Dans la littérature scientifique, on dit que la démocratie est l’institutionnalisation de l’incertitude. Ainsi, les élections ne devraient offrir aucune garantie à un candidat ou à un autre. Un système qui assure la réélection d’un individu ou qui lui confère un avantage net est un système défaillant. Si les candidats acceptent de jouer le jeu de la démocratie, c’est qu’ils considèrent qu’ils ont une chance de l’emporter. Peut-être pas à une élection donnée, mais certainement dans un avenir envisageable.
Il est tout à fait compréhensible que les élus de la présente législature s’inquiètent de leur réélection advenant l’adoption d’un nouveau mode de scrutin. Les modifications attendues à la carte électorale, du moins dans la version actuellement sur la table, réduisent le nombre de circonscriptions territoriales à 78. Ainsi, une cinquantaine de députés de l’actuelle législature risquent de ne pas pouvoir se présenter dans une de ces circonscriptions pour un nouveau mandat. C’est du moins la crainte qui circule sur la colline ces jours-ci.
Or, il y a un problème avec ce raisonnement. Ce ne sont pas 50 députés qui « perdront » leur circonscription. Dans les faits, ils seront 125 à repartir à neuf. À part peut-être quelques exceptions, le passage d’une carte électorale de 125 députés territoriaux à 78 redéfinira les frontières de l’ensemble des circonscriptions actuelles. Les 50 autres députés seront élus à partir de listes régionales, dont le nombre reste à définir. Tous les candidats partiront du même pied. Aucun n’aura l’assurance d’une réélection dans « son » château fort.
Les Québécois veulent une législature qui les représente et c’est exactement ce que la réforme du mode de scrutin vise. Trop souvent le système actuel a-t-il permis la formation de gouvernements majoritaires sans que le parti politique obtienne la majorité des suffrages ni même, parfois, la pluralité. Le principe du « gagnant emporte tout » qui marque notre système politique génère des gouvernements qui se croient investis d’un mandat sans condition, alors qu’en réalité la majorité des électeurs ont voté pour une autre formation politique. La représentation de la diversité de notre société en souffre.
Alors que, pour l’essentiel de notre histoire démocratique, ce système a été marqué par le bipartisme, une nouvelle donnée marque les plus récentes décennies : la multiplication des partis représentés à l’Assemblée nationale. Avec l’arrivée de l’Action démocratique du Québec, puis de la Coalition avenir Québec et Québec solidaire, la faune politique de la colline Parlementaire s’est grandement diversifiée. Le monopole des grandes formations politiques a également fondu. Au début des années 1980, les deux premières formations politiques recevaient ensemble plus de 90 % des votes. En 2018, les deux partis qui ont reçu le plus d’appuis totalisent moins de 65 % des votes.
Même si le Québec a bénéficié de la stabilité et de l’efficacité qui découlent du système en vigueur depuis 227 ans, les transformations qui se sont opérées au sein de notre société exigent que l’on adapte nos institutions à la nouvelle réalité. Une société plurielle mérite des institutions qui la représentent adéquatement. Les citoyens se montrent de plus en plus insatisfaits du climat qui règne au sein de la classe politique, un climat trop souvent marqué par l’affrontement et la recherche du gain politique qui conférera au vainqueur un contrôle quasi absolu sur le processus législatif. Or, le parlement devrait être un lieu d’échange et de collaboration au profit du bien commun. Évidemment, il serait faux d’affirmer que tout est conflit au parlement québécois, mais force est d’admettre que, dans l’espace public, le conflit prend souvent le dessus. L’image et la légitimité de nos institutions en souffrent.
La réforme est un pas dans la bonne direction. Certes, le changement génère de l’incertitude, mais rappelons-nous que l’incertitude est essentielle à la démocratie. La majorité des régimes parlementaires de la planète sont régis par un mode de scrutin à représentation proportionnelle. La vaste majorité de ces régimes politiques sont stables. Ils sont aussi nombreux à former des gouvernements de coalition qui arrivent très bien à gouverner en générant des consensus. Ne succombons pas à la tentation de dresser le portrait d’un scénario catastrophe à partir de quelques cas atypiques. La réforme du mode de scrutin est nécessaire, souhaitable et réalisable.
En outre, si le principal obstacle à sa mise en oeuvre réside dans les craintes des députés de l’actuelle législature, une solution simple pourrait être de l’adopter en prévoyant qu’elle entrera en vigueur lors de la dissolution de la prochaine législature. Ainsi, les élus actuels ne se retrouveraient pas en situation de conflit d’intérêts en légiférant sur leur destinée personnelle. En recourant à la même stratégie, ils pourraient aussi en profiter pour régler l’épineuse question du traitement des députés. D'une pierre deux coups.