On aurait tort de croire que Philippe Couillard est un homme sans convictions, seulement intéressé par le pouvoir. C’est faux. Philippe Couillard a des convictions fortes. Très fortes. Et elles touchent aux fondements de notre société. Ces convictions, il les expose et les porte en étendard dès qu’il est question du nationalisme québécois. Philippe Couillard est un antinationaliste viscéral, convaincu et militant.
Derrière le nationalisme québécois, il semble toujours voir une xénophobie qui ne dit pas son nom. Il accuse les souverainistes de tous les maux. Et dès qu’il est question d’identité, il s’emporte. C’est plus fort que lui. On sent qu’il veut foncer dans la bataille pour veut terrasser le dragon nationaliste, en finir avec l’ennemi qu’il déteste. C’est un idéologue militant qui dirige le Parti libéral du Québec.
À l’Assemblée nationale, cette semaine, il s’est dépassé, en laissant entendre que le débat sur la Charte des valeurs engagé en 2013 avait conduit au massacre de Québec du 29 janvier, avant de rétropédaler un peu après en disant qu’il n’avait jamais laissé entendre une telle chose. Rarement on aura vu une récupération politique et idéologique aussi grossière d’un massacre. Mais au-delà de cette déclaration empoisonnée, on peut dire que Philippe Couillard est un multiculturaliste pur et dur.
À tout le moins, les choses sont claires et la stratégie est annoncée: Philippe Couillard, en 2018, cherchera non seulement à transformer l’élection en référendum antisouverainiste, comme le veut la tradition libérale, mais aussi en référendum anti-identitaire. Il cherchera à se présenter comme le gardien du vivre-ensemble diversitaire contre la tentation xénophobe hantant dans ses profondeurs le Québec francophone. Il portera les habits du défenseur de la démocratie.
Philippe Couillard cherchera à mobiliser son électorat et à l’élargir en proposant implicitement, et peut-être explicitement, quelque chose comme une grande revanche contre ce qu’on se représente comme un peuple rongé par des préjugés odieux, un peuple qui s’était lancé dans une jacquerie contre les accommodements raisonnables et qu’il faudrait enfin punir en lui faisant savoir à quel point il avait erré. On voudra le ramener à l’ordre et restaurer au même moment l’ordre multiculturaliste.
On devine la suite: le système médiatique l’applaudira comme jamais, et pour peu que Philippe Couillard gagne son pari, ce qui est bien probable, pour peu qu’on garde à l’esprit la division du vote francophone, on y verra un pas de plus dans la grande marche du Québec pour s’arracher à son passé. La modernité conquérante consacrera son expansion en disqualifiant comme jamais le débat identitaire, qu’on aura disqualifié moralement pour de bon.
Une chose est certaine: Philippe Couillard, pour mener à bien sa stratégie, aura tout intérêt à hystériser le débat identitaire en l’associant systématiquement à la xénophobie, comme l’avaient fait les adversaires de la Charte des valeurs, qui ne se contentèrent pas de s’y opposer en la critiquant au nom d’une autre philosophie de l’intégration, ce qui aurait été parfaitement légitime, mais en la présentant comme une offense contre les droits des minorités et en se présentant comme les gardiens de la démocratie en péril.
La question qui se pose maintenant est de savoir comment réagiront les partis nationalistes ancrés dans le Québec francophone. En 2014, Philippe Couillard avait transformé l’élection en référendum contre l’indépendance, le camp du Oui en étant d’ailleurs terriblement absent, les souverainistes se désintégrant d’une journée de campagne à l’autre. On avait assisté à l’effondrement des indépendantistes d’autant plus qu’ils avaient refusé de livrer bataille – ce qui ne veut pas dire qu’ils auraient gagné s’ils avaient placé eux-aussi, mais de manière offensive, la question nationale au cœur de l’élection. Mais les souverainistes, chose certaine, ont laissé en 2014 le monopole de l’indépendance à ceux qui la diabolisaient.
On devine la question suivante: est-ce qu’en 2018, terrifiés par le discours des médias diversitaires qui formatent le débat public québécois en imposant un vocabulaire, les partis nationalistes fuiront aussi la question identitaire, le Parti Québécois allant jusqu’à se réfugier derrière une version progressiste des «vraies affaires»? Les nationalistes assumeront-ils la question identitaire, ou la porteront-ils comme un boulet?
La bataille politique est une bataille idéologique. Faute de riposter adéquatement, les nationalistes sont en train de laisser s’installer une ambiance de culpabilisation générale des Québécois francophones: la thèse du racisme systémique progresse médiatiquement, on réécrit complètement la petite histoire du débat entourant la Charte des valeurs en laissant croire qu’il aurait représenté une page noire de notre histoire et on xénophobise les préoccupations identitaires du commun des mortels.
Chose certaine, la question identitaire passionne l’électorat, même s’il s’exaspère de l’incapacité à traduire ce débat en actes politiques. À travers elle, nos sociétés débattent de la représentation qu’elles se font de leur passé, de leur présent et de leur avenir: elles débattent de ce qui caractérise leur monde commun . C’est une question existentielle et il faut être d’une mauvaise foi absolue pour n’y voir que la traduction politique d’une «peur de l’autre» ou autre disposition culturelle détestable.
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