La nation québécoise et le Canada

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois


Le Québec est-il une nation ? Question débilitante si on la prend au premier degré, ce que plusieurs ont fait avant les fêtes lorsque Stephen Harper, voulant couper l’herbe sous le pied du Bloc québécois à la chambre des communes, a reconnu que les Québécois forment, et je cite, « une nation dans un Canada uni ».
Pour certains, la question est un truisme, une évidence primaire, une réalité historique, sociale et culturelle que personne ne peut objectivement nier. Parmi les tenants de cette interprétation, il y a une majorité de Québécois. Pour d’autres, cette déclaration place leur conception du Canada en réelle position de danger et de faiblesse, parce qu’on considère, à tort ou à raison, que l’égalité des provinces est menacée, d’une part (ce qui affaiblirait le contrôle de la majorité anglophone), et que la notion de nation doit s’appliquer exclusivement au pays existant, d’autre part, ce que nie la réalité des Catalans et des Écossais, lesquelles nations ont été reconnues respectivement par l’Espagne et l’Angleterre, deux pays souverains.
La nation, concept politique obsolète ?
Croyant personnellement que la reconnaissance de la nation québécoise était un fait culturel, historique et politique avéré, je fus surpris que celle-ci arrive par Stephen Harper lui-même, un « redneck » historiquement hostile aux francophones (revisiter, à ce sujet, les campagnes électorales du défunt parti « allianciste » dont Harper était une figure de proue). Ce qui fut surprenant est la réaction publique de Justin Trudeau, fils de l’ancien premier ministre canadien et pionnier du postmodernisme au pays, Pierre-Elliott Trudeau. En continuité avec la philosophie atomiste que son père a défendue durant toute sa carrière en politique active, Justin affirma en novembre 2006 que : « le concept de nation est périmé et doit être combattu avec férocité ».
Si vous permettez, je débuterai ma critique du nationalisme « trudeauiste », lequel trouve ses fondements dans la charte canadienne des droits et libertés, en replaçant la sortie de l’héritier Trudeau dans son contexte historique, tout en remettant en question sa conception étroite et réactionnaire du concept de nation.
Étymologiquement, le mot nation vient du latin natio et est apparu vers 1160 en Occident. Désignant, sur un plan générique, un groupe d’hommes aux origines communes, ce terme, dans son sens moderne, se détache de son homogénéité biologique pour inclure la notion plus vaste d’appartenance commune à une terre, une histoire, des valeurs, une communauté politique et une volonté de vivre ensemble, donc culturelle et politique.
Le nationalisme, par extension, instrumentalise la nation de deux façons dans l’Histoire. D’abord dans sa conception traditionnelle allemande, le nationalisme est ethnique, c’est-à-dire qu’il est fondé sur le lien du sang ou de l’ascendance familiale [1]. Ensuite, dans sa conception civique, il rejette l’origine ethnique comme fondement de la nation pour adopter, en contrepartie, la notion de citoyenneté [2]. Concrètement, le citoyen qui adhère aux valeurs communes, aux normes et aux institutions politiques fait partie de la nation. Cette position est celle que défend le Parti québécois depuis sa fondation, en 1968.
Au regard de l’Histoire, le nationalisme a accouché de plusieurs États-nations qui font office de référence à l’homme civilisé. Des nations telles que la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Espagne ont historiquement développé une vision féconde et originale de la politique, de la culture et de la civilisation universalisante, et ce, malgré un passé colonial gênant. La nation permet, ultimement, une cohérence sociale, culturelle, historique et politique (le « vouloir vivre ensemble ») qui renforce la solidarité collective d’un groupe social et culturel plus ou moins hétérogène.
En revanche, la vision « trudeauiste » de la nation se réfère trop exclusivement au national-socialisme allemand, au fascisme italien du « Duche », aux thèses de Gobineau et Chamberland, deux sophistes qui, au XlXe siècle, prétendaient scientifiquement à la supériorité de « l’homme blanc » (races indo-européennes) sur les races dites « inférieures » (négroïdes, mongoloïdes, etc.).
Au Québec, il y a une société historique qu’on désignera originellement comme canadienne-française. Cette communauté, appelée aujourd’hui québécoise, est apparue au XVIIe siècle en Nouvelle-France, un siècle et demi avant la conquête anglaise de 1759. Homogène et dominé par une philosophie d’ancien régime - avec le clergé catholique comme classe dominante, la classe bourgeoise étant exclue des cercles du pouvoir après 1763, alors que l’aristocratie fortunée retourne en France - le Québec installe ses valeurs sur le territoire, son mode de vie rural, sa piété, sa langue et sa religion, tout en occupant progressivement l’ensemble du territoire au sud de la baie de James [3].
Dans les années 60, le Québec modernise son économie pour en prendre davantage le contrôle, entre politiquement dans la modernité avec des institutions qui symbolisent le progrès, l’égalitarisme, la liberté (de conscience, d’expression, etc.), la démocratie, la raison, la laïcité et les droits de l’homme. L’Église, autrefois maîtresse de l’instruction publique et des consciences, des affaires sociales et de la santé, est discréditée et reléguée à l’espace privé. De vivante, la mémoire historique du Québec devient un objet de référence culturel, une trace de notre personnalité collective et individuelle (valeurs résiduelles de notre judéo-christianité).
