La ministre qui tire à boulets rouges

Chronique d'André Savard


Après les passages désastreux de Pierre Reid et de Jean-Marc Fournier en éducation, ce dernier demandant d’être plus justement nommé le “ministre des loisirs et des sports”, Jean Charest espérait une ministre qui se fasse discrète. Michèle Courchesne était réputée pour s’éviter les premières pages des journaux. Dans les critères du parti Libéral, on appelle ça un “parcours sans faute”.
Si la culture politique consiste à lire les journaux et à se rappeler relativement de leur contenu, cela peut en effet passer pour un parcours sans faute. Dans les milieux mêmes de l’éducation, les critères s’affinent cependant. On s’attend à ce que la ministre ait un minimum de connaissance en enseignement.
Le 24 octobre dernier, Michèle Courchesne a accordé une entrevue à l’émission Les Francs-Tireurs. L’émission est animée par deux individus extrêmement populistes, Lagacé et Martineau. Aucun de ces animateurs ne jugea bon de s’exercer quelque peu à un travail de recherche préalable. Ils attribuèrent à la réforme pédagogique l’abandon de l’ancienne orthographe. La ministre, aussi ignorante, ne parut pas avisée du fait que le ministère n’était pas l’auteur d’un projet de réforme de l’orthographe ou d’un plan d’abandon de la dictée.
Au cours de l’entrevue, Lagacé présente son incompréhension totale de la réforme pédagogique à une ministre si ignorante elle-même qu’elle ne peut qu’opiner à tout ce qu’il dit: “Mais cette réforme-là... dit Lagacé, tu sais, c’est comme du jello. Tu sais, du jello, c’est facile à manger. J’ai l’impression qu’on a décidé que l’enseignement ça va être facile. Ça allait être facile pour les enfants. La, ça sort de votre ministère: la réforme va modifier l’orthographe des mots. Chauve-souris: il n’y a plus de trait d’union. Connaître: on n’est plus obligé de mettre l’accent circonflexe, non plus que sur coûter, sur flûte, ou île”.
Michèle Courchesne avala le propos de Lagacé comme parole d’évangile sans rectifier. Il y a bien eu des propagandistes d’une standardisation de l’orthographe un peu partout, en Europe comme au Québec. Heureusement, leurs objectifs touchant l’enseignement de l’orthographe ne furent jamais partagés par l’ensemble des pédagogues employés par le ministère.
La semaine où Michèle Courchesne accordait son interview, les journaux avaient fait ample écho aux propos d’une responsable de la Commission Scolaire de Laval qui prônait l’abandon de la dictée comme instrument de vérification de l’orthographe. Hâtivement, Lagacé insinue que ces initiatives tirent leur source des “comités, puis de comités paritaires, puis des tables de pilotage, qui ont décidé que chauve-souris, si un élève avait envie de l’écrire sans trait d’union, c’était correct.”
La ministre Courchesne appuie Lagacé qui accuse “la machine qui accouche de ça” et qui y voit un complot des fonctionnaires. “Pour être ministre dans ce ministère, dit alors Michèle Courchesne, ça demande beaucoup, beaucoup d’énergie pour... Il faut vouloir affronter... Il faut vouloir non seulement challenger, mais il faut vouloir être contre; puis envers et contre tous, là.”
Michèle Courchesne prête à la réforme pédagogique des intentions extrêmes. Le professeur devra descendre de sa chaire et se transformer en accompagnateur. Le professeur ne devra plus être en avant et ne plus transmettre des connaissances.
Or ni la réforme de l’orthographe, ni l’abandon de cours magistraux au profit de travail en équipes compte dans le programme pédagogique. Le problème commence lorsque des phrases comme “il n’y a pas que la dictée” ou “il est important de travailler en équipe” deviennent des slogans. Ils finissent par avoir une portée dans la pratique qui n’a rien à voir avec l’intention initiale.
La ministre Courchesne tient ouvertement ses fonctionnaires responsables de cette psychose qui consiste à adopter des moyens pédagogiques exclusifs et tenir tous les autres moyens d’enseignement à l’écart. Elle dit de ses fonctionnaires: “On peut pas tous les sacrer dehors. Parce qu’ils ont des conventions collectives et ils ont une sécurité d’emploi qu’on respecte. Mais on peut... On peut les réunir, par petits groupes, puis on peut... comme je vous dis, c’est la méthode du petit pas. On peut pas tout faire dans le même mois, c’est impossible. C’est trop gros”.
Et Courchesne ajoute: “On essaie de voir... Avant d’abolir quelque chose, il faut comprendre pourquoi on l’abolit.”
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En fait, la réforme ne prônait pas une approche pédagogique exclusive. Il n’y était pas question de prohiber le « prof en avant de la classe ». Il n’a jamais été question non plus de remplacer la “transmission des connaissances” par “les compétences transversales”.
La ministre Courchesne semble croire par ailleurs que la réforme a inventé les compétences transversales. Quand elle pense cela, elle n’est pas plus intelligente que Pôpa dans l’émission La Petite Vie, qui parlait de “Simon Freud, celui qui a inventé les maladies mentales”.
Les compétences transversales ne sont pas une invention des hauts fonctionnaires. Si vous enseignez à un étudiant en médecine de quels organes se compose le système digestif, il devra associer ces connaissances avec des notions de chimie organique et de dynamique des fluides. Opérer dans la pratique une synthèse entre des savoirs théoriques, c’est une aptitude que l’enseignant doit aider à développer chez l’élève. Un médecin sans compétences transversales tuerait son patient vite fait.
Toute connaissance pour être retenue doit être assimilée à une conception générale du monde. Il n’y a pas de réceptivité sans compétences transversales. Si le terme dérange, c’est en raison du côté hyperdémocratique que prend le débat sur l’éducation chez nous. Que la nomenclature soit spécialisée n’implique pas nécessairement qu’elle soit un tissu d’abstractions vides.
Lagacé croit que les compétences transversales produisent une génération d’épais. On assiste alors à ce dialogue fort révélateur:
COURCHESNE: Bien... voilà. Alors, je disais pas “des épais”, là...
LAGACÉ: Bien vous... vous êtes politicienne; vous pouvez pas. Moi, je vais le dire.
COURCHESNE: Mais moi, je vais vous le dire que oui, c’est extrêmement sérieux et qu’il faut vraiment se pencher là-dessus et que ça me préoccupe énormément. C’est cette réflexion que vous me faites, je peux vous dire que je me la fais à moi aussi...
LAGACÉ: J’ai dit: des épais.
COURCHESNE: ... et que ça me préoccupe énormément. D’ailleurs, c’est pour ça qu’il y en a beaucoup, beaucoup qui vont aussi à l’école privée, hein.
L’ennui dans l’analyse de madame Courchesne, c’est que la réforme pédagogique est tout autant appliquée dans le secteur privé. On n’essaie pas moins de développer des compétences transversales dans le secteur privé et on n'y encourage pas moins l’enfant à personnaliser des projets éducatifs. Si la réforme donne des bons résultats par endroits, n’y aura-t-il pas lieu que la ministre Courchesne cesse de tirer à boulets rouges sur ses fonctionnaires? Pourrait-elle supposer que l’éducation n’est pas qu’un système global? Il importe de savoir ce que certains appliquent et ce d’autres appliquent peut-être trop ou pas assez?
Avant de vouloir abolir la réforme, ne devrait-elle pas écouter tous ceux qui disent que cette réforme s’est transformée en son contraire?
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D’une part, Courchesne prend ses distances par rapport aux compétences transversales comme s’il s’agissait d’une lubie de la modernité à effacer tout de suite. Ensuite, elle traîne dans la boue ses fonctionnaires pour des décisions qu’ils ont subies :
LAGACÉ: ... à trop nuancer... à trop nuancer, on accouche de compétences transversales.
COURCHESNE: Non, mais je pense que depuis six mois, j’ai accouché de pas mal d’autres choses que des compétences transversales.
Juste avant, la ministre Courchesne insistait sur l’importance de ne pas doter uniquement les élèves de connaissances mais aussi d’un bon système des valeurs. Ramener ses connaissances aux bases d’une bonne conception du monde, c’est une compétence transversale. C’est justement pour éviter que le pédagogisme devienne un Isme intégral, un système qui poursuit sa propre cohérence au lieu d’éduquer l’enfant, que la réforme a vu le jour.
Le problème c’est que le travail explicatif est mal fait. Tout le monde veut se l’expliquer lui-même en développant des pédodogues chargés de pousser plus strictement la formule que ne l’oserait le simple pédagogue. Inutile d’écouter les autres, tous ces foireux, l’important c’est l’autonomie des écoles sous la supervision du pédodogue le plus armé par l’esprit de système, des commissions scolaires, de la ministre elle-même, tous pris dans un processus de négation par rapport aux pédagogues et aux fonctionnaires accusés de tous les maux.
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Michèle Courchesne continue d’agonir ses hauts fonctionnaires même pour des mesures qui sont sorties tout droit du tonneau de son parti politique:
LAGACÉ: Au printemps de l’année passée...
COURCHESNE: Oui.
LAGACÉ: ... vos fonctionnaires...
COUCHESNE: Oui.
LAGACÉ: ... il y a un comité, ou je ne sais pas quoi, une table de pilotage, qui a décrété qu’on allait un peu gommer... qu’on allait pas trop parler des différences entre les Français puis les Anglais - rapatriement de la Constitution, Conscription, etc.
COURCHESNE: Inacceptable. Inacceptable.
LAGACÉ: Vous trouvez ça inacceptable?
COURCHESNE: Oui.
Il y a lieu de se réjouir que Michèle Courchesne exprime sa dissidence par rapport à ce plan de Pierre Reid et Jean-Marc Fournier. La simple honnêteté l’obligeait à noter qu’il est directement attribuable à tous ces penseurs de l’isme qui voulaient propager les pures conceptions fédéralistes canadiennes : un savoir en parfaite conformité avec la citoyenneté canadienne. Elle préféra rester silencieuse sur le fait que lors de l’imposition de cette mesure, ses fonctionnaires se bouchaient le nez.
LAGACÉ: Si ces fonctionnaires-là - vos têtes de cochon - se sentent le droit de produire des rapports semblables, c’est parce que la culture dans laquelle ils évoluent…
COURCHESNE: Oui.
LAGACÉ: ... c’est du n’importe quoi.
COURCHESNE: Mais je vous dirais qu’une seule personne peut pas faire tout le travail. Ça prend un travail d’équipe, ça prend une volonté, ça prend une rigueur, encore une fois; puis ça prend du gros bon sens et du jugement.
Les pédagogues et les fonctionnaires apprennent par la bouche de la ministre qu’ils ont toujours été contre le développement de l’enfant. Ils croyaient toujours avoir été pour. La ministre ne veut plus des types savants qui bossent au ministère. Elle veut faire un grand boum:
COURCHESNE: Et ça, on s’est perdu dans les structures, on s’est perdu dans les réformes, on s’est perdu dans les approches pédagogiques, on s’est perdu dans beaucoup, beaucoup de choses. Et là, ce que je souhaiterais, c’est qu’on ait, comme je le disais tout à l’heure, un seul leitmotiv: l’enfant.
LAGACÉ: Excellente idée. Donc ... tuez-la donc la réforme.
COURCHESNE: Ha! Ha! Ha! Je vous dirai pas ça aujourd’hui. J’aimerais ça, vous le dire aujourd’hui.
Voilà une ministre qui, faute de comprendre, blâme ses fonctionnaires et juge que le mieux serait de remettre l’enseignement au niveau de l’enfant. Elle est en train de prouver qu’elle a l’étoffe de l’emploi.
André Savard


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