Il s’appelle Keith Ellison. Il est le premier musulman élu au Congrès, à Washington, et siège sous l’étiquette démocrate. Lors de son élection en novembre, il a déclaré vouloir prêter serment sur le Coran. C’est ce qu’il a fait, le 4 janvier, à l’occasion d’une cérémonie privée où il a posé sa main gauche sur un exemplaire du Coran ayant appartenu au troisième président américain, Thomas Jefferson. Son geste a déclenché une vive controverse. Le caractère vicieux des attaques montre à quel point la guerre contre le terrorisme semble dériver vers la guerre contre l’islam.
Le député ne pouvait imaginer provoquer une telle fureur. Tous les membres du Congrès prêtent serment en groupe, sans livre religieux. Puis, lors de cérémonies privées, la plupart jurent fidélité à la Constitution sur le Nouveau Testament, certains législateurs juifs sur l’Ancien. Personne n’y trouvait à redire jusqu’à ce que Keith Ellison annonce ses couleurs. Des républicains se sont demandé : "Lui serait-il permis de prêter serment sur le Mein Kampf de Hitler, la bible des nazis ?" Un chroniqueur à CNN a demandé au député de "lui prouver qu’il ne travaillait pas pour l’ennemi", faisant ainsi référence aux terroristes islamistes.
La charge n’a rien de surprenant. Les attentats du 11 septembre 2001 ont déclenché une guerre contre le terrorisme où toutes les cibles sont essentiellement musulmanes. Depuis six ans, aux États-Unis et ailleurs, l’islam est pris à partie par des intellectuels, des prédicateurs et des politiciens, et accusé d’être une religion immorale, facteur de haine et de violence. En retour, cette croisade est alimentée par les discours outrageux et les actions violentes de membres de groupes terroristes, de personnalités religieuses et même de chefs d’État, comme le président iranien, tous de confession musulmane. Cet enchaînement infernal a créé une atmosphère délétère où le musulman devient suspect, et, pire encore, une menace à la société s’il accède à une fonction de responsabilité. Il est sommé de montrer des gages, de s’expliquer.
Prudence
Il n’en demeure pas moins que la peur ressentie envers l’islam n’est pas une invention de la CIA. Les principaux dirigeants américains et occidentaux ont été d’une remarquable prudence dans leurs propos sur l’islam depuis six ans. Le fait est, qu’en terre d’islam, particulièrement en terre arabe, la violence politique et sociale dévaste certaines sociétés ou couve dans d’autres. L’Occidental le voit et se demande pourquoi. La question est parfaitement légitime, mais les réponses, nécessairement nombreuses, sont complexes. Le dernier numéro de la revue québécoise Spirale ouvre des pistes de compréhension dans un dossier spécial intitulé Islam, islamisme, terrorisme : un amalgame inquiétant. Les responsables de la revue ont demandé à une douzaine de spécialistes de parler de l’islam, de l’islamisme et du terrorisme à travers la lecture d’une vingtaine d’ouvrages récemment publiés sur ces questions. Les auteurs, dont plusieurs sont connus des Québécois intéressés aux affaires internationales - Georges Leroux, Sami Aoun, Rachad Antonius, Jean-Paul Brodeur et Marie-Joëlle Zahar - offrent des textes fouillés et réfléchis.
L’islam est une galaxie
L’islam n’est pas monolithique. C’est une galaxie composée de systèmes solaires eux-mêmes formés de plusieurs mondes. Cette diversité est mal connue chez nous à cause de l’extrême violence propagée par les groupes extrémistes. Or, cette violence ne vient pas de toutes les terres d’islam. Le monde arabe en est sa source et sa principale victime, un monde arabe qui ne rassemble que le cinquième des croyants de cette religion. Ce repérage géographique établi, les auteurs du dossier décrivent la vie du prophète, relisent le Coran et retracent l’histoire de l’islam afin de comprendre pourquoi l’amalgame islam-islamisme-terrorisme est si présent aujourd’hui.
Si les nombreuses incarnations du prophète, tour à tour prédicateur, chef de guerre et chef d’État, tracent un portrait ambigu de son message, le livre sacré est ouvert et peut se décliner selon de nombreuses interprétations. Les islamistes s’en sont emparés dans leur entreprise politico-religieuse de soumission des fidèles et afin de justifier leur violence contre un monde extérieur perçu comme étranger et agresseur. Une interprétation plus ouverte, moins "fossilisée" est possible. Elle est d’ailleurs à l’oeuvre dans l’islam nord-américain et européen où les caractéristiques négatives (antilibérales et antidémocratiques) constatées dans l’islam arabe ont peu de prise. Enfin, le terrorisme est présenté dans ces articles comme une réaction extrême aux effets de la colonisation passée, aux agissements présents des grandes puissances et au sort cruel réservé aux Palestiniens.
Tout cela est vrai, mais les auteurs auraient fait aussi oeuvre utile en tentant de répondre à une question bien simple et qui est souvent posée : pourquoi autant de violence en provenance du monde arabe, pourquoi, par exemple, les Sud-Américains ou les Africains n’ont pas sombré dans cette violence excessive, eux qui ont subi et subissent des situations intolérables ?
À un moment où, au Québec, le débat entre laïcité et accommodements raisonnables en matière religieuse suscite des tensions, l’entreprise éditoriale de Spirale est à saluer et mérite l’attention d’un large public.
Jocelyn Coulon est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Il vient de publier le " Guide du maintien de la paix 2007 ", chez Athéna Éditions
La "guerre" contre l’islam
17. Actualité archives 2007
Jocelyn Coulon59 articles
L’auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l’Université de Montréal.
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