Devenue pluraliste et cosmopolite pour des raisons essentiellement démographiques, économiques et humanitaires, le Québec doit dorénavant composer avec des cultures - et des mémoires collectives - étrangères à sa tradition, sa culture et sa propre mémoire. Autrement dit, la nation québécoise, moderne et inclusive, doit pour continuer de vouloir vivre ensemble dans sa nouvelle diversité, assimiler minimalement les nouveaux arrivants pour assurer sa cohérence. Par assimilation, on parle ici de langue, de soumission aux principes fondateurs des institutions politiques occidentales, des mœurs, de la mémoire collective ainsi que des valeurs fondamentales du pays d’accueil.
Le Canada, philosophie atomiste ou holiste ?
De cette réalité sociologique, culturelle et historique doit émerger un nationalisme, dit Justin Trudeau, exempt de références ethniques. Entièrement d’accord avec lui. Seulement, contrairement à ses prétentions, le nationalisme québécois est, dans le discours et dans les mœurs, davantage culturel et civique qu’ethnique. L’amalgame primaire qu’il fait tient exclusivement entre nationalisme et ethnie, entre le passé violent d’un certain nationalisme associé au fascisme italien et allemand et quoi ?. Il néglige de mentionner l’aspect le plus fondamental et positif du sentiment national qu’est l’aspiration légitime (son existence) d’une collectivité humaine au regard de l’Histoire, ses valeurs communes et sa capacité à faire évoluer, par une contribution originale, le devenir humain dans sa plus grande diversité.
Au Canada, la langue commune est, dans la réalité quotidienne, l’anglais depuis le début de la confédération [*]. Les francophones, présents partout au XIXe siècle, ont été victimes d’un génocide culturel en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Ontario jusqu’à ce que P.-E. Trudeau tente d’imposer, par une loi, le bilinguisme officiel dans les institutions politiques canadiennes, en 1968. Loi qui n’a pas modifié la dynamique sociologique et culturelle de façon satisfaisante pour les Québécois et les autres francophones du pays.
L’atomisation dogmatique que Justin Trudeau défend est une dangereuse chimère pour la survie du Québec. Le « nation building » est un leurre dont le seul bénéficiaire est le Canada anglais. Il contrôle le discours, le pouvoir symbolique et effectif, impose une atomisation (diviser pour régner) sous l’égide de leur langue et de leurs valeurs, le multiculturalisme, à l’intérieur duquel on enferme les Québécois, ne reconnaît nullement la réalité historique, nationale et culturelle de ce peuple presque quatre fois centenaire en terre d’Amérique. Pour des considérations idéologiques et culturelles, on refuse légalement (dans la constitution) de reconnaître la contribution exceptionnelle du Québec dans l’identité canadienne, laquelle tend d’ailleurs à se définir de plus en plus à l’extérieur du Québec.
D’ailleurs, le concept de nation possède, en anglais, un sens patriotique qui englobe tous ses citoyens, sans considération pour l’Histoire et sa spécificité. Il en va ainsi des nations dominantes dans le monde. C’est une des raisons pour lesquelles le Canada anglais s’oppose à la reconnaissance du Québec comme nation. Justin Trudeau, en niant le nationalisme d’affirmation [4] des Québécois dans un Canada traditionnellement hostile aux revendications collectives du Québec, fait le jeu du nationalisme de domination [5] que le Canada anglais cherche à imposer au Québec par le « nation building » précédemment cité. Parce qu’au-delà de la négation politique et culturelle des traits collectifs québécois, il néglige de pointer du doigt le nationalisme englobant qui domine au Canada, lequel, sous de faux airs postmodernes, prône une vision nationale holiste de l’égalitarisme entre les provinces (une notion caduque dans un régime fédéral où les partenaires sont libres de reconduire leur entente avec le gouvernement de la fédération) [6] au profit de sa seule grandeur. Hypocrisie qu’il faut toujours dénoncer.
La nation, pour vivre et s’épanouir, exige impérativement la reconnaissance de ses partenaires. Autrement, cette dynamique l’enferme dans un tribalisme régressif. Mais, contrairement aux prétentions de l’héritier Trudeau, ce n’est pas le nationalisme québécois qui se tribalise, mais bien la marginalisation - j’allais dire l’indifférence, le mépris et la négation historique, philosophique et culturelle de la nation québécoise - par le groupe majoritaire « canadian », lequel se rend responsable de la perception et, dans une certaine mesure, de la dynamique de crispation nationaliste qu’on retrouve au Québec. Les idéologues de la thèse atomiste doivent prendre bonne note de cette réalité.
En ce qui a trait à la motion de Stephen Harper, elle n’a qu’une valeur symbolique sans conséquences politiques pour la protection et la reconnaissance historique de la réalité québécoise dans l’ensemble canadien, tout en faisant un calcul politique qui mise sur le double objectif suivant : ne pas s’aliéner une base électorale anglophone réfractaire à la moindre reconnaissance effective (légale) du Québec ; grignoter des votes au Québec. Est-ce un pas dans la bonne direction ou une chimère de plus dans le « nation building » à la « canadian » ?
*. Bourgeois, Patrick, Le Canada, État colonial, éditions du Québécois, Montréal, 2006.
1. Monière, Denis, Pour comprendre le nationalisme, au Québec et ailleurs, Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2001, p.11
2. Ibid, p. 12
3. Bouchard, Gérard, La pensée impuissante, Boréal, Montréal, 2004
4. Monière, op.cit., p. 13-14
5. Ibid
6. Dufour, Christian, Lettre aux souverainistes québécois et aux fédéralistes qui sont restés fidèles au Québec, Stanké, Montréal, 2000.


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