Quand on nous dit que les jeunes Québécois n'ont tout simplement plus peur de voir leur peuple disparaître, nous est-il possible de dire qu'ils se trompent, et qu'ils vivent désormais la tête dans le sable ? Nous est-il possible de dire qu’ils sont victimes d’une perception faussée de leur condition collective ? Nous est-il possible de dire qu’ils vivent sur le registre d’une indépendance psychologique fantasmée, dans la mesure où elle n’est pas fondée politiquement?
Pourrait-on même ajouter que cette insouciance identitaire, loin d'être une marque de maturité existentielle, est en fait un symptôme de notre régression, de la désagrégation de la conscience collective, d'une déréalisation de notre vision de nous-mêmes, le français étant soudainement, par magie, assuré de survivre pour toujours en Amérique et le maintien d’une société de langue et de culture françaises en Amérique n’exigeant plus d’efforts particuliers, ne devant plus être pris en charge à la manière d’un projet politique.
Certains formulent un argument plus «audacieux»: notre langue disparaîtrait-elle peu à peu que l'identité québécoise, elle, ne disparaîtrait pas : elle connaitrait simplement une nouvelle évolution, sous le signe de l'hybridation. Le peuple québécois a survécu à la disparition du catholicisme, ne pourrait-il pas survivre à la disparition de sa langue? Autrement dit, il n’y a plus aucun noyau sacré dans l’identité d’un peuple, aucun héritage à préserver : tout change, tout évolue, et rien n’est jamais vraiment grave.
L’histoire du Québec, c’est pourtant celle d’une longue lutte contre notre assimilation comme peuple dans un continent où notre langue est souvent considérée comme un résidu folklorique, et dans un pays qui ne nous a jamais vraiment reconnu comme une nation fondatrice, au point, aujourd’hui, de nous traiter à la manière d’une communauté culturelle parmi d’autres. Avons-nous vraiment liquidé la possibilité même de notre assimilation, et cela, sans obtenir l’indépendance ni même le statut de société distincte?
C'est parce que nous avons toujours su, au fond de nous-mêmes, que nous pouvions disparaître, que nous avons tout fait pour que cela n'arrive pas. C'est parce que nous savions, comme toutes les petites nations le savent, que notre identité nationale est définitivement marquée du sceau de la précarité existentielle, que nous avons lutté pour ne pas nous faire transformer en bourgade folkorique, à la manière d'un village des traditions d'antan renonçant à vivre la modernité à partir de sa propre expérience historique.
On me répondra que les jeunes ne connaissent pas leur histoire, et qu’ils sont pour cela inconscients des lignes de force qui la traversent. Je nuancerais la chose : je dirais qu’ils n’habitent plus l’histoire, ils ont conscience, vaguement, des grands enjeux qui l’ont marqué, mais ils ne s’en sentent plus les continuateurs, ils la regardent, en quelque sorte, comme des étrangers délivrés du poids du passé, habitant un présent délivré du temps long. Ils se sentent appartenir davantage à la société québécoise qu’au peuple québécois. Ils s'imaginent vivre dans une société complète, et ne se demandent pas si nous avons collectivement les pleins pouvoirs d'une nation souveraine. Comme si le politique, aujourd'hui, était une chose secondaire.
Je ne dis pas qu’il faut avoir une vision perpétuellement angoissée de notre avenir comme peuple, mais le jour où nous cesserons de craindre notre possible effacement de l’histoire du monde, le jour où notre éventuelle disparition ne sera même plus envisagée, alors nous aurons complètement perdu le contact avec le réel. D’ailleurs, ce n’est pas être paranoïaque que de ne pas croire qu’on habite le paradis terrestre, et de rappeler que les peuples, pour vivre, doivent s’en donner les moyens et savoir dans quel environnement ils évoluent.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé