La crise, telle qu'elle se développe, consacre le double retour de la puissance publique et du fait national.
Ce qui est extraordinaire dans la crise actuelle, c'est l'empressement des pyromanes à jouer les pompiers. Une égale amnésie touche M. Sarkozy, sa majorité et la plupart des dirigeants de la gauche. La droite oublie le culte qu'elle vouait à Reagan dans les années 80, les privatisations, les niches fiscales multipliées, l'OMC créée sous M. Balladur en 1995 et qui a éradiqué nos dernières protections tarifaires. Quant au PS, il a oublié le culte du franc fort, puis de l'euro fort, le Matif et la désintermédiation bancaire. Oserais-je rappeler que c'est sous la gauche que la part des salaires dans le revenu national brut a décroché de 10 points ? Faut-il oublier que le principe de la concurrence libre et non faussée a été posé par l'Acte unique négocié en 1985 et voté en 1987 par le PS et par la droite ? C'est au 1er janvier 1990 que la liberté des capitaux a été instaurée, déséquilibrant de manière irréversible le rapport entre le capital et le travail. Faut-il encore évoquer l'irresponsabilité de la Banque centrale européenne consacrée par le traité de Maastricht en 1992 ? Assez de balivernes, donc ! La « solution » n'est pas « sociale-démocrate », n'en déplaise à mon ami Jean-Marc Ayrault. Elle est tout simplement républicaine.
Bien sûr, la responsabilité principale de la globalisation et de la crise est dans les pays anglo-saxons et, particulièrement, aux Etats-Unis, mais comment oublier que la droite française a surenchéri et que le PS a fait mieux qu'accompagner ?
Je ne dis pas tout cela pour remuer le couteau dans la plaie : l'histoire n'a d'intérêt que pour éclairer l'avenir. Une profonde rupture est nécessaire avec cette période des « trente piteuses » qui a entraîné notre pays dans un déclin apparemment irréversible, en Europe et dans le monde.
Au moins la crise, telle qu'elle se développe, comporte-t-elle des leçons évidentes et elle ouvre un espace nouveau à une gauche digne de ce nom. C'est le retour à la fois de la puissance publique et du fait national. Seuls, en effet, les Etats nationaux ont la légitimité pour agir par gros temps. La Commission européenne comme la Banque centrale ont été condamnées à suivre ou à se renier. Les règles européennes (concurrence libre et non faussée, prohibition des aides d'Etat) ont été mises en congé au nom de « circonstances exceptionnelles ». Les critères de Maastricht (dette et déficits) ont été explosés. Ce sont les Etats-Unis qui ont donné les premiers l'exemple avec le plan Paulson, puis l'Europe a suivi par un enchaînement de décisions nationales progressivement coordonnées : G4 le 4 octobre, puis les jours suivants Eurogroupe à 15, auquel s'est jointe la Grande-Bretagne, puis enfin Union européenne à 27. C'est donc une Europe de cercles concentriques qui s'est mise en mouvement avec des réponses différentes d'un pays à l'autre.
Dès maintenant, la désuétude des traités européens apparaît en pleine lumière. Un cycle est clos. Une période est morte, celle où le mythe d'une Europe fédérale a servi à démobiliser la nation. La France a un rôle à jouer pour dynamiser l'Europe, une Europe des peuples, une Europe des nations et donc des Etats, une Europe à géométrie variable et s'assumant comme telle.
De toute façon, le défi de la crise impose une réponse qui aille bien au-delà de l'Europe, une réponse internationale. On évoque un nouveau Bretton Woods, mais il est difficile de revenir à des parités stables sans corriger les déséquilibres économiques majeurs qui existent entre les Etats-Unis et le reste du monde. L'épargne des ménages américains est inférieure à 1 % de leurs revenus. Leur endettement est de 133 %. L'endettement global de tous les acteurs économiques américains est de 316 % du PIB. Le déficit commercial des Etats-Unis est de 700 milliards de dollars, 6 % du PIB ! Tout cela ne se corrigera pas en un jour. C'est le mode de vie dispendieux et énergétivore des Etats-Unis qui devra être remis en cause. Surtout, les Etats-Unis ne peuvent plus continuer à dominer seuls le reste du monde. Une redistribution de la puissance est redevenue inévitable, à travers notamment la réforme des institutions internationales.
Sans doute un plan de relance coordonné à l'échelle mondiale pourra-t-il limiter la tentation d'un retour au protectionnisme aux Etats-Unis. Il faudra que les pays excédentaires en matière d'épargne et de commerce extérieur (Chine, Japon, Allemagne) acceptent de jouer un rôle de locomotive dans cette relance. C'est dire combien sera difficile le cycle des négociations internationales qui va s'engager à la fin de l'année.
Dans cette grande crise, il faut que la voix de la France se fasse entendre. La gauche devrait avoir à cœur de faire en sorte que ce ne soit pas seulement celle de M. Sarkozy, mais également la sienne. Encore faut-il pour cela qu'elle se réapproprie la France !
Cette tribune sera publiée dans la prochain numéro de Marianne, sous la rubrique Forum.
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Jean-Pierre Chevènement, sénateur du Territoire de Belfort, président du Mouvement républicain et citoyen (MRC).
La gauche doit se réapproprier la France
La crise, telle qu'elle se développe, consacre le double retour de la puissance publique et du fait national.
Crise mondiale — crise financière
Jean-Pierre Chevènement5 articles
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