passer, bien au contraire ! Il redonne de l’enthousiasme autour de lui, il est persuadé que le Roi ne les abandonnera pas, et leur enverra tous les secours nécessaires.
Il organise avec l’accord du gouverneur Pierre Rigaud de Vaudreuil, à Montréal, la possibilité aux troupes françaises d’être fin prêtes au printemps, afin de pouvoir attaquer les troupes britanniques de James Murray, repliées dans Québec.
Cette deuxième bataille du 28 avril 1760 est un événement historique. H.Packman hist. Britannique l’a qualifiée de « plus grande victoire française en Amérique, parce qu’elle a fait un jour trembler le sort de la ville de Québec et de toute l’Amérique »
Cette petite nation française des bords du Saint Laurent, par son armée constituée principalement de Franco-Canadiens et d’Amérindiens a vaincu, ce jour-là, les troupes britanniques de Murray, en utilisant des techniques et des tactiques de guerre qui lui étaient propres, soutenue par cette extraordinaire complicité de ses frères amérindiens. C’est une différence extraordinaire à souligner.
Voici les détails de cette éprouvante bataille, avec ce texte de Louis Lejeune* :
Dès le printemps, tous les préparatifs une fois terminés, Lévis charge M de Bougainville de la défense de l’est, le capitaine Pouchot de l’ouest et se réserve avec Bourlamaque un retour offensif sur la capitale, à la tête d’un effectif d’environ 6,900 hommes. Ces troupes s’ébranlent le 20 avril, les unes descendant par eau, de Montréal à la Pointe-aux-Trembles, où les autres les rejoignent le 25 ; le lendemain, l’avant-garde se met en mouvement, commandée par M. de Bourlamaque, et marche vers la Vieille-Lorette pour atteindre les hauteurs de Sainte-Foy, en traversant les marais de la Suette, la nuit du 26 avril. Ni le tonnerre, ni la pluie d’orage, ne ralentissent la marche des soldats, qui prennent possession des maisons.
Là, un bois d’une demi-lieue sépare l’avant-garde des troupes ennemies. Elle le franchit, le matin, et se trouve en vue des Anglais à 200 toises du coteau. Par une marche de flanc, elle s’établit sur la route de Sainte-Foy. Le corps des troupes défile par la droite, en silence. Mais Murray a le temps de retirer ses troupes du Cap-Rouge avant d’être coupées par les deux ailes françaises, d’amasser les munitions dans l’église et d’y mettre le feu. Le chevalier de Lévis commença l’attaque sur son arrière-garde jusqu’à la demeure et le moulin de Dumont, sis à une demi-lieue des remparts de Québec. Les hommes que Murray y posta, pour la nuit du 26, allèrent se retrancher sur les Buttes-à-Neveu.
Rentré en ville, Murray se porte en avant, le 26 avril, à la tête de la garnison, laissant environ 400 combattants sur place : il s’avance sur deux colonnes avec 3,000 hommes, 22 pièces de canons et obusiers. A cette vue, M. de Lévis renvoie le gros des siens sur les Plaines d’Abraham. Murray développe sa ligne principale sur un quart de lieue, en avant des Buttes : quatre bataillons et les Montagnards écossais, commandés par Burton, forment la droite, à cheval sur la route de Sainte-Foy ; quatre bataillons, sous les ordres de Fraser, forment la gauche, à cheval sur le chemin Saint-Luc ; plus deux bataillons de réserve ; en outre, la droite était couverte par le corps d’infanterie légère du major Dalling, et la gauche par la compagnie de Rangers et 100 volontaires de la garnison. L’ordre de l’attaque est alors donné.
L’avant-garde française de dix compagnies de grenadiers s’était mise en ordre de bataille, partie dans une ancienne redoute au levant du Foulon, partie dans la maison et le moulin Dumont ; les trois brigades de droite à peine formées au moment de l’assaut des Anglais. Le général Murray s’applique à enlever le moulin par des forces supérieures. Mais Lévis se replie du moulin sur la lisière du bois en arrière, afin de rallier les brigades qui arrivaient de ce côté. C’est durant ce recul que Bourlamaque tombe grièvement atteint d’un boulet qui tue sous lui son cheval. Ses troupes, restées sans recevoir d’ordre, voyant vers les bâtiments les grenadiers aux prises avec un ennemi double en nombre, s’élancent d’elles-mêmes à leur secours : en face des Montagnards, les grenadiers attaquent au pas de charge : maison et moulin sont pris et repris plusieurs fois à l’arme blanche ; enfin, ils leur restent et à leurs officiers, le capitaine d’Aiguebelle et le colonel d’Alguier ; ils y périrent presque tous.
Pendant cette action, M. de Lévis lançait une partie de l’aile droite contre la redoute qu’elle avait abandonnée pour se replier ; elle est reprise par les Canadiens ainsi que le bois à pic sur le bord du fleuve, sous la conduite de M. de Saint-Luc entouré de ses Sauvages. Le feu devint très vif, les miliciens se couchant pour recharger les armes et se précipitant ensuite pour fusiller les canonniers sur leurs pièces. Les Montréalais, animés par M. de Repentigny, se distinguent, malgré la mort du colonel Réaume, en arrêtant seuls en rase campagne le centre de l’armée ennemie. Le mouvement offensif de Murray avait échoué. Les Français allaient assaillir à leur tour. Le chevalier ordonna de refouler l’aile gauche du chemin Saint-Louis sur celui de Sainte-Foy à la baïonnette : il voulait la culbuter dans la vallée Saint-Charles. Le colonel Poulhariès, avec une brigade, fond sur les Anglais, traverse leurs rangs et les met en fuite. M. de Lévis, témoin de la débandade de l’ennemi, enfonce sa droite et la pousse de front : la déroute des Anglais est complète.
Les Franco-Canadiens les poursuivent au pas de course ; mais la fuite est si rapide et les portes de la ville si proches qu’on ne pouvait réussir à en intercepter l’entrée aux fuyards. L’ennemi laissa aux mains des vainqueurs, l’artillerie, munitions, outils de retranchement, les morts et une partie des blessés : 1,124 en tout ou plus du tiers de l’armée. D’après l’aveu de John Knox dans son Journal, les Français auraient repris Québec en y pénétrant sur l’heure : ils étaient exténués. Ils eurent 833 hommes tués ou blessés, parmi lesquels un chef de brigade, six chefs de bataillons, 96 autres officiers, n’ayant eu d’ailleurs à opposer aux 22 canons de Murray que trois petites pièces de campagne, traînées à bras dans les marais de la Suette. Les Sauvages, qui s’étaient la plupart tenus dans le bois de Sillery durant le combat, se répandirent sur le champ du carnage pour lever les chevelures : M. de Lévis fit cesser ce massacre, dès qu’il en fut informé. L’action avait duré presque deux heures.
Dès le même soir du 28 avril, on commença les travaux du siège à huit cents verges des remparts, sous la direction de M. de Pontleroy, ingénieur en chef, et de Montheillard, commandant de l’artillerie. Murray se fortifia de son mieux, possédant un matériel complet et des munitions : il allait tergiverser et ne comptait que sur l’arrivée de la flotte d’Europe. »
*Source : Louis LE JEUNE, " Victoire de Sainte-Foy", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, moeurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 1, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931, 862p., pp. 577-578.
Poursuivons :
Chaque camp regardait en effet le fleuve avec angoisse... Les premiers navires dont on apercevrait la proue, détermineraient le vainqueur !
Une frégate britannique la frégate Lowestoffe, entra en rade le 9 mai, suivie de deux autres vaisseaux, le Vanguard et le Diana..
Le sort en était-il donc jeté ? Pourtant la Nouvelle France n’était pas encore tombée puisque « les Anglais n’en avaient encore que les murs »
Certes si cela avait été des vaisseaux français qui étaient arrivés en premier devant Québec, Québec serait immédiatement rendue aux Français, mais pourtant le traité de Paris trois ans plus tard, et surtout Louis XV, n’aurait-il pas, malgré tout, laissé la Nouvelle France aux mains du roi d’Angleterre ?
Pour l’instant, en tous les cas, il n’y avait plus rien à tenter, aussi le chevalier de Lévis fit lever le siège, craignant avec raison d’être coupé dans sa retraite.
Cependant la France avait bien envoyé des secours : Cinq vaisseaux étaient partis de Bordeaux, mais sur les cinq, trois seulement avaient atteint le golfe du Saint Laurent, deux ayant été arraisonnés par des navires anglais, peu après leur départ de la France…
Seuls, le Machaut, le marquis de Malauze et le Bienveillant, tous chargés de soldats, de vivres et de tout ce dont manquait terriblement la Nouvelle France, y compris des vêtements et des chaussures parvinrent dans le golfe du Saint Laurent.

