La promenade "expiatoire "

La difficile aventure de la Révolution française

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

La France de 1789 présente une population de 26 millions d'habitants.
Cette population est curieusement divisée en trois parties bien distinctes :
- La noblesse environ 400.000 personnes que l'on peut partager entre la haute noblesse parlementaire, la noblesse d'épée, la petite noblesse comme les gentilshommes de province, peu fortunés, ou ayant acheté leurs quartiers de noblesse, méprisés par la noblesse d'épée
- Le clergé environ 120.000 personnes - dont 139 évêques - parmi lesquelles on distingue le haut clergé issu de la noblesse et le bas clergé plus proche du Tiers Etat.
- Le Tiers Etat représente tout le reste de la population c'est à dire la majorité des gens parmi lesquels se trouvent les travailleurs de la campagne, les paysans , les petits propriétaires fonciers , les fermiers, les artisans, les ouvriers des villes mais aussi les bourgeois comme les banquiers, les commerçants, les hommes de droit.. Cette bourgeoisie est en plein essor, elle prend de plus en plus de pouvoir dans la vie économique du royaume de France.
De son côté le pouvoir du Roi paraît immense, n'ayant pas de limite, tous les pouvoirs sont centralisés dans les mains de Louis XVI. Il en résulte injustices et inefficacité.
Depuis 1777 la France combat aux côtés des insurgés anglais d'abord avec le seul La Fayette puis avec Rochambeau et le corps expéditionnaire royal, et ensuite avec la flotte française commandée par l'amiral De Grasse jusqu'à la victoire des insurgents lors de la capitulation de Charles Cornwallis, à Yorktown, à la baie de la Chesapeake.. Cela coûtera plus de 5000 morts à la France et plus de deux milliards de livres.
Pendant cette période la flotte française est importante elle posséde 300 navires. Ils sont commandés par des amiraux tels De Grasse, la Motte Piquet ou le provençal le marquis de Suffren. Ils se couvrent de gloire à travers les océans et déciment les escadres anglaises ..
En cette fin de XVIIIème siècle, l'ordre féodal pèse sur le peuple français, qui a besoin de soulever cette chape de plomb où la noblesse défend le pays avec son épée, le clergé l'assiste de ses prières, et le peuple travaille et paie l'impôt " taillable et corvéable à merci .."
Mais les nobles sont devenus des chefs de guerre médiocres, et certains parmi le clergé et surtout les prélats, sont bien éloignés des prières !
Le Tiers Etat, donc la plus grande partie du peuple, ne supporte plus les privilèges de la noblesse et du clergé, ils sont choqués que l'église ne paie pas d'impôt, et qu'en plus elle impose la dîme sur les revenus du peuple. La répartition des impôts est aussi totalement inégalitaire, les nobles en paient quelques-uns mais sont exempts de certains autres, et en général ne paient pas la taille, le plus gros d'entre tous les impôts, c'est à dire que pour 100 livres, la taille en prend 53 ! Quant à la gabelle elle écrase totalement les Français ! .
C'est sur le dos du Tiers Etat que cela s'accumule, alors qu'il demande avec insistance que cela soit réparti sur tout le monde, sans privilèges, sans exception .. les différents ministres tel Turgot ( en 1774-76) , Necker ( en 1777-81)ou Calonne (en 1783-87) ont tous essayé de faire changer les choses, mais ils se sont heurtés au mur des privilégiés .
Les crises se succèdent tant agricoles qu'industrielles ou sociales et l'unanimité du Tiers Etat se fait contre la noblesse et le clergé. L'agriculture est prospére mais manque d'équipement. Les paysans veulent pouvoir devenir propriétaires de leurs terres. Quant au petites gens des villes l'hiver 1789 est particulièrement froid, les récoltes sont assez mauvaises et les prix flambent ce qui entraîne des mécontentements généralisés dans tout le pays.
Nous y sommes ! le Tiers Etat n'accepte plus d'être taillable et corvéable à merci ! Les finances du régime ont été bien écornées au moment de l'aide apportée à l'indépendance des nouveaux états-unis d'Amérique. Necker tente de les remonter en diminuant les pensions versées aux gens importants, mais il est largement écarté , Calonne de même et son successeur Brienne monte également les privilégiés contre lui ! Alors le roi annonce la convocation des Etats Généraux ce sera le 1er mai 1789;
Le Tiers Etat se voit accorder le double de la représentation habituelle mais le roi ne sait pas prendre les choses en mains, "il ne sait pas vouloir,il ne sait pas décider .." et de ce fait il laisse passer l'occasion de doter le pays d'une Constitution forte, garante des libertés.
