Les médias français et québécois ont rendu compte depuis quelques semaines du succès du premier film du jeune cinéaste québécois Xavier Dolan, J'ai tué ma mère. La presse d'ici a longuement rapporté les critiques souvent positives que le film a reçues en France. Certains collègues, probablement emportés par l'enthousiasme, ont même conclu que «jamais un film québécois n'avait fait à ce point l'unanimité». Comme si Gilles Carles, Claude Jutra et Denys Arcand n'avaient pas remporté des succès beaucoup plus considérables en France! Mais passons sur ces élans de chauvinisme qui se manifestent chaque fois que le Québec obtient un petit succès à l'étranger. Ils ne sont ni les premiers ni les derniers.
Cela n'empêche pas le film de Xavier Dolan de témoigner d'une maîtrise surprenante pour un cinéaste d'à peine vingt ans. Il y a dans ce drame qui met aux prises un adolescent homosexuel avec sa mère une touche personnelle qui rend le film attachant. Les images font preuve d'une qualité surprenante, tout comme le jeu des comédiens.
Au-delà de ces réussites, il vaut cependant la peine de se pencher sur le contenu de ce film dont la première qualité est, comme pour toute oeuvre réussie, de nous renvoyer une image précise et nuancée de ce que nous sommes. La force d'un artiste comme Dolan, c'est de nous révéler une part de nous-même.
Or, de quoi nous parle le jeune cinéaste sinon de la révolte impossible? Qu'on apprécie le film ou non, J'ai tué ma mère est un film sur l'impuissance personnelle et collective, celle d'une jeunesse qui ne sait plus ni comment ni contre quoi se révolter, celle enfin d'une société résignée qui ne semble pas voir de porte de sortie à son psychodrame. Au fond, la plus grande qualité du film de ce jeune cinéaste est de nous révéler le cul-de-sac dans lequel semble se débattre le Québec d'aujourd'hui.
Qu'on y regarde de plus près. Hubert est un adolescent en crise qui découvre la littérature et se révolte contre la morosité ambiante. Ennui venant de ces mornes banlieues à perte de vue. Ennui venant de cet hiver qui n'en finit plus. Ennui venant de cette école profondément acculturée. Ennui venant de ces êtres absents à eux-mêmes. Mais cette révolte adolescente tourne elle-même en rond. Car notre jeune héros est parfaitement incapable du courage qui consisterait à claquer la porte et à vivre sa vie. Malgré ses colères d'enfant gâté, à aucun moment il ne refuse les lifts, le gîte et les repas que lui offre cette «mère reptilienne», pour reprendre les mots tellement justes de Victor-Lévy Beaulieu. Au fond, on sent bien qu'Hubert ne partira jamais pour l'Abyssinie et qu'il sera toujours incapable de se priver du confort tranquille que lui offre ce petit milieu étouffant mais combien confortable.
Si la révolte s'avère impossible, c'est aussi parce que personne ne résiste à cet adolescent sympathique. Autour de lui, tout est désespérément mou. Rien n'offre de prise à la colère. Notre adolescent est entouré de loosers sympathiques qui démissionnent quotidiennement quant à leurs responsabilités d'adultes. La gifle qu'Hubert recevrait dans n'importe quelle famille normale et qui aurait peut-être le mérite de le forcer à se brancher, cette gifle libératrice ne viendra jamais.
Même la révolte homosexuelle de l'adolescent ne porte pas à conséquence. C'est d'ailleurs le côté le moins crédible du film. Au fond, cette homosexualité n'est qu'un simulacre de révolte puisqu'elle ne choque personne. On pourrait d'ailleurs se demander si l'image de l'homosexuel en rupture n'est pas en train de devenir un nouveau poncif du cinéma québécois. Seule la mère dira la nostalgie de ces petits-enfants qu'elle ne connaîtra jamais.
Ne parlons pas de l'image des hommes que nous propose Xavier Dolan. C'est évidemment l'homme québécois dans toute son insignifiance. Les rares hommes de ce film sont soit lâches, soit absents. Le seul adulte digne d'intérêt est une jeune enseignante qui encourage l'adolescent à écrire. Mais la jeune fille, au lieu d'assumer ses responsabilités de professeur, se sauve aux États-Unis. Encore une démission!
La conclusion du film vaut qu'on s'y attarde. Notre adolescent en fugue ira se réfugier dans le chalet de ses parents. Au fond, après un simulacre de révolte, le voilà qui réintègre le cocon familial. Ces retrouvailles au bord du fleuve évoquent peut-être le besoin de renouer avec ses racines. Mais il lui faudrait pour cela essayer d'assumer l'histoire, cesser de mépriser la culture populaire de sa mère et abandonner cette révolte de pacotille qui occupe tout le film.
Dans une société où la révolte ne dérange plus personne, dans ce monde de la «coolitude» obligatoire, la seule vraie révolte consisterait au fond à se démarquer de cet impératif devenu le plus étouffant des dogmes. Le film ne franchit malheureusement jamais ce pas, même si la fin reste ouverte. On pourra dire que Dolan ne renouvelle guère le genre et on aura raison. Mais ne serait-ce que pour cette image acerbe et crue qu'il nous renvoie de nous-même, ce film mérite plus que le pétage de bretelles auquel on a assisté depuis quelques semaines.
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