Avertis que les Anglais étaient déjà parvenus à Québec, ils se réfugièrent dans la baie des chaleurs, puis lorsque les bateaux anglais les pourchassèrent, ils essayèrent de s’abriter dans la rivière Ristigouche* ! Cela finit bien mal, si mal même, que le commandant de La Giraudais fit couler son navire afin que la riche cargaison ne puisse tomber aux mains du commodore anglais Byron, heureusement le commandant Français avait eu le temps de donner de la nourriture aux Acadiens cachés dans les bois, et aux Micmacs qui tous mouraient de faim, depuis cet épouvantable « Grand dérangement » qu’ils venaient de subir de la part des Anglais !
Pour terminer, rappelons-nous cette magnifique phrase du chevalier de Lévis, si souvent rappelée par le soldat Sans Pareil, ici même sur Vigile :
« Nos espoirs sont élevés. Notre foi dans les gens est grande. Notre courage est fort. Et nos rêves pour ce magnifique pays ne mourront jamais. »
*L’origine du mot Ristigouche : mot Amérindien Micmac « listiguj » prononcé « rist-ah-gouch » aurait servi de mot de guerre signifiant « désobéis à ton père », au chef de guerre Tonnel pour débuter une attaque contre un groupe Odinossonis ! Merci à Gaston Boivin pour cette explication.