Le 20 juin suivant devant l'Assemblée récalcitrante il la fait fermer pour que les députés ne puissent s'y réunir. Ces derniers investissent alors la salle du jeu de Paume, ils jurent de ne pas se séparer tant qu'une Constitution ne sera pas rédigée et approuvée, c'est le fameux serment du jeu de Paume.
Dés le 23 juin 1789 Louis XVI réunit le clergé et la noblesse faisant attendre le Tiers Etat plus d'une heure... Toutes les décisons des députés sont annulées, telles l'abolition de la taille, l'adoucissement de la gabelle, mais bien entendu les droits des seigneurs et des féodaux sont grassement conservés. ll promet seulement l'abolition des lettres de cachet et accepte d'en finir avec l'usage des corvées .
Le Tiers Etat abasourdi resta alors totalement silencieux ! Il ne bougea pas de sa place alors que le roi était sorti, suivit presqu'immédiatement par le clergé et la noblesse..
Lorsque les gardes nationaux s'approchèrent pour les faire partir, Mirabeau leur dit cette phrase désormais célèbre :
" Allez dire à votre maître, que nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes" tandis que Bailly, président de l'Assemblée Nationale ajoutait " rien n'a encore été délibéré, la Nation n'a pas à recevoir d'ordre !"
Alors Dreux Brisey laissa tomber " ils ne veulent pas partir, qu'on les laisse !"
Le temps était donc réellement terminé où chacun disait " Cy veult le roy, Cy veult la loy"
Les députés purent longuement délibérer, les débats furent pour la plupart menés par Sieyés, Pétion ou Mirabeau... Le lendemain 24 juin le clergé rejoignait le Tiers Etat et le 25 une petite cinquantaine de gentilshommes avec à leur tête le duc d'Orléans, arrivèrent aussi, pensant arranger les choses .L'Assemblée lança son Comité Constitutionnel et La Fayette posa son projet de déclaration de droits de l'homme.
Mais le roi ne pouvait pas accepter une monarchie constitutionnelle, c'est pourquoi, malgré l'avis de Necker, il fait envoyer la troupe contre l'Assemblée nationale, c'est à dire contre les représentants du peuple!
Le 8 juillet l'Assemblée Nationale par la voix de Mirabeau devient Assemblée Constituante , c'est la fin de la Monarchie absolue.
Le 11 juillet on place la déclaration des droits de l'Homme de La Fayette en tête de la Constitution .
Le roi ne s'en tient pas là, il fait avancer les troupes autour de Paris , le Royal allemand est au bois de Boulogne, le régiment Suisse au champ de Mars, le Provence Infanterie à Saint Denis, environ 30.000 hommes sous le commandement du duc de Broglie et du général Besenval.
Evidemment la colère gronde déjà parmi le peuple de Paris, d'autant plus que les approvisionnements manquent, le pain aussi.. Mais ce qui plus que tout fait augmenter l' énervement c'est lorsque le roi renvoie Necker, le 11 juillet 1789, sous le prétexte que c'est lui qui a mis le désordre.. La consternation est quasi générale .
Au Palais Royal, Camille Desmoulins debout sur une table appelle à l'insurrection :
" Le renvoi de Necker sonne le tocsin, cela va être la saint Barthélémy des patriotes .."
Une véritable émeute s'installe dans la capitale et le 14 juillet l'exaspération est à son comble on cherche des armes qu'on va prendre aux Invalides,on ramène des fusils et des canons, puis tous se rendent à la Bastille où à grand peine se trouvent sept prisonniers on les libère , et on se jette sur le marquis de Launay qui assurait la défense de la prison, sa tête sera promenée dans les rues de Paris au bout d'une pique .!
Le 15 juillet en revenant d'une partie de chasse, le roi demandera si c'est une révolte,
" non, sire, c'est une révolution ! "
Pendant ce temps à Paris les révolutionnaires fabriquent la cocarde tricolore en prenant les couleurs bleu et rouge de la ville de Paris auxquelles ils intercallent le blanc de la monarchie.
Cette prise de la Bastille marque l'effondrement du pouvoir royal partout en France. L'intendant Foulon, que tous tenaient pour l'affameur du pays, fut pendu et décapité.. Il eut droit lui aussi, à la promenade dite " expiatoire " au bout d'une pique dans les rues de Paris .
Toute la société de l'Ancien Régime, basée sur les privilèges et les ordres distincts, s'écroule. C'est alors la folle nuit de l'Assemblée Nationale du 1er août, et lorsque le matin se lève, de très nombreux décrets ont été votés, c'est le renversement social le plus extraordinaire jamais connu dans le pays.. .
La féodalité a été abolie, plus de droit de chasse, plus de servage ou de justice seigneuriale, l'égalité a été proclamée autant civile que fiscale, ainsi que l'abolition de tous les privilèges. Dorénavant tous les citoyens de France sont égaux .
Cependant, il fallait à présent reconstruire un ordre nouveau ....
Cela ne s'arrêta pourtant pas là !


