PROGRAMME LIBÉRAL

La «quatrième» révolution antidémocratique

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Feue la démocratie

Beaucoup a été dit sur le projet libéral de déconstruction de l’État providence québécois pour en faire un État minceur compétitif du XXIe siècle. Cette quatrième révolution néolibérale, pour reprendre le titre du livre sacré de Philippe Couillard (1), doit marquer l’avènement d’un État qui créera les « conditions propices » pour attirer et favoriser les investisseurs d’ici, mais surtout d’ailleurs. Des investisseurs qui, seuls, sont en mesure de créer de la richesse ; un moyen qui est apparemment devenu la fin ultime des sociétés contemporaines.

Par conditions propices, on entend : un réseau public d’infrastructures nécessaires à la circulation des biens et des personnes ; de l’énergie à bas prix ; la privatisation et la libéralisation des monopoles ou quasi-monopoles publics pour créer des occasions d’investissements ; un environnement fiscal compétitif ; des stratégies publiques individualisées pour requalifier les travailleuses et travailleurs éjectés de secteurs économiques déclinants ; le maintien de l’ordre public (et donc le respect de la propriété et des contrats) ; enfin, une réglementation flexible pour ce qui est de la protection du patrimoine, de l’environnement et des conditions de travail.

Contre toute attente, le mot-clé dans le programme néolibéral est « public ». C’est-à-dire que l’État est le partenaire privilégié pour attirer et faire fructifier les capitaux des investisseurs. « L’État providence qui agit », avec ses grands programmes sociaux universels, devient « l’État accompagnateur qui fait agir », avec ses programmes ciblés, flexibles et individualisants. Le néolibéralisme n’est donc pas un programme économique basé sur le laisser-faire de l’économie libérale classique. Ce n’est pas non plus l’absence d’État comme l’appellent les libertariens. L’État néolibéral idéal, c’est un État « autre » qui contribue à créer un nouveau monde et des individus qui lui correspondent.

Modeler un nouvel individu

C’est de cela qu’on parle moins quand on parle de la « révolution néolibérale » que met en branle le Parti libéral du Québec depuis l’ère Charest. On en veut pour preuve l’ampleur des ambitions du PLQ depuis 2003, l’emploi des termes non équivoques de réingénierie, de révolution culturelle, de réinvention de l’État. Car il s’agit bien d’une révolution qui modifie les relations entre l’État et la société, mais qui permet aussi à l’État de retravailler les mentalités et les comportements des individus.

L’État néolibéral est un État qui éduque les individus à s’autonomiser par rapport à l’État, à se responsabiliser privément devant les risques sociaux (chômage, maladie, etc.), à devenir des « entrepreneurs d’eux-mêmes » en développant leur attrait sur un marché du travail compétitif par des stratégies d’investissement sur soi (comme de s’endetter pour réaliser une formation d’études postsecondaires). Tout se passe comme si « l’esprit concurrentiel d’entreprise », qui s’est incrusté dans la pensée et la pratique de la gouverne de l’État depuis les écoles de management et le secteur privé, colonisait désormais le « moi » des citoyen·ne·s. L’État néolibéral en vient donc à modeler les attentes et les comportements des contribuables, des consommateurs et des travailleurs de manière à ce qu’ils se comportent comme autant de petites « entreprises d’eux-mêmes » en relation avec d’autres entreprises individuelles, publiques ou collectives-privées (allant de la PME à la multinationale).

À une autre époque, durant les années 1960-1970, les Québécois et Québécoises de talent voyaient positivement l’administration publique et s’y investissaient avec enthousiasme. Le héros mythique était alors le serviteur public, qu’il soit du côté du gouvernement ou de la fonction publique. Depuis les années 1980, l’État du Québec envoie un autre message à ses personnes de talent : devenez entrepreneurs. D’abord, cet État n’est plus le moteur de l’ascension sociale ; il n’est plus le centre d’un projet ambitieux et attractif de construction d’une société francophone moderne et juste. Ceux qui en tiennent le gouvernail doutent même de sa fonction en le confondant avec le fonctionnement d’une entreprise privée, voire d’une cellule familiale. Ne faut-il pas gérer le budget public comme un bon père de famille ? Le héros mythique est dès lors un acteur privé qu’il faut épauler : le créateur de richesse. Tandis que le serviteur public est suspecté de tous les maux : dépensier, inefficace, inutile.

Là où l’État néolibéral ne marque pas de changement par rapport à l’État providence, qu’il doit supplanter à terme, c’est sur la question de l’arrogance du pouvoir. L’élection demeure un mandat ouvert que l’on confie à l’équipe gagnante, qui décidera a posteriori de la nature et de l’ampleur de son mandat. Mandat que l’équipe gagnante justifiera en invoquant la volonté des contribuables (et non pas des citoyen·ne·s), volonté qu’elle seule a su décrypter et peut représenter par la sanction sacrée des urnes électorales. Ainsi, si la « quatrième révolution » de Philippe Couillard doit mener l’État du Québec à devenir un « État du XXIe siècle », on peut dire d’avance que ce changement de paradigme fondamental n’aura pas reçu directement et consciemment l’aval des citoyen·ne·s. Bref, l’État néolibéral qu’entend faire advenir le gouvernement libéral sera peut-être « efficace », mais il ne sera certainement pas démocratique.

(1) The Fourth Revolution – The Global Race to Reinvent the State. Lire Antoine Robitaille, « La bible de Couillard ? », Le Devoir, 6 octobre 2014.


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