Il y a 20 ans jour pour jour, le Québec feignait d'acquérir son indépendance. A cette occasion, RT France s'est entretenu avec une souverainiste québécoise, spécialiste de l'immigration, qui fait part de son sentiment aujourd'hui.
Le 30 octobre 1995, le Canada a failli éclater et le Québec devenir un pays indépendant lors d'un référendum sur l'avenir constitutionnel de la province francophone, perdu de justesse par les souverainistes.
Ce référendum était organisé par le Premier ministre souverainiste du Québec d'alors, Jacques Parizeau, dont la formation, le Parti québécois, était revenu au pouvoir l'année précédente, après neuf ans dans l'opposition.
Depuis, le mouvement indépendantiste continue à vivre. Régulièrement au pouvoir au Québec, le Parti québécois a été battu en 2014 par des libéraux fédéralistes au cours d'une élection marquée par un symbole fort et décrié : celui du poing levé du milliardaire Pierre Karl Péladeau qui, en débarquant pour la première fois sur la scène politique, promettait de «faire du Québec un pays». Cet ancien patron de presse est maintenant le chef du parti québécois avec l'objectif, une fois de retour au pouvoir, d'organiser un troisième référendum.
Mais vingt ans après le «Non» arraché in-extremis, les Québécois restent toujours ambivalents face à leur avenir. La majorité d'entre eux (64% contre 36%) ne croient pas en la souveraineté, même si 47% estiment que le Québec a la capacité de devenir un pays indépendant, selon un sondage de l'institut CROP publié mercredi dernier dans le quotidien Le Devoir.
Les autres Canadiens, eux, n'éprouvent au mieux qu'indifférence face à cette question du Québec, qu'ils n'ont jamais voulu ouvertement aborder depuis le référendum, mais qui demeure néanmoins entière.
RT France : C'est aujourd'hui l'anniversaire du référendum de 1995 qui avait failli donner au Québec son indépendance. Quel est votre sentiment par rapport à cet événement ?
Tania Longpré (T.L) : Je ne pense vraiment pas que l'on puisse qualifier le 30 octobre 1995 d'«anniversaire» et trouve très dommage qu'on utilise ce terme. Un anniversaire, c'est quelque chose de joyeux où l'on se souvient de choses heureuses. Certes, c'était un très bel exercice de Démocratie. Mais vu les retombées sur la société québecoise, je ne vois pas en quoi nous devrions être contents. Cela a scindé nos relations avec les Canadiens anglophones ? D'accord. Mais pour les souverainistes comme moi, c'est une journée de deuil, un jour funeste dont on n'aime pas vraiment se souvenir.
RT France : Qu'en est-il vingt ans après ? Les Québecois croient-ils encore à l'indépendance ?
T.L : Tout d'abord, il faut savoir que pratiquement rien n'a changé. Les fédéralistes canadiens avaient promis aux Québécois plus de pouvoir de décision, plus d'autonomie et de liberté de choix politique. Mais à part reconnaître que le Québec est une société 'french', rien de concrêt ne s'est passé. On a fait tout un libélé sur le Québec, fait plein de promesses, mais on ne lui a finalement rien donné.
Aujourd'hui, les souverainistes comme moi se trouvent dans un état complétement cynique. C'est bien beau d'avoir des partis politiques indépendantistes qui font des discours sur un troisième référendum, mais je constate que dans les faits, les gens abandonnent et n'ont plus grand chose à quoi se raccrocher. C'est comme si, en vingt ans nous avions perdu à la fois les avantages du «Non» et les avantages du «Oui». C'est une sorte de vide. Cette semaine, nous les souverainistes sommes tous un peu ébranlés. Pas tant dans nos convictions que dans notre réalisme.
RT France : Quelle est aujourd'hui la proportion de Québecois qui seraient prêts à dire «Oui» dans le cas d'un référendum sur l'indépendance ?
T.L : C'est le même ratio depuis des années. Grosso-modo on stagne à 60/40 [de «Non/Oui»]. Les chiffres n'augmentent pas. C'est comme s'il n'y avait aucun renouveau générationnel. Je suis encore jeune et j'ai l'impression que les personnes de génération au-dessus, qui avaient mon âge en 1995, préfèrent se consacrer à d'autres débats plutôt que celui qui leur tenait pourtant tant à coeur à l'époque.
RT France : La désignation du nouveau Premier ministre canadien Justin Trudeau, francophone, n'annonce-t-elle pas de possibles changements favorables à un Québec plus autonôme ?