Sous le prétexte du manque de pain une marche composée pour la plupart de femmes se rend à Versailles demander du pain au roi, qui leur remet tout ce qu'il y avait au palais et fait venir également du blé. Les gardes royaux fraternisent avec la foule.
Le roi s'installe contraint et forcé à Paris aux Tuileries, il perd son titre de roi de France, il passe à la troisième place après la Nation, la Loi .. le roi .
L'unité du pays s'achève un an plus tard le 14 juillet 1790. La révolution politique avait vu s'effondrer l'absolutisme ! Une grande fête a alors lieu au champ de Mars, pour le commémorer, appelée la fête de la fédération.
Les ouvriers qui s'occupèrent de aménagements, pour se donner du coeur à l'ouvrage chantaient la chanson écrite l'année précédente par Ladé " ça ira, ça ira.. "
La Fayette l'épée à la main prononça le serment de la fidelité à la Nation, à la loi et au roi, suivit par tous les députés de l'Assemblée Nationale . Tandis que Talleyrand, évêque d'Autun, entouré de quatre cents prêtres portaient tous la ceinture tricolore !.
Dans la France entière on célébra cette grande fête .
Louis XVI n'accepte pourtant pas tous ces changements, il veut un retour en force de l'Ancien Régime et un retour sans concession ! Il tente alors de quitter Paris afin de mettre son dessein à exécution, mais il est rattrapé à Varennes.
C'est au cours de l'été 1792 que sera totalement effective la chute de la Monarchie. La Fayette revient rapidement le 28 juin 1792, il arrive à l'Assemblée Nationale, il parvient à mettre des députés de son côté, il aurait pu sauver le roi, mais Marie-Antoinette dira " Mieux vaut mourir que d'être sauvés par Monsieur de la Fayette et les constitutionnels !"
Louis XVI venait de laisser passer son destin ..
L'Assemblée nationale prononce alors solennellement la suspension du roi .
Avec la fin de la monarchie, c'est la fin de la Constituante et le 11 août la Convention est votée . Le 12 août la famille royale est internée au Temple.
Le bonnet phrygien sera adopté comme un symbole d'affranchissement de la monarchie.
A l'Asssemblée les girondins avaient la majorité, mais les montagnards souhaitaient la mort du roi pour être certains qu'il ne puisse pas y avoir un retour en arrière. Des documents seront trouvés dans une armoire appartenant au roi, ce qui donnera du poids à plusieurs accusations, lors de son procés du 11 décembre 1792. L'avocat Malesherbes sera chargé de défendre Louis Capet, le procés durera juqu'au 7 janvier 1793 et le 21 janvier suivant il sera guillotiné.
La mort de ce roi a permis de sauver la République .

