La rage du peuple

Cette crise est le tombeau des idées reçues... et l'occasion, peut-être, d'une convergence dans les solutions à un marasme d'envergure mondiale.

«Les indignés» dans le monde

Beaucoup de chroniqueurs, ici ou ailleurs, en sont encore à l'ébahissement devant l'élégance et l'habileté rhétorique de Barack Obama. Mais ce stade est aujourd'hui dépassé. La politique, ce n'est pas que du people... surtout pas en ce moment.
La situation s'aggrave aux États-Unis, après une semaine de controverse et de rage populaire contre les bonus multimillionnaires payés aux cadres de la compagnie d'assurances AIG, à même l'argent versé par l'État. C'est la crédibilité même du processus politique dans son ensemble qui est de plus en plus remise en question.
Malgré ses airs à la fois réfléchis et décidés, malgré son audace sur certains fronts -- en politique étrangère avec cette main tendue à l'Iran, ou à l'interne avec ce plan d'infrastructures dont on attend les effets --, Barack Obama est peut-être en train de trébucher sur la question la plus urgente de toutes, celle qui obsède les Américains: l'argent, l'argent, la question des banques, la question du crédit.
Le plan de renflouement des institutions financières ne semble aller nulle part; les centaines de milliards déversés n'ont pas débloqué le crédit. Et les Américains outrés apprennent maintenant qu'une partie de ces sommes a servi à verser des dédommagements... à des banques européennes assurées chez AIG!
Le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, avec ses airs de jeune premier hésitant, est en train de se transformer en symbole de ce qui ne va pas dans cette administration... et peut-être demain en bouc émissaire.
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On a beaucoup rapporté que la «machine Obama» avait été soutenue, en 2007 et 2008, par une montagne de dons modestes du peuple redécouvrant l'action politique. Mais on a beaucoup moins dit que la majeure partie des apports financiers à cette formidable machine électorale -- la plus dépensière de toute l'histoire des États-Unis -- provenait des milieux de la haute finance, qui ont généreusement alimenté «le bon cheval». S'il est vrai qu'environ 40 % du trésor de guerre du candidat Obama a été le produit de petits dons, le reste -- 60 % -- provenait surtout de gros chèques de bonzes de Wall Street (et apparentés).
Qu'on le veuille ou non, cela vous met quelques fils à la patte...
Bien sûr, ces accointances n'expliquent pas tout: la situation est objectivement complexe, et les solutions quasi introuvables. Mais elles mettent en contexte les réticences de l'administration Obama, par exemple devant une réglementation accrue du système financier (objet d'un désaccord important avec l'Europe), ou encore devant la perspective d'une nationalisation des banques (préconisée par de nombreux économistes, comme le Prix Nobel Paul Krugman). Toutes choses haïes à Wall Street.
L'indignation et l'exaspération populaires confèrent de plus en plus à ce drame les dimensions d'une tragédie grecque: le crédit politique du président pourrait se consumer encore plus vite que son ascension fulgurante. Obama va avoir besoin de beaucoup plus que de l'habileté rhétorique ou de son charme déployés dans une entrevue télévisée. Même son intelligence politique aiguë, qui l'a guidé dans la conquête de la présidence, pourrait bien ne plus suffire. Car c'est un tsunami qui menace aujourd'hui les politiciens dépassés par la crise.
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Cette déconnexion croissante entre l'élite politique et le peuple en colère, on la voyait également la semaine dernière dans les rues de l'Hexagone. À Paris, à Marseille et ailleurs, sur fond de licenciements et de baisse du niveau de vie, on a débrayé et défilé pour crier son inquiétude et sa défiance contre les responsables politiques.
La France et les États-Unis sont très différents, qu'il s'agisse de traditions politiques, d'attitudes envers l'État ou l'argent. Selon le cliché habituel, les Français attendent tout de l'État, veulent maximiser leurs congés payés et haïssent les riches, tandis que les Américains détestent les pouvoirs publics (en particulier l'État fédéral), admirent l'enrichissement et travaillent 60 heures par semaine.
Ces clichés n'ont jamais correspondu exactement à la réalité, et aujourd'hui ils y correspondent moins que jamais. Les Français demandeurs devant l'État restent de vrais individualistes, dotés d'une épargne phénoménale. Tandis que les Américains appauvris, révoltés par l'avidité des big shots de Wall Street, attendent aujourd'hui de leur gouvernement qu'il les sorte de l'ornière.
Cette crise est le tombeau des idées reçues... et l'occasion, peut-être, d'une convergence dans les solutions à un marasme d'envergure mondiale.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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