L’enregistrement téléphonique effectué en catimini par l’ancienne ministre Jody Wilson-Raybould et rendu public vendredi a raison de la solidarité libérale. Un nombre grandissant de ses collègues disent avoir perdu confiance en elle et demandent son expulsion du caucus.
« Jody Wilson-Raybould ? Elle devrait être partie. Partie. Elle devrait être partie il y a longtemps », lance sans ambages le député Wayne Easter, qui a été ministre sous Jean Chrétien. La ministre Patty Hajdu (Emploi) n’est pas beaucoup plus tendre. Elle estime que l’enregistrement « est contraire à l’éthique et trompeur ». « Personnellement, je ne me sens pas à l’aise avec un collègue qui pourrait m’enregistrer à mon insu. »
Le député torontois Rob Oliphant affirme de son côté avoir « perdu con-fiance » autant en Mme Wilson-Raybould qu’en Jane Philpott. Cette dernière a quitté le cabinet en se disant elle aussi incapable d’approuver les gestes du premier ministre et de son entourage pour convaincre l’ancienne ministre de la Justice d’établir une directive enjoignant à la Directrice des poursuites pénales (DPP) de négocier un accord de réparation avec SNC-Lavalin plutôt que de déposer des accusations criminelles.
« J’espère que le caucus se rencontrera rapidement et je soupçonne qu’il sera d’un même avis, à savoir qu’on ne veut pas avoir des gens dans le caucus qui n’ont pas confiance dans le gouvernement », explique M. Oliphant. Le député John McKay estime lui aussi que les deux femmes doivent quitter la famille libérale, tout comme le pense la Montréalaise Alexandra Mendès. « Quelqu’un qui vous enregistre à votre insu, vous ne pouvez pas lui faire confiance », dit-elle.
Le sort de Mmes Wilson-Raybould et Philpott sera scellé sous peu, probablement à la réunion hebdomadaire du caucus de mercredi. Si plusieurs députés avaient jusqu’à présent défendu la présence des deux femmes au caucus, au nom du respect de la diversité de points de vue, leur indulgence a été copieusement entamée par la diffusion de l’enregistrement subreptice. Dimanche, les présidents des caucus régionaux se sont entretenus par téléphone avec le président du caucus national pour lui présenter un rapport sur l’état d’esprit de leurs troupes respectives. Ils devaient se rencontrer en personne en soirée lundi pour faire le point.
Les règles en place au caucus libéral ne donnent pas aux députés le pouvoir d’expulser eux-mêmes un collègue par vote. Un tel vote peut avoir lieu, mais à titre consultatif. La décision demeure celle du chef. En coulisses, on prédit qu’un tel vote sera tenu de manière à ce que le premier ministre n’assume pas seul la responsabilité d’éventuelles expulsions. Interrogée par le réseau Global, Mme Wilson-Raybould a indiqué qu’elle ne partirait pas d’elle-même. « Pourquoi est-ce que je démissionnerais ? Je fais simplement mon travail au mieux que je le peux. »
Vendredi, Mme Wilson-Raybould a rendu publiques des copies d’échanges électroniques prouvant, à son avis, qu’elle a fait l’objet de pressions politiques « inappropriées » pour qu’elle intervienne dans la cause SNC-Lavalin. Au nombre de ces preuves se trouve l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, enregistrement fait à l’insu de ce dernier.
On y entend l’ancienne ministre réitérer à au moins cinq reprises les principes légaux qu’elle dit défendre en refusant d’intervenir. M. Wernick rétorque à quatre reprises que la loi l’autorise à donner des directives à la DPP et que le premier ministre ne comprend pas l’entêtement de sa ministre à ne pas se servir de ce pouvoir. Plusieurs députés libéraux estiment que cet enregistrement est inapproprié. Certains vont jusqu’à y voir un piège conçu par l’ancienne ministre pour bien paraître et pour noircir le portrait de l’entourage de M. Trudeau.
« Pour moi, c’est inacceptable », lance la ministre Diane Lebouthillier (Revenu), qui dit ne plus avoir confiance en ses anciennes collègues. Pour sa part, Mélanie Joly (Tourisme) estime que « ce sera à elle [Jody Wilson-Raybould] d’expliquer en quoi elle trouve que c’était éthique. Parce que, comme avocate, elle a une obligation de se conformer à des règles d’éthique qui sont plus importantes que la moyenne ». Son collègue Marc Garneau (Transports) affirme de son côté avoir été « bouleversé ». Enregistrer une conversation à l’insu de son interlocuteur « est un acte complètement inapproprié, dit-il. Et ce n’est pas une chose honorable à faire ».
Piège ?
Le député montréalais Marc Miller qualifie l’enregistrement secret de « répugnant ». « Les tribunaux les acceptent comme preuve, mais avec un certain scepticisme, particulièrement quand c’est à sens unique, car il y a une possibilité pour une des parties d’arranger la preuve, consciemment ou pas. » Rob Oliphant croit justement que la chose a été faite consciemment.
J’ai l’impression que c’était arrangé, que c’était une mise en scène presque destinée à piéger le greffier du Conseil privé.
« J’ai l’impression que c’était arrangé, que c’était une mise en scène presque destinée à piéger le greffier du Conseil privé. Et à mon avis, c’est inapproprié et ce n’est pas quelque chose que je voudrais qu’aucun membre de notre caucus fasse. C’est pour cela que le temps est venu pour nous d’agir. »
En coulisses, des stratèges vont jusqu’à penser que l’enregistrement prouve que Mme Wilson-Raybould a prémédité de longue date sa sortie contre le gouvernement et que ses déclarations publiques et celles de Mme Philpott ont été sciemment espacées dans le temps pour en maximiser l’impact négatif. Si Mme Wilson-Raybould estimait inapproprié d’avoir une conversation avec le greffier, explique une de ces personnes, elle aurait pu lui dire (ce qu’elle a fait) puis raccrocher. « À la place, elle a mis une trappe et elle a mis du fromage dedans. »
Du côté conservateur, au contraire, on estime que l’enregistrement était nécessaire. « Si Justin Trudeau expulse ces dénonciatrices courageuses, ce sera une preuve de plus d’un camouflage. Et cela démontrera à quel point ce gouvernement est corrompu », a dit le député Pierre Poilièvre. Les conservateurs exploiteront une fois de plus la procédure parlementaire. Après avoir imposé un marathon de votes de près de 30 heures il y a deux semaines, ils accapareront cette semaine le débat budgétaire en faisant parler M. Poilièvre sans discontinuer.