Featured 9f80857c4f8cb8374a10579d275de8ea

Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

  • 303 414

Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





Laissez un commentaire



5 commentaires

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    17 janvier 2010

    Merci, vraiment, à vous tous de vos commentaires et de vos apports intéressants.. Permettez-moi de rajouter une réflexion :
    Les Français ne se sont pas "jetés" sur ce roi pour le guillotiner ! En effet il s'est passé largement trois années, durant lesquelles les députés de l'Assemblée nationale, ont tenté de faire avancer la Constituante, avec des tractations avec le roi, mais il ne voulait pas accepter ces avancées législatives, mises en place démocratiquement, votées par tous les députés .
    Ce roi ne voulait pas lâcher ses prérogatives de monarchie absolue, il a réellement poussé les gens à bout ! Quant à Marie-Antoinette de son côté elle n'a eu aucune vision pour comprendre l'énormité de ce qu'elle disait, en influençant ainsi le roi..
    Curieusement ce roi falot et terne s'est accroché à sa place, alors qu'il n'aimait pas gouverner, puisqu'il avait fait la réflexion suivante à un ministre, qui venait de lui présenter sa démission :" Quelle chance vous avez, de pouvoir démissionner, moi je ne peux pas !"
    La leçon à tirer de l'Histoire, c'est qu'on ne peut écraser indéfiniment un peuple, tôt ou tard il se relève...

  • Archives de Vigile Répondre

    15 janvier 2010

    Mme. Morot-Sir,
    Votre texte, très éclairant, m’a tout de même fait sourire à quelques reprises ; je m’explique. On parle ici de 1789. Ici au Québec, où, bien sûr en France aussi, nous sommes en 2010 et, même si le décor a changé quelque peu, c’est la même chose qui se passe. Les mieux nantis bloquent tout changement. Pourquoi voudraient-ils risquer de perdre leurs privilèges. Le roi Jean Charest premier, fait ce qu’il veut et change les lois quand celles existantes ne font pas son affaire. Il n’y a pas tant de différences que ça. Votre article est d’une grande pertinence car il apporte, en plus d’une leçon sur l’histoire de France, un éclairage différent sur ce que nous vivons présentement.
    Merci de votre apport.
    Ivan Parent

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2010


    Et si le roi avait eu seulement un peu les pieds par terre, la monarchie française serait devenue parlementaire comme en
    Angleterre après Cromwell. Les nouvelles institutions auraient remplacé les anciennes, éliminées par évanescence, comme au Japon et la France serait entrée de plein pied dans la modernité.
    L'inertie et l'entropie des institutions en place ont tout ruiné et le roi n'avait pas la tête pour en libérer la France. Quant à Marie Antoinette, qui a prononcé des paroles malheureuses, le roi n'avait pas non plus la force de lui clouer le bec.
    Merci pour votre texte brillant Madame Morot-Sir. Très clair et très apprécié.
    JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    14 janvier 2010

    Bonjour Madame
    Cet ordre nouveau républicain, incontournable, a coûté très cher en vies humaines et s'est mal terminé vers 1815: nombreuses exécutions, guerres européennes contre la France et de " l' empereur " Napoléon Bonaparte contre l'Europe.
    Maintenant le républicanisme est répandu partout sur la planète. Merci aux Français - mais aussi aux Américians - . Ce sera bientôt notre tour.

  • Normand Perry Répondre

    14 janvier 2010

    A quand notre grande promenade "expiatoire" et l'instauration de notre République au Québec? A quand notre charte de la laïcité et d'une séparation véritable et légiféré entre le politique et le religieux?
    Pourtant, lorsque nous regardons de près ce cheminement du peuple français jusqu'à l'avènement de la République, force est de constater que plusieurs éléments conducteurs sont bien présent aujourd'hui dans notre propre histoire d'un peuple en marche au Québec.
    Où sont nos LaFayette, Danton et Desmoulins? Où sont-ils? Où sont nos lueurs d'espoir au Québec, alors que plusieurs ici ont l'impression de vivre une période nébuleuse, où l'on sent une révolte gronder dans la populace, comme celle ayant précédé la Révolution du 14 juillet 1789?
    Qui va mettre enfin son poing sur la table et dire ça suffit !