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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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9 commentaires

  • Michel Pagé Répondre

    4 mai 2013

    Madame,
    Merci pour ce rappel.
    Il serait bien que vos textes parviennent aux représentants des associations étudiantes car, vous savez ,ici on n'enseigne pas l'histoire dans les institutions collégiales... hormi à environ 5% des étudiants inscrits aux études collégiales (1) ... On forme des ignorants de leur propre histoire...
    Mes respects
    MP
    (1) http://quebec.huffingtonpost.ca/michel-page/enseignement-histoire-cegep_b_3071980.html

  • Archives de Vigile Répondre

    2 mai 2013

    Les écossais étaient vendus comme esclaves dans les années 1600.
    Par contre les romains les ont aussi réduit a l`esclavage bien avant et le transit passait par Rouen en France ce qui a enrichit cette ville rapidement et cela pendant des siècles.

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    30 avril 2013

    Monsieur Sauvé, vous avez raison de nous le rappeler, c’est en effet une bataille épouvantable qui a eu lieu ce 28 avril 1746 puisque cela a abattu l’Ecosse pour les siècles à venir !

    Ce fut la fin des espoirs de la restauration des Stuarts sur le trône d’Ecosse et d’Angleterre avec cette victoire des Hanovriens, commandés par le duc de Cumberland face aux Highlander écossais fidèles aux jacobites.. La répression fut terrible et si sauvage qu’elle valut à Cumberland le surnom de « boucher » (Butcher Cumberland). Il ordonna à ses hommes de tuer tous les blessés, les prisonniers et même des spectateurs.
    Les rescapés furent poursuivis. Trente-deux d'entre eux s'étant réfugiés dans une grange, il y fit mettre le feu. Les maisons proches du champ de bataille furent systématiquement incendiées, pour qu'elles ne servent pas de refuges aux survivants. La répression dura plusieurs mois et on estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre des victimes. Les plus hauts gradés furent jugés et exécutés par la suite, mais aussi plus de mille combattants écossais furent vendus comme esclaves aux planteurs de coton des colonies britanniques de Nouvelle Angleterre !

