La pièce de Robert Lepage continue de diviser

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La question raciale prend de plus en plus de place dans l'espace public

Au lendemain de la première montréalaise de SLĀV, qui met en vedette la chanteuse Betty Bonifassi, l’heure était à choisir son camp. Si certains ont crié haut et fort au racisme et à l’appropriation culturelle, d’autres ont applaudi à l’oeuvre et appelé au respect de la liberté d’expression.


« Le plus gros show de la programmation du TNM porte sur l’histoire des Noirs, mais racontée et chantée par des Blancs, ça a de quoi indigner », s’offusque l’artiste Lucas Charlie Rose à l’initiative d’un rassemblement de plusieurs dizaines de personnes mardi soir, devant le Théâtre du Nouveau Monde (TNM), pour demander l’annulation du spectacle.


Il faut dire que le choix artistique de SLĀV en a fait sourciller plus d’un, puisqu’il ne compte que deux comédiennes noires dans une pièce inspirée de chants d’esclaves noirs. Pour les manifestants, la question raciale a été complètement évacuée du spectacle, qui témoigne d’un « manque de respect » envers la communauté noire.


« Il faut laisser les gens concernés, les héritiers de l’esclavage, raconter cette histoire, plutôt que de mettre des Blancs en tête d’affiche. Ça ne fait que diminuer et banaliser la profondeur de ces chants », confie au Devoir le chanteur Pierre Kwenders, présent au rassemblement de la veille.


Le Montréalais d’origine congolaise s’est dit interpellé par la production de Robert Lepage, dont le concept le met « profondément mal à l’aise ». « L’esclavage c’est un traumatisme encore présent dans la communauté noire, ça guérit lentement. Là, c’est comme enfoncer un couteau dans la plaie. »


Un avis partagé par Ania Ursulet, la coprésidente de Diversité artistique Montréal (DAM), un organisme qui travaille depuis dix ans sur les enjeux de la diversité culturelle. « Ce sujet n’est pas facile et douloureux, car beaucoup de populations noires en portent encore les stigmates, et il aurait été préférable qu’en amont il puisse y avoir un rapprochement avec [la] communauté [noire] pour essayer de raconter cette histoire ensemble. »


Mme Ursulet insiste sur le contexte particulier qui prévaut au Québec ces dernières années, où de nombreuses voix issues de la diversité se sont élevées pour dénoncer le manque de représentativité de leur communauté dans les productions culturelles québécoises. Elle voit dans SLĀV une occasion manquée de faire appel aux principaux intéressés.


Mais DAM n’encourage pas pour autant un boycottage du spectacle. « On n’est pas là pour brider la production, mais pour inviter les gens à réfléchir. On souhaite mettre l’accent sur le côté inclusif de ce genre de démarche. »


Liberté d’expression


Moins nombreux et remontés que la veille, seule une poignée de manifestants se sont présentés devant le TNM mercredi soir. Quelques prises de bec ont eu lieu avec les spectateurs, sans perturber la première médiatique.


Il faut dire que les critiques acerbes de la veille n’ont pas manqué d’irriter des artistes québécois. Certains manifestants avaient notamment laissé entendre au départ qu’aucun acteur noir ne faisait partie de la distribution.


« J’invite tous les gens qui montent aux barricades par rapport à l’affaire Betty Bonifassi [et] Robert Lepage à reconnaître le fait que quand des membres des minorités ethniques réinterprètent musicalement la culture blanche ; tout le monde trouve sympathique qu’on s’adonne à cet exercice interculturel. Par contre, quand les rôles sont inversés, voici ce qui arrive », a écrit le rappeur Boogat sur Facebook.


« Je pense que ni Robert ni Betty ne sont racistes. […] Robert Lepage est même un des Québécois les plus ouverts sur le monde », a quant à lui assuré Dominic Champagne. L’auteur et metteur en scène, qui signe une lettre dans les pages du Devoir, se dit persuadé que « l’oeuvre est humaniste et se veut avant tout un hommage à la douleur des esclaves et de leurs héritiers ».


Il a ainsi appelé au respect de « la liberté de manifester son opinion » présente au Québec, une société « capable de faire face au choc des cultures ».


« C’est sûr qu’il faut respecter la liberté d’expression et qu’on peut avoir des échanges sur ce sujet. Mais la condition de base est de le faire dans le respect et l’inclusion, sans ça il n’y a pas d’échange, c’est plutôt du vol », explique de son côté la doctorante en anthropologie Émilie Nicolas, qui considère aussi la pièce comme une appropriation culturelle. La militante pour les droits de la personne regrette de voir souvent les artistes issus de la diversité relayés au second plan. « Et quand des oeuvres racontent l’histoire de leur communauté, ils se font voler la vedette par des Blancs. »


> La suite sur Le Devoir.



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