T.L : J'ai hâte de voir s'il va effectivement faire quelque chose de concrêt pour le Québec car, mis à part sa pique contre [Stephen] Harper [Justin Trudeau avait dit lors d'un débat en 2012 au cours duquel il critiquait la politique du Premier ministre Stephen Harper, qu'un Canada trop à droite pourrait l'inciter à «faire du Québec un pays» NDLR], il n'en a quasiment pas parlé durant la campagne électorale. Et de toutes façons, chez les souverainistes, Trudeau est la personne dont on veut le moins entendre parler. Pour nous c'est «le fils de l'autre» [en référence à son père, Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre du canada de 1980 à 1984 qui, malgré son caractère flamboyant et intellectuel qui servit à rehausser la visibilité du Canada sur la scène mondiale, est très peu apprécié des souverainistes québécois qui lui reprochent son implication dans de nombreux scandales s'attaquant aux mouvements indépendantistes NDLR]. On ne voit pas ce qu'il pourrait apporter de bien au Québec, d'autant plus qu'il est très centralisateur, alors que Harper, dont je ne suis par ailleurs pas fan, était plutôt du genre à laisser davantage de place aux provinces.
RT France : Politiquement, comment se placent les Québécois moyens ? Qu'en est-il de leur participation à la vie politique au niveau fédéral ?
T.L : Dans tous les cas, je constate que les Québecois ne s'intéressent plus vraiment à la politique canadienne depuis des années. On suit les élections bien évidemment, mais il n'empêche qu'on se comporte comme si on était un pays à part entière, même si ce n'est pas le cas. Lorsqu'on parle à un Québecois des élections fédérales, il se braque, cela ne lui dit rien, il ne s'intéresse qu'à ce qui se passe au Québec. En fait, la majorité des Québécois se comportent comme s'ils étaient indépendants, dans leur propre pays, alors qu'ils font partie du Canada. Evidemment, on vote quand même aux élections fédérales. Pour ma part, je suis membre du Bloc québecois [parti souverainiste à Ottawa] et je considère que ce n'est qu'à travers ce parti que mon vote a une valeur, un sens.
RT France : En Europe, les récents référendums écossais et catalan ont montré un fort sentiment régionaliste dans ces territoires qui se revendiquent par ailleurs tout à fait aptes à avoir un Etat prospère. Qu'en est-il du Québec ? La province pourrait-elle subsister sans avoir besoin du Canada ?
T.L : Nous n'avons aucun doute là-dessus. Ce qui est frappant, c'est que même les fédéralistes ne le nient pas. Jean Charest, qui était Premier ministre du Québec de 2003 à 2012, a toujours dit que le Québec était tout à fait capable d'assumer son indépendance au niveau économique. Même Stephen Harper a dit plusieurs fois que le Québec avait les moyens d'être un pays, mais qu'il n'y avait aucun intrérêt à cela pour des raisons essentiellement idéologiques. Le Québec est plein de ressources. Dans un sondage récent, on a pu constater qu'en cas d'indépendance, on se trouverait parmi les 20% de pays les plus riches du Monde. Le PIB par habitant, au Québec, nous situe au même niveau que la France, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, la Nouvelle Zélande et le Japon. Je suis convaincue qu'en payant un seul impôt et une seule taxe, on serait capable d'en faire bon usage.
RT France : En tant que spécialiste de l'immigration, vous fréquentez quotidiennement de nouveaux arrivants au Canada. Quel est leur ressentis vis-à-vis du Québec ? Comprennent-ils le sentiment souverainiste de leur province d'accueil ?
T.L : J'évite de mélanger la politique et mon travail. Je m'occupe de la francisation des immigrés et il est probables que certains puissent sentir que j'ai un certain parti-pris au niveau politique. Mais je pense qu'il faut laisser aux gens la possibilité de faire leurs propres chox, d'avoir leurs propores opinions sur la question. Ce que je trouve dommage, c'est qu'à leur arrivée à l'aéroport de Montréal, les immigrés sont accueillis dans une vision majoritairement fédéraliste. On leur donne des drapeaux canadiens, leur fait écouter l'hymne du Canada, le tout en omettant volontairement de préciser que le Québec a lui aussi une identité propre. Mais, si les autorités québécoises faisaient un travail plus poussé dans cette représentation d'identité, les immigrés pourraient mieux comprendre la situation et cela leur permettrait de tirer leur propres conclusions et avoir une vision objective.
RT France : Beaucoup de Français vivent et travaillent au Québec. Quelle visions ont-ils du sentiment souverainiste québecois ?
T.L : Je dirais que c'est 50/50. C'est vrai que de nombreux Français constatent en arrivant qu'il y a effectivement un fort sentiment d'indépendance au Québec. Généralement ils respectent cela. Mais encore une fois, il me semble que les Français ont tout de même une vision plutôt fédéraliste. il n'y a qu'à voir les émissions françaises culturelles et de débats auxquelles les Québecois ont accès via les chaînes de télévision internationales : à chaque fois qu'on y parle de Montréal ou du Québec en général, on entend «au Canada, les Canadiens». Alors que logiquement, il faudrait dire «au Québec, les Québecois».
RT France : En ce jour du 30 octobre, qu'avez vous fait ? Avez vous participé à des actions spécifiques ?
T.L : En fait, j'ai eu un accrochage en voiture (rires)! Plus sérieusement, nous avons participé avec des amis à une collecte de fonds pour un organisme qui finance une revue qui publie des textes et des chansons sur l'indépendance. Ce soir, nous allons nous retrouver entre indépendantistes et tenter d'oublier le 30 octobre (rires).
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