  • Archives de Vigile Répondre

    30 avril 2013

    «...Louis XV, n’aurait-il pas, malgré tout, laissé la Nouvelle France aux mains du roi d’Angleterre ?...»
    Oui, il a effectivement décidé de le faire avant 1763. Voici une autre source qui peut le prouver:
    «...Le Canada est ruiné, sa population est épuisée,au bord de la famine et a donné tout ce qu'elle pouvait.Pourtant moins de deux ans après la capitulatin, en septembre 1760, la flotte française mène quelque 6000 hommes de renforts pour sauver la florissante colonie d'Haïti...»
    Extrait de "La milice canadiene et la Guerre de Sept Ans",de René Chartrand, «La Guerre de Sept ans en Nouvelle-France» Québec, Septentrion, 2012, page 300.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 avril 2013


    Merci pour votre texte et votre message chère Madame
    Morot-Sir.
    Le 28 avril est aussi l'anniversaire de la bataille de Culloden, 28 avril 1746.
    Salutations cordailes
    JRM Sauvé

  • Archives de Vigile Répondre

    29 avril 2013

    «...Louis XV, n’aurait-il pas, malgré tout, laissé la Nouvelle France aux mains du roi d’Angleterre ? »
    Il a effectivement préféré conserver Haiti(Saint-Domingue) le 10 mars 1762, avant le Traité de Paris, en y faisant débarqué au moins 3000 soldats(voir David Marley, Wars of the Americas,Volume 1, page 435, disponible sur Internet).
    Voir aussi:
    «...Dès le 28 janvier, il doit abandonner Fort-Royal[Guadaloupe], sous la pression conjointe du débarquement et des colons qui ne veulent pas subir les mêmes dévastations qu'à la Martinique. Replié sur Saint-Pierre, il signe une suspension d'armes le 13 février et se rend le 1er mars. À Versailles, où Choiseul a repris en main la Marine, on a pourtant tenté de sauver l’île. Mais l'escadre de Blénac-Courbon (une dizaine de vaisseaux), porteuse d'un gros renfort de 5 500 soldats arrive peu de temps après après la capitulation. Cet effort n'est cependant pas vain : les troupes sont débarquées sur Saint-Domingue. Elles y rejoignent les 2 000 hommes déjà présents, ce qui met la plus riche possession française des Antilles à l'abri des tentatives anglaises et des pressions des colons pour capituler sans combattre...»
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_marine_fran%C3%A7aise#La_guerre_de_Sept_Ans.2C_ou_le_temps_des_d.C3.A9sastres_.281755-1763.29
    Voir enfin: René Chartrand, «France's Successful Renforcements to America after the Fall of Canada.1761-176 », Military Collector & Historian: Journal of the Company of Military historians, vol 61, no4, 2009.

  • Archives de Vigile Répondre

    28 avril 2013

    En espérant que ces vidéos sauront vous inspirez pour commémorer la Victoire Française de Ste-Foy le 28 avril 1760.
    La chanson est "Auprès de ma blonde", interprétée par André Bauge sur l'album l'inoubliable vol.2, est en fait une marche militaire qui a également été chantée en Nouvelle-France par les soldats du Roy.
    Pour en faire le visionnement consulter les liens et n'hésitez à les diffuser.
    http://www.youtube.com/watch?v=ez25KJKUfQ8
    http://www.tagtele.com/videos/voir/58099
    Honneur à nos Héros!
    Je me souviens!
    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://ordredesaintveran.puzl.com/coinsanspareil
    http://www.regimentdelasarre.ca
    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
    http://www.tagtele.com/profil/Sanspareil
    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

  • Archives de Vigile Répondre

    28 avril 2013

    C'est la bataille qu'on devrait commémorer,mais c'est étrangement trop méconnue,merci d'en parler!

  • Archives de Vigile Répondre

    28 avril 2013

    Merci Madame Morot-Sir de ce rappel historique.
    Cette bataille fut autrement plus sérieuse que celle qui fut perdue par le Marquis de Montcalm l'année précédente. Mais l'avenir de la colonie allait être décidé ailleurs.
    Voici une vidéo sur la bataille de Sainte-Foy, en hommage aux derniers défenseurs de la Nouvelle-France.
    http://www.youtube.com/watch?v=lgIjnaTkVLs