La raison d'être

Le Bloc Québécois a 20 ans!


Un politicien qui dure est plus souvent qualifié de professionnel que d'homme ou femme de conviction. De Gilles Duceppe, qui célébrera vendredi le 20e anniversaire de son élection à la Chambre des communes, on peut dire les deux. Tout comme du Bloc, d'ailleurs.
Le chef et son parti ont duré au-delà de ce qu'ils espéraient puisque leur longévité leur rappelle chaque jour leur rêve inachevé — la souveraineté. On ne se gêne d'ailleurs pas pour le leur rappeler lors de chaque élection fédérale. On s'interroge à tout coup sur les raisons d'être du Bloc et, depuis 2004, sur son impact sur l'échiquier politique fédéral, où l'élection d'un gouvernement majoritaire est devenue pratiquement impossible. Combien de fois Gilles Duceppe ne s'est-il pas fait demander pourquoi lui et son parti s'accrochaient?
«J'y suis encore parce que j'y crois», répond Gilles Duceppe en entrevue. En quoi? «En la souveraineté», rétorque-t-il, presque étonné. Une souveraineté, prend-il soin de rappeler, qui ne serait pas faite par dépit ni en opposition au Canada, mais pour «nous donner tous les outils pour faire une meilleure société». En attendant, pas question de céder les sièges bloquistes à des fédéralistes qui occulteraient la voix des souverainistes ou qui ne tiendraient pas compte des consensus québécois qui déplaisent au reste du pays.
On oublie souvent que le rapatriement de la Constitution a nourri l'idée d'un parti souverainiste à Ottawa. Alors que la quasi-totalité des députés à l'Assemblée nationale votait contre la réforme constitutionnelle de Pierre Elliott Trudeau, 73 de ses 74 députés québécois votaient pour, Louis Duclos étant le seul dissident. Les positions des deux députations québécoises étaient légitimes, mais conflictuelles. À partir de ce jour, un grand nombre de souverainistes, et bien des Québécois, se sont promis de ne plus jamais être victimes de cette double légitimité.
La mort de l'accord du lac Meech a rafraîchi les mémoires et en juin 1991, lors de la fondation du Bloc à Tracy, le parti se donnait quelques missions fondamentales, dont celle de faire échec à la double légitimité. Cet objectif n'a pas disparu, insiste Gilles Duceppe. La voix des souverainistes doit être entendue. Tout comme celle du Québec quand les autres partis en font fi.
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Mais le Bloc souhaitait avoir une vie brève. Autrement, craignait Lucien Bouchard, il risquait de se transformer en «police d'assurance» pour Québécois craintifs de faire la souveraineté. Des Québécois désireux de voter pour un parti souverainiste sans courir le risque de voir le processus s'enclencher, comme cela serait le cas avec un vote pour le Parti québécois.
Comme tous les bloquistes, Gilles Duceppe aurait bien voulu que le référendum de 1995 soit victorieux et mette fin à leur passage à Ottawa, mais il n'admet pas cette idée voulant que le Bloc soit un frein au mouvement souverainiste. Au contraire, il l'a bien servi. Le chef bloquiste cite le référendum de 1995, pour lequel le Parti québécois a pu compter sur un allié à Ottawa et sur le terrain, ce qui a contribué aux résultats serrés du 30 octobre. Le Bloc a aussi fait des percées auprès des communautés culturelles, où il a recruté candidats et députés. Il a contribué à la réflexion du mouvement, au renouvellement de ses idées. Encore en fin de semaine, ce sont les jeunes bloquistes qui ont organisé une université d'été où tous les jeunes souverainistes, peu importe leur affiliation partisane, étaient invités. Au Canada anglais, le mouvement souverainiste a perdu ses auras de Bonhomme Sept Heures. Il est vu, à travers le Bloc, comme un interlocuteur responsable, croit Gilles Duceppe, qui nourrit ses liens dans le reste du pays et la communauté diplomatique.
Gilles Duceppe se défend de contribuer à une certaine paralysie à Ottawa. Il rappelle que son parti vote toujours en fonction des intérêts du Québec, peu importe qui forme le gouvernement. Résultat, son parti a appuyé deux des cinq budgets conservateurs et des lois présentées par différents partis. Il est tout aussi agacé quand on lui dit qu'il tient les Québécois à l'écart des décisions, son parti étant voué à l'opposition. Il invoque la démocratie, qui donne le droit aux gens d'être représentés par des élus qui partagent leurs idées et, au Québec, environ 40 % des gens sont souverainistes.
Il croit aussi à l'influence des parlementaires de l'opposition. Il cite en exemple celle tant vantée de l'ancien chef du NPD, Ed Broadbent. «Si c'est vrai pour lui, pourquoi ça ne serait pas vrai pour moi? Si c'est vrai pour le NPD, pourquoi ce ne serait pas vrai pour le Bloc?» Il parle des mesures contre le crime organisé, le rapatriement de la formation de la main-d'oeuvre, la reconnaissance de la nation québécoise, gommant dans ce dernier cas les égratignures que son parti a récoltées au passage.
Au bout du compte, il ne le dit pas, mais le Bloc est tout simplement là parce que les Québécois en veulent, parce qu'ils jugent qu'ils représentent mieux leurs valeurs et leurs intérêts. Il ne revient pas à Gilles Duceppe et à ses troupes de se saborder pour laisser le champ libre aux autres partis. C'est à ces derniers de faire leurs preuves au Québec. La réussite du Bloc est le reflet de leur propre échec et d'une certaine impasse politique au Québec qu'ils n'arrivent pas à dénouer. La raison d'être du Bloc se trouve là.


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