(Ottawa) Quand j'ai vu sur mon bureau, hier matin, au retour d'une brève absence, le nouveau livre de Michael Ignatieff, j'ai sursauté. Le titre, Terre de nos aïeux, emprunté au Ô Canada, et la feuille d'érable contemporaine, au centre de la page, faisaient bizarre.
Après tout, Adolphe-Basile Routhier avait composé les paroles de l'hymne en l'honneur du Congrès national des Canadiens français qui s'est déroulé à Québec, en 1880.
Et les Canadiens français de l'époque se querellaient pour un drapeau bien à eux, entre le tricolore français et une version quelconque du drapeau de Carillon, contre l'Union Jack des compatriotes d'obédience anglaise.
Tout cela pour vous dire que la terre de ses aïeux n'est pas nécessairement celle des vôtres. La famille maternelle du chef libéral, les Grant, logeait dans l'autre camp, celui de l'empire britannique.
La réussite passait par Londres, le Canada incarnait la petitesse, et le cheminement personnel de M. Ignatieff reflète ce trait familial.
Il nous dit dans sa préface avoir commencé la rédaction de son hommage familial en 2000, alors qu'il professait à Harvard et ne se doutait pas qu'il se retrouverait aux portes du pouvoir, le jour de sa publication.
Car s'il avait su, peut-être se serait-il abstenu ou bien de l'écrire, ou bien de le faire traduire en français! Mais comme nul n'est responsable des opinions de ses ancêtres, je ne fais aucun reproche à M. Ignatieff.
Lui-même ne se gêne pas à l'occasion pour montrer comment ses grands-parents et surtout son oncle vivaient dans un autre temps, le tout expliquant sa conclusion, que je vous livre tout de suite : «La question de notre identité n'est jamais réglée.»
J'imagine mal un Stephen Harper, un Jack Layton ou un Gilles Duceppe cherchant leur identité, ou du moins avouant que le débat demeure ouvert.
J'ai été étonné que M. Ignatieff écrive et accepte sans aucune réserve ou aucun remords que ses grands-parents russes, ceux dont il n'est pas question dans ce livre, s'installent «dans une ferme du Québec pour cultiver leur jardin en regardant leurs enfants apprendre l'anglais et se faire les défenseurs de leur nouvelle terre».
Je sais bien que le Québec de 1928 acceptait ce comportement, l'encourageait même dans le cas des non-catholiques romains exclus des écoles françaises - les Ignatieff étant de foi orthodoxe.
Mais quand même, un petit mot d'explication aurait été de mise, non?
Ce choix posé, rien ne s'opposait à l'alliance des Ignatieff à la famille Grant, dont l'ancêtre rêvait de construire un chemin de fer transcanadien et explora l'Ouest à cet effet.
Ce George Grant, reconnaît M. Ignatieff, «souhaitait que des fermiers blancs et anglophones s'installent dans l'Ouest», au contraire du rêve de son contemporain Louis Riel, qui voulait un Ouest «francophone, métis et autochtone».
Les faits sont connus, Lionel Groulx écrivait la même chose. Mais pour M. Ignatieff, Louis Riel est un «visionnaire apostat d'un Canada qui n'a pas eu sa chance». Il s'agit sans doute d'un compliment, puisque Grant plaida pour le pardon en faveur de Riel.
La famille maternelle se montrait plus britannique que la reine Victoria elle-même, et ses membres passèrent la guerre des Boers et les deux guerres mondiales à défendre l'empire.
Un autre Grant, «oncle George», avec lequel Ignatieff manifeste un total désaccord, sombra de son côté de l'impérialisme total au conservatisme le plus sombre.
Pour lui, «l'identité canadienne ne pourrait survivre sans une âme britannique».
Beau programme, que réprouve son neveu Michael, qui défend plutôt la coexistence de trois mythes rivaux, l'anglais, le français et l'autochtone, dans un